AU REVOIR
Cela fait maintenant un peu plus d’un an que je ne publie plus rien ici. La raison est simple: j’ai décidé d’arrêter ce blog. Mais je laisse les anciens articles en ligne. Vous pouvez toujours réagir, je passe faire un tour de temps en temps. Peut-être un jour reprendrais-je le fil, qui sait?
En attendant, j’ai crée un nouveau blog, très différent et plus personnel. J’en laisse l’adresse:
lecoindurimailleur.over-blog.com/
Et voici la page Facebook:
https://www.facebook.com/lerimailleur/
Je remercie toutes les personnes qui ont lu mes articles et m’ont encouragé.
Bye!
QUELQUES MINUTES APRES MINUIT-Le géant de bois
Connor (Lewis MacDougall) est un jeune garçon dont la vie n’est pas très gaie. Sa mère (Felicity Jones) est atteinte d’un cancer en phase terminale et il se fait harceler à l’école. De son imagination, va surgir un monstre qui va l’aider.
Juan Antonio Bayona revient, neuf ans après L’Orphelinat, au film fantastique. Il choisit cette fois d’illustrer l’adaptation filmique d’un célèbre roman de Patrick Ness, A Monster Calls, dont l’auteur signe lui-même le scénario. Cette histoire d’un enfant perturbé qui se crée un « ami » imaginaire, a visiblement plus qu’inspiré le réalisateur espagnol. C’est simple, sur le plan visuel, le film est une vraie réussite. Déjà, le monstre, auquel Liam Neeson prête sa voix chaude et caverneuse (il faut voir le film en VO!), est magnifique. Entièrement numérique, il impressionne. Ce monstre est en fait l’arbre principal du cimetière de la ville où habite Connor. Les séquences où il prend vie et se met en marche sont incroyables (ah, le reflet dans la flaque d’eau…). D’autant que la créature est formidablement bien intégrée aux décors du film, en intérieur ou en extérieur. Et Bayona utilise des artifices astucieux pour « ritualiser » ses apparitions (les objets qui se déplacent comme attirés à la manière d’aimants par le monstre). Bayona réussit des plans incroyables à ce niveau. Tout cela est de très bon augure pour le Jurassic World 2 qu’il a accepté de réaliser.
Tout le film bénéficie d’une réalisation parfaite. Bayona a quasiment une idée par plan, même sur les scènes intimistes. Impossible d’oublier la façon dont il isole constamment son jeune héros dans le cadre, les regards que lui jette son bourreau scolaire, l’utilisation pertinente des reflets (on pense à Spielberg). Il faut aussi revenir au monstre dont les apparitions soulignent les états d’âme du personnage (scène de la bibliothèque scolaire) et à sa présence à l’arrière-plan ou sur le bord du cadre. La scène du cauchemar au cimetière est aussi spectaculaire à souhait. Soulignons aussi la présence de scènes d’animation joliment désuètes pour illustrer les histoires que le monstre raconte à Connor et qui bénéficie aussi d’un style de réalisation parfait. Toute la mise en scène de Bayona est éblouissante. Trop peut-être au regard de ce le film raconte…
Car la belle mécanique finit par tourner à vide et le film par manquer d’émotion. Le monstre n’existe que dans la tête de Connor. C’est en fait son subconscient qui le taraude. Et là, l’ennui et la lourdeur s’invitent dans le film. Les histoires du monstre, ses dialogues avec Connor, tout cela aboutit à des leçons de morale vite redondantes et pénibles: accepter la mort, ne pas juger les gens trop vite, ne pas faire de bêtises pour exister au yeux des autres…Les coutures du script sont grosses, chaque effet semble être surligné. On finit par rester extérieur au film et a ne plus avoir d’empathie pour Connor. Le film s’achemine, sur un rythme assez lent, vers une scène finale lacrymale, déjà vue, clichée et dont on se doutait qu’elle arriverait. Certains personnages secondaires sont trop vite expédiés comme la petite brute du collège ou le père de Connor, qui se cache derrière de fausses excuses pour ne pas le recueillir ( en plus, son fils est d’accord pour le rejoindre, où est le problème?). Seule la grand-mère, incarnée par Sigourney Weaver, suscite l’intérêt. A Monster Calls finit par devenir l’exemple typique du film fantastique qui se croit plus intelligent que le genre qu’il illustre. C’est une leçon de vie, ma bonne dame, un récit initiatique psychologique où il y a peu de place pour le merveilleux, les aventures extraordinaires ou même une réflexion plus pertinente que le sermon qu’on nous sert ici. A ce niveau, un film comme Le Labyrinthe De Pan est beaucoup plus subtil, abouti et habité. La magie n’opère pas à 100%. Dommage.
Note: 2,5/5
A Monster Calls, de Juan Antonio Bayona, avec Lewis MacDougall, Sigourney Weaver, Felicity Jones et Liam Neeson, en salles depuis le 4 janvier.
Promenade hivernale
Pour mon camarade holmésien Keneda Neo. Y a pas de malaise, vieux!
Il faisait froid, il faisait gris, en ce triste lundi. Triste? Le mot est peut-être fort. Disons « mélancolique ». C’est un joli mot, « mélancolique ». Il colle bien à ce lundi froid et gris, et il nous rappelle un virus hivernal maudit. Toi, tu étais content, il t’avait épargné. Le virus hivernal, pas le lundi. Le lundi n’épargne jamais personne. Il est sans pitié. C’est à la fois un recommencement et une fin, un renoncement et du chagrin. Bref, c’est pas toujours gai, un lundi. Quoique, le dimanche est parfois plus terrible…Enfin, bref.
Tu marchais dans les rues, désertes et engourdies par le froid, de cette ville déserte et engourdie par le froid. C’était le lendemain du Jour de l’An. C’était encore les vacances pour les écoliers. Pour un jour. Le lendemain, le couperet de la rentrée s’abattrait, sans pitié et meurtrier. Ses victimes préférées? Les cancres, les élèves moyens, les rêveurs et ceux que leurs cons disciples harcèlent, parfois, juste pour rire et tuer le temps, à défaut de tuer quelqu’un, ou alors lentement, à petit feu…Tu repensais à certaines de tes rentrés à toi. Elles étaient loin. Elles dataient du siècle dernier. Certaines te sont pénibles, au souvenir. Comme celles du collège avec certains profs idiots et certains camarades crétins. Les deux semaines de vacances, sans eux, avaient été un tel bonheur…Et puis, entamer la semaine avec deux heures de maths dans un préfabriqué où le chauffage était en panne, en ce début janvier…Mais qu’est-ce qu’ils croyaient, ces cons-là? Qu’on attendait ça avec impatience? Sans dec! Heureusement, dans ton souvenir, il y a aussi des rentrées plus rieuses, à l’école (innocence de l’enfance, peut-être) et au lycée (esprit potache, sans doute). Alors, tu marches dans le froid, bien emmitouflé dans ta grosse parka, les gants sur les mains et la capuche rabattue sur ta tête, alouette. Et tu penses aux gosses qui rentrent demain. Et tu as une pensée compatissante pour les cancres qui n’ont pas fait leurs devoirs, pas révisé pour le contrôle d’histoire du mercredi matin et pour les rêveurs, dont tu étais, qui regarderont par la fenêtre, pendant les cours, s’ennuyant et pensant à d’autres mondes, d’autres aventures, à leurs amours secrets ou tout simplement à un livre, un film ou une revue porno lue en cachette….
Tu pris par le parc municipal, près des facultés où les cours reprendraient aussi demain. Mais tu n’eus aucune pensée pour les étudiants. Tu t’en foutais. Tu as été étudiant mais c’est oublié, maintenant. Une affaire entendue et dont rien de significatif n’est vraiment sorti. Le parc municipal est désert. Le froid polaire en a chassé tout le monde, même les vieux qui promènent leurs chiens et nourrissent les canards sur le plan d’eau. De toutes façons, le plan d’eau est gelé. La volaille se réchauffe comme elle peut. Les arbres sont nus. Les pelouses sont givrées de blanc. Et le silence. Un silence étrange. Pas un bruit. On entend pas les voitures circulant sur le boulevard, on entend pas les oiseaux chanter, on entend pas de rire d’enfants. C’est un jour bizarre. Tu presses le pas, on commence à cailler sévère….
Tu rentres au chaud, quelques minutes, dans une librairie. Tu regardes les livres qui sont là depuis un mois, vu que les nouveautés ne sont pas encore arrivées. Tu furettes, tu finis par trouver des auteurs que tu ne connaissais pas. Cela réchauffe l’esprit, c’est ça qui est bien dans ce genre d’endroit. La librairie est déserte, deux ou trois clients et deux ou trois employés (ça sent les congés pour ceux qui ont bossé non-stop pendant les fêtes). Deux semaines auparavant, c’était pourtant la cavalcade et la foule des grands jours. Tu ressors dans le froid et la grisaille. Tu te rends aussi compte que tu viens de changer de temps. Tout à l’heure, tu utilisais l’imparfait et le passé simple, maintenant tu t’es mis au présent. En relisant, tu verras que c’était pire: tu avais déjà mêlé le présent au passé dès le début! Présent de narration donc pour une aventure tristement banale. Mais le passé semble plus proche quand on se le remémore, non? L’impression de le revivre, fugacement. Une brève étreinte dans le noir, un baiser rapidement, trop rapidement, échangé….
Dehors, c’est l’enfer pour les sans-abris. Hiver comme été, c’est toujours l’enfer pour eux. Mais là, c’est pire. Donc, tu ne te plains pas du froid car toi, tu ne couches pas dehors. Mais que faire pour eux, quand t’es pas bénévole, quand tu n’es qu’un impuissant de plus dans cette société inhumaine? A part donner quelques pièces et un sourire à ceux que tu croises…Aider son prochain, pas toujours facile. Tu te souviens des gens que tu n’as pas aidé alors que tu aurais du. Pas glorieux. Mais bon, y a aussi ceux que tu as aidé et que tu as perdu de vue. C’est la vie, mesdames et messieurs. Tu espères qu’ils vont bien et qu’ils sont heureux. Certains souvenirs réchauffent le cœur. Et je repense à ce petit couple de jeunes qui étaient à la rue…
Le froid se fait plus vif. Tu décides de rentrer. La ville est silencieuse et vide. En y réfléchissant, ce n’est pas désagréable. C’est même joli. Les choses, les lieux, les gens, sont plus nets et ont plus de contours. En attendant le bus, tu ne penses à rien de précis. Bientôt, il sera là et tu rentreras chez toi. Après, devant ton ordi, tu écriras sur cette promenade hivernale peu palpitante. Tu espères que les gens comprendront, un peu. Voilà, tu mets le point final. Meilleurs vœux à tous.
Texte dédié à tous ceux qui souffrent et qui sont malheureux. Je ne vous connais pas mais je pense à vous.
Aux enfants d’hier, aujourd’hui et demain.
A la mémoire de Carrie et de George. Merci pour tout. Vous êtes partis trop tôt.
ROGUE ONE-Un nouvel espoir?
Après Le Réveil de la Force (épisode 7 de la saga Star Wars), Disney poursuit sa série de films Star Wars, licence qu’elle a rachetée à George Lucas. Cette fois, ce n’est pas à un épisode « officiel » de la saga auquel nous avons droit (le film n’est pas la suite de l’épisode 7 sorti l’an passé) mais à un spin-off indépendant, qui sert d’introduction à l’Episode 4 (Un Nouvel Espoir). Rogue One nous raconte comment les plans de l’Etoile de la Mort ont été dérobés à l’Empire par l’Alliance Rebelle, ainsi que la première victoire militaire de cette dernière sur l’Empire. Le film s’attache au pas de Jyn Erso (Felicity Jones), jeune voleuse dont le père Galen (Mads Mikkelsen) est le concepteur de l’Etoile de la Mort. Elle va se retrouver partie prenante dans une mission suicide pour tenter de voler les fameux plans de l’arme de destruction massive de l’Empire.
Après un sympathique mais un peu limité épisode 7, on attendait beaucoup de Rogue One. Il faut dire que la réalisation a été confiée au talentueux Gareth Edwards, réalisateur de l’étrange Monsters (2010) et du magnifique Godzilla de 2014. Edwards est un réalisateur aux partis-pris esthétiques courageux et originaux, qui arrive à mythifier et densifier l’arrière-plan et le contexte de ses films, tout en mettant l’humain au premier-plan. Cette approche ne lui vaut pas que des fans et c’est dommage. Son arrivée sur un épisode de Star Wars est attendue avec ferveur par ses admirateurs et avec crainte par ses détracteurs. En l’état, Rogue One est peut-être le film qui réconciliera les deux. Quant aux fans de Star Wars, le film devrait globalement leur plaire, ce que les premières réactions enthousiastes montrent (c’était beaucoup plus mitigé pour Le Réveil de la Force).
Autant le dire tout de suite, Rogue One s’impose, de par sa maestria visuelle et son ambiance adulte, comme le meilleur Star Wars depuis L’Empire Contre-Attaque en 1980. Le style de Edwards fonctionne ici à plein et s’adapte parfaitement à cet univers. La réalisation est à rapprocher du style de cinéastes tels que Paul Verhoeven ou JohnMcTiernan, pour son mélange de violence frontale et de rigueur esthétique. Rogue One est à la fois un film de mercenaires, un space-opera et un film de guerre. Edwards enchaîne des mouvements de caméra et des plans absolument magnifiques, voire iconiques et utilise aussi un style de caméra portée toujours lisible et qui donne l’impression tangible d’être dans le film. C’est peut-être la première fois que l’on ressent aussi bien physiquement l’univers Star Wars. Le climax de 45 minutes est, à ce titre, l’un des plus passionnants vus dans un space-opera. Il se passe à la fois sur terre et dans l’espace, on navigue d’un point de vue à l’autre avec fluidité, Edwards tente des acrobaties visuelles affolantes pour changer de scènes. Sublime! Et la tenue visuelle du reste du métrage confine à la perfection. La méthode est la même que sur Godzilla mais l’action y est plus frénétique. Le travail sur le cadre et les arrière-plans est sidérant et s’appuie sur une 3D immersive à souhait (même si moins aboutie que celle de Godzilla). Edwards a donné une identité visuelle forte à son film. Il préserve sa vision personnelle de Star Wars et rien que pour ça, le film vaut le coup. D’autant qu’il conjugue à la perfection effets visuels numériques et décors réels. On est loin du remplissage numérique de la Prélogie!
Les scènes de guerre sont assez violentes. Le film baigne d’ailleurs dans une atmosphère sombre et sans concessions, du moins à ce niveau. Les rebelles de l’Alliance ne sont pas toujours montrés sous leur meilleur jour. Certains peuvent paraître lâches quand d’autres sont des assassins sans pitié n’hésitant pas à exécuter des ordres parfois limites, voire à tuer l’un des leurs pour avoir une chance de fuir (excellente interprétation de Diego Luna, à ce propos). Mais ils ont face à eux un ordre fasciste et meurtrier qui pratique le génocide à grande échelle. Edwards nous montre de manière palpable les ravages d’une arme de destruction massive et l’inéluctabilité de la mort qui en découle et qui s’approche lentement des protagonistes qui se tenaient à l’écart. Les combats terrestres sont violents. On se croirait dans des scènes de guerre dignes d’un Samuel Fuller ou dans les affrontements de la guerre en Irak (terrorisme urbain à l’appui). Edwards case aussi des instants de pause méditatives (comme cet engin émergeant lentement des brumes de l’arrière-plan et que seul un aveugle remarque!). Enfin, il redonne au personnage de Dark Vador son aura maléfique. L’espace de deux scènes, il redevient cette machine à tuer sans pitié, ce monstre inhumain qui cache ses blessures sous son armure. Sa deuxième apparition fait appel au film d’horreur et Vador devient le monstre qui surgit et tue en un clin d’oeil. Côté « méchants », Ben Mendelsohn est incroyable de magnétisme maléfique dans le rôle de Orson Krennic.
Mais voilà, Rogue One est loin d’être parfait. Disney était concentré sur l’épisode 7 et a laissé tranquille Edwards une bonne partie du temps. Mais le studio s’est finalement réveillé et a exigé des réécritures de script et des reshoots. Et cela se ressent, hélas. Déjà, le film souffre d’ellipses maladroites dans sa narration (dont l’une arriverait presque a saboter la magnifique scène finale sur la plage) et bon nombre de séquences aperçues dans la bande-annonce ne sont pas présentes. Le scénario est aussi parfois à la traîne, entre répétitions et lenteur. Quant aux personnages secondaires, ils sont victimes d’un manque de caractérisation handicapant. On s’attache à eux mais pas suffisamment. Le personnage de Forest Whitaker est même carrément inutile et caricatural! Inutiles aussi les mentions d’une créature capable de rendre fou l’esprit d’un homme, et puis en fait, non, ça nous fait perdre trop de temps! Inutiles aussi toutes les saillies humoristiques pénibles d’un robot pourtant très bien désigné (on pense au Géant de Fer de Brad Bird). Inutiles enfin toutes ces références à la Force devenue tout à coup super importante pour des personnages qui ne sont même pas des Jedis. Caricatural est aussi le métissage ethnique des gentils face aux méchants blancs de l’Empire (pourquoi les mystiques sont toujours asiatiques dans les films de SF?). La relation entre Jyn et son père est touchante et déchirante mais franchement quand donc Star Wars va s’affranchir de ses relations parents/enfants qui commencent à faire figure imposée et finissent par lasser? Voilà le genre de menu défauts qui arrivent à plomber Rogue One et à sortir le spectateur de l’expérience immersive de Gareth Edwards.
En l’état Rogue One est un film hautement réussi sur le plan visuel mais dont le studio a massacré le potentiel à coup de décisions et de mémos pour faire plus commercial. Néanmoins, il constitue peut-être un petite lueur d’espoir pour la franchise. Il faudra juste que Disney laisse les coudées franches à Ryan Johnson (Looper) pour l’épisode 8. Rendez-vous l’année prochaine!
Note: 3/5
Rogue One de Gareth Edwards, avec Felicity Jones, Diego Luna, Ben Mendelsohn et Mads Mikkelsen, en salles depuis le 14 décembre
PREMIER CONTACT-Palindrome
Douze mystérieux vaisseaux extraterrestres prennent place en douze endroits différents de notre planète. Visiblement, leurs occupants cherchent à communiquer avec nous. Aux Etats-Unis, l’armée et la CIA chargent la linguiste Louise Banks (Amy Adams) et le physicien Ian Donnelly (Jeremy Renner) de rentrer en contact avec les extra-terrestres. Sous la supervision du colonel Weber (Forest Whitaker), ils s’attellent à la tâche et progressent vers une vérité insoupçonnée….
Arrival (titre original de ce film) est certainement le film de science-fiction le plus étrange et déroutant de ces dernières années. C’est un film fragile et courageux mais pas exempt de défauts (quelques longueurs et redondances). Néanmoins, il vaut le coup d’œil car il est original et différent. On pourrait le rapprocher des récents Interstellar et Midnight Special, dans le genre « SF intimiste ». Sauf que le film creuse un sillon qui lui est propre, en proposant un voyage statique. En allant voir ce film, vous n’irez pas dans l’espace, vous n’assisterez pas à des batailles spatiales ou à l’invasion belliqueuse de la Terre, vous n’aurez pas pour héros des stéréotypes cools et rigolards. Non, vous allez rester sur Terre (mais pénétrer dans un vaisseau extra-terrestre) et vivre une rencontre particulière. C’est un film lent, aux enjeux multiples mais pas forcément visibles du premier coup, aux antipodes de ce qui se fait d’habitude. La bande-annonce le vend assez mal et le grand public, dont vous qui me lisez, risque d’être globalement déçu, tant le film est anti-commercial au possible.
Imaginez un film où les enjeux sont la communication et le langage et où le problème principal pour les protagonistes est de traduire l’étrange langage des « aliens » ainsi que d’arriver à comprendre leurs motivations. Voilà, il n’y pas d’explosions, ni de twists spectaculaires toutes les cinq minutes. Pourtant, Denis Villeneuve bâtit une œuvre élégante et passionnante, pour ceux qui ne sont pas réfractaires et daignent s’y abandonner. Le film baigne dans une lumière particulière. C’est assez sombre au début mais la photographie s’éclaircit au fur et à mesure que la compréhension qui se fait jour. Nous sommes placés sur le même rang que les personnages du film. Le film est haletant et l’atmosphère à la fois inquiétante, pesante et douce. Les rencontres entre les humains et les « aliens » sont impressionnantes par le protocole mis en place, la configuration du vaisseau, l’allures des « aliens » et leur mode de communication. Une paroi de verre sépare les deux races, comme un écran de cinéma ouvert sur un autre monde (pour eux comme pour nous). Une menace semble planer mais peut-être est-elle illusoire? On s’attache alors à la quête de sens des héros. La réalisation de Denis Villeneuve (Prisonners, Sicario) est ample, réfléchie, élégante, majestueuse. Par moment, l’atmosphère semble écraser les personnages et les spectateurs mais c’est un effet voulu. On a vraiment l’impression de vivre de façon crédible une rencontre du troisième type.
Villeneuve et son scénariste, Eric Heisserer, s’inspirant du roman L’Histoire De Ta Vie de Ted Chiang, offrent un suspense constant….sur rien. Juste la communication et le langage des « aliens ». Et pourtant, malgré un petit ventre mou à mi-parcours, on reste scotché et fasciné par ce qui se passe. Il faut souligner l’interprétation, toute en sensibilité, de Amy Adams, comédienne magnifique, qui prouve, après Big Eyes, qu’elle possède un solide sens dramatique. Son personnage de Louise Banks est le point d’ancrage du spectateur. Comme elle, nous sentons tour à tour la menace, la joie ou le chagrin. Ce personnage est important car l’histoire qu’il vit le ramène à son intimité. De son trauma, exposé dans l’introduction, de ses doutes et de ses questions, Louise Banks va puiser en elle les ressources pour éclaircir le mystère. L’universalité de ce film, c’est de nous ramener à la sphère intime et donc de nous y impliquer grandement. Notre rapport au temps, à la mort, à la vie, aux autres est ainsi questionné. Et c’est cela qui surprend car on ne s’attendait pas à un film sacralisant la vie (et l’amour) et nous parlant de la nécessité de faire son deuil des disparus. Derrière le « film d’extraterrestres », il y a autre chose. Le film de Denis Villeneuve possède un cœur qui bat et nous achemine vers une fin douce, contemplative et inespérée.
Enfin, le film prône la nécessité de communication et d’entente entre les peuples, en des temps où les politiques de repli sur soi et « va-t-en guerre » semblent revenir en force. Que les Etats-Unis nous envoient un tel film, juste après l’élection de Donald Trump, est assez paradoxal, même si totalement involontaire. En attendant, ce Premier Contact envoûtant et surprenant, nous invite à nous poser et à prendre conscience de la fragilité de nos existences. Et si vous voulez un argument moins gnangnan, sachez que le film ne dure que 116 minutes (1H56 donc) là où la plupart des gros films de SF ou de « divertissement » durent maintenant 2H30 au minimum. C’est pas si mal! Et comme il serait cruel de vous en dire plus sur ce film (très dur d’en parler à ceux qui ne l’ont pas vu), je mets un point final à ma chronique.
Note: 4/5
Arrival de Denis Villeneuve, avec Amy Adams, Jeremy Renner et Forest Whitaker, en salles depuis le 7 décembre.
ALLIES-Que Marianne était jolie…
1942. Max Vatan (Brad Pitt), un agent canadien, est envoyé à Casablanca pour éliminer un dignitaire nazi. Il doit collaborer avec une résistante française, Marianne Beauséjour (Marion Cotillard), pour cette mission. Non seulement la mission réussit mais Max et Marianne tombent amoureux l’un de l’autre. Max ramène Marianne à Londres où il officie. Ils se marient et ont une petite fille. Un beau jour, les supérieurs de Max lui apprennent qu’ils soupçonnent Marianne d’être une espionne allemande. Si preuve en est faite, Max devra l’exécuter lui-même au bout de 72 heures. Max va alors débuter une enquête parallèle pour tenter de blanchir son épouse, tout en cachant à cette dernière la teneur de sa « mission ». Mais Marianne est-elle vraiment celle qu’elle prétend être?
Sur un script aussi alléchant, c’est dire si on attendait le nouveau film de Robert Zemeckis (Retour Vers Le Futur, Forrest Gump) avec impatience. Avec un scénario prometteur signé Steven Knight (Les Promesses de l’Ombre) et un couple glamour en tête d’affiche (Pitt/Cotillard), le film partait sous de bons auspices. Malheureusement, le film rêvé n’a pas lieu et la déception est assez cruelle, même si, pour être honnête, le film est loin d’être un naufrage complet et possède quelques qualités.
Tout commence mal avec la partie située à Casablanca. Le film s’ouvre sur un Brad Pitt atterrissant en parachute dans le désert. Il est assez consternant de voir que Zemeckis préfère tourner cette scène à l’aide d’un trucage numérique plutôt que de la filmer en vrai. Cela se voit tant cela sonne faux. Par la suite, Zemeckis (cinéaste fasciné par les sfx) ne pourra jamais s’empêcher de corriger numériquement certaines scènes. A l’image, tout est propre mais factice. Revenons à Casablanca et à la mission de Max Vatan. Là, on nage en plein naufrage artistique. C’est très beau et bien filmé. On a même droit à une scène d’amour en pleine tempête de sable comme dans Le Patient Anglais. Mais ce Casablanca est en carton pâte et baigne dans les clichés. On ne croit pas du tout à la mission des deux tourtereaux, l’alchimie entre Brad Pitt et Marion Cotillard ne fonctionnent pas (Cotillard n’est pas en cause, c’est juste que Brad Pitt a l’air de s’emmerder grave) et tout cela frise la parodie. L’entrée en matière est loupée et l’envie de quitter la salle monte doucement en soi.
Arrive la partie située à Londres et le film s’améliore grandement. Brad Pitt est enfin concerné par son personnage et livre une bonne prestation, tout en rage contenue et en émotion à fleur de peau. Marion Cotillard, elle, est convaincante et amène de la sensibilité et de l’ambiguïté à son personnage. Zemeckis, tout à son aise, déploie un savoir-faire filmique qui lui permet d’illustrer au mieux ce récit d’amour et de paranoïa. Mouvements de caméra précis et élégants, utilisation de l’arrière-plan, jeux de miroirs, tout concoure à satisfaire le cinéphile exigeant et à donner une atmosphère crédible au film. L’histoire racontée est passionnante et le suspense constant. Il y a des scènes fortes, telles la visite à un mutilé de guerre, le crash de l’avion allemand ou la scène, tendue à souhait, où Max apprend les accusations qui pèsent sur sa femme. Max doit se cacher de ses supérieurs et de sa femme, et le soupçon finit par le ronger, tout comme le spectateur. Tout cela est fort habile et prenant.
Malheureusement, le film sombre trop souvent dans les clichés et le soufflé finit par retomber. C’est bien joli d’avoir fait de la soeur de Max une homosexuelle mais 1) son rôle ne sert à rien dans le film et 2) elle s’affiche en public et au milieu d’autres officiers avec son amante et ça, c’est juste pas crédible. A l’époque, l’homosexualité était passible de prison ou d’internement et les homosexuels vivaient cachés pour éviter les ennuis. Qu’une homosexuelle, femme officier, s’affiche avec sa compagne au milieu d’autres militaires, qui l’acceptent et en rigolent, comment dire….Et puis, film hollywoodien oblige, nous avons droit à une escapade bien stéréotypée en France avec gendarme couard et grassouillet et membre de la résistance alcoolique et ridicule (pauvre Thierry Frémont!), avec un affrontement bâclé contre les Allemands. Enfin, la scène d’accouchement sous les bombes ennemies apparaît trop outrée et sirupeuse pour convaincre vraiment.
Mais le miracle cinématographique finit par arriver! Zemeckis nous offre un dénouement inspiré et d’une rare émotion. Peut-être la plus belle scène qu’il ait jamais filmée…Une pluie battante, une voiture et un point de vue uniquement focalisé sur un personnage traqué, perdu et qui doit faire un choix…Quelques minutes de grâce qui valent à elles seules l’achat du ticket et qui rachètent les erreurs précédentes. En l’état, Alliés est un film qui se suit sans ennui, qui retrouve par moments le charme suranné des films d’autrefois mais qui demeure handicapés de défauts qui l’empêchent d’atteindre le rang de classique.
Note: 2,5/5
Allied, de Robert Zemeckis, avec Brad Pitt et Marion Cotillard, en salles depuis le 23 novembre.
LES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES (1892)-Arthur et Sherlock
Sir Arthur Conan Doyle (1859-1930) a consacré quarante années à son personnage fétiche de détective-conseil, le célèbre Sherlock Holmes. De 1887 à 1927, il lui a dédié quatre romans et cinquante-six nouvelles, avec une interruption de prés d’une décennie (1894-1902) et tout en écrivant d’autres romans, tels La Compagnie Blanche, Le Monde Perdu ou La Grande Ombre, ainsi que de nombreuses autres nouvelles. Mais c’est sans nul doute les enquêtes de Sherlock Holmes qui lui valent d’être connu dans le monde entier, et ce pour les siècles des siècles. Rarement personnage de fiction n’aura suscité un tel engouement et un tel phénomène, phénomène qui a même dépassé son auteur lui-même. Le public de l’époque, croyant que Holmes était un personnage réel, envoyait des lettres aux journaux qui publiaient ses aventures, afin de lui réclamer aide et assistance pour des problèmes personnels. Enfin, on ne compte plus les romans, les séries télévisés, les films, les bandes-dessinées, les parodies que Holmes a engendrés, depuis le décès de son créateur. Holmes est même devenu une discipline à part dans la littérature policière: l’holmeséologie. Les holmésiens sont des férus et des passionnés du personnage et pour eux, pas de doute, Holmes a vraiment existé, Conan Doyle n’étant que l’agent littéraire du docteur Watson. Non rassurez-vous, ils ne sont pas fous. Ce sont des gens sérieux qui s’amusent mais qui analysent tout ce qui a trait à leur personnage favori.
On divise couramment les œuvres littéraires sur Sherlock Holmes en deux catégories: le Canon et les apocryphes. Le Canon est l’ensemble des récits écrits par Conan Doyle, les apocryphes sont ceux écrits après sa mort par d’autres auteurs. Parmi les nouvelles du Canon, certaines sont plus connues que d’autres et certaines peuvent paraître un peu plus faibles. Alors quel roman ou quel recueil exprime le mieux ce qu’est l’essence de Sherlock Holmes et ce qui fait le talent de Conan Doyle? Le premier recueil des enquêtes de Holmes, The Adventures of Sherlock Holmes, s’impose d’emblée.
S’il s’agit du premier recueil de nouvelles sur Holmes, ce n’est pas la première apparition du détective consultant. En effet, Holmes est apparu pour la première fois dans Une Etude en Rouge, paru dans le Beeton’s Christmas Annual, en 1887. Doyle, à l’époque jeune marié et jeune médecin ophtalmologiste qui s’installe, tire un peu le diable par la queue. Comme il aime écrire, il propose des récits historiques (l’Histoire est sa grande passion, plus que le crime) aux journaux et aux éditeurs qui les refusent car cela ne se vend pas. Admirateur des romans policiers de Emile Gaboriau mettant en scène l’inspecteur Lecocq de la Sûreté Générale et des trois enquêtes du chevalier Dupin écrites par Edgar Allan Poe, Doyle décide de se lancer dans la littérature policière, plus commerciale et plus rentable que le Moyen-Age des chevaliers. Il crée donc Sherlock Holmes et le docteur John H. Watson, son assistant et biographe. Une Etude Rouge relate donc leur rencontre et propose un meurtre à élucider, sur fond d’une terrible histoire de vengeance vieille de plusieurs années. Les méthodes de Holmes sont neuves et s’appuient sur l’observation minutieuse des faits et des indices et de la déduction logique. Holmes est ainsi capable de déduire toute l’histoire d’un individu en observant simplement ses habits, ses mains, ses chaussures, sa coiffure, etc. Une Etude en Rouge, hélas, ne convainc pas le public et demeure un échec. Toutefois, trois ans plus tard, en 1890, Doyle retente sa chance avec un deuxième roman sur une enquête de Holmes: Le Signe des Quatre. Et là, c’est le succès, inespéré et salvateur sur le plan financier (la carrière médicale de Doyle, qu’il finira par abandonner, piétine et il n’arrive pas à placer ses autres écrits). L’engouement du public est tel que le Strand Magazine commande une série d’histoires de Sherlock Holmes pour ses lecteurs. Elles seront illustrées par Sidney Paget, qui coiffera Holmes du célèbre deerstalker, et seront publiées dans le Strand entre juillet 1891 et juin 1892. Elles paraîtront ensuite en recueil, fin 1892.
Le présent recueil est composé de douze nouvelles: Un Scandale en Bohême, La Ligue des Rouquins, Une affaire d’identité, Le mystère du Val Boscombe, Les cinq pépins d’orange, L’homme à la lèvre tordue, L’escarboucle bleue, Le ruban moucheté, Le pouce de l’ingénieur, Un aristocrate célibataire, Le diadème de béryls, Les Hêtres Rouges. Certaines d’entre elles sont devenues de véritables classiques (Un scandale en Bohême, La Ligue des Rouquins ou Le ruban moucheté). Chez le grand public, comme chez les holmésiens, on cite souvent l’une ou l’autre de ces douze histoires quand on veut lister ses enquêtes préférées de Holmes. Le fait est que Conan Doyle brasse assez large parmi les types de crimes: meurtres, vols, chantage, disparitions, menaces de mort. Seules trois de ces nouvelles concernent des meurtres ou des morts violentes. Certaines ne sont juste que des petits faits divers, à priori sans intérêt, mais qui donne à Holmes l’occasion de faire la démonstration de ses talents. Dans Une Affaire d’identité ou L’homme à la lèvre tordue, aucun crime, au sens juridique, n’est commis mais les problèmes posés et les solutions apportées par Holmes sont astucieux. Doyle montre ici la banalité du quotidien et des faits divers et, bien sûr, l’incroyable banalité des humains soumis à l’envie, à la peur, à la jalousie. Il s’agit avant tout d’une littérature de faits divers. Néanmoins, au détour de certains passages, on y découvre parfois toute la bassesse dont peut faire preuve l’être humain.
La cruauté de l’Homme semble sans limite pour Conan Doyle (Le ruban moucheté, Une affaire d’identité, Les Hêtres Rouges). Certaines machinations criminelles qu’il invente font froid dans le dos. Sur le plan social, Doyle s’interroge aussi sur le triste sort réservé aux femmes par la société anglaise victorienne. L’Angleterre a beau avoir une Reine, elle est affreusement misogyne. Dans Les Hêtres Rouges, il s’interroge même sur l’hérédité et sur l’influence d’un certain milieu sur un enfant. Doyle part toujours de prémices alléchants (un fiancé disparaît le matin de ses noces, une mariée disparaît le jour de ses noces, une jeune femme se sent menacée par quelque chose d’indéfinissable dans sa propre chambre à coucher, un jeune homme reçoit cinq pépins d’orange dans une enveloppe et voit sa vie menacée, une photo compromettante doit être récupérée, un meurtre est commis dans la campagne anglaise, une oie de Noël renferme un bien beau trésor, etc). C’est ce qui fait que ces histoires sont devenues des classiques. Elles débouchent parfois sur un dénouement spectaculaire, parfois sur une résolution plus banale. Mais le point de départ est toujours prenant et addictif et le lecteur est passionné jusqu’à la résolution de l’affaire.
Le style de Conan Doyle, mainte fois imité, est précis et direct. Il a ce don particulier de tout de suite nous faire entrer dans une certaine atmosphère, qu’elle soit tragique ou plus picaresque. Jusque dans les détails, Doyle soigne son récit. Comment oublier la sinistre demeure des Roylott de Stoke Moran? L’attente insupportable dans la chambre à coucher de la même demeure? Comment oublier le piège mortel dont se sort in extrémis le jeune ingénieur Victor Haterley? Comment oublier la mort violente et mystérieuse du colonel Openshaw? Ou les Hêtres Rouges, bâtisse qui dissimule un secret inavouable? Doyle arrive à faire peur et à susciter le malaise chez le lecteur. Et il sait l’attraper dès le début. Chaque commencement de ses nouvelles est inoubliable. L’exemple le plus frappant? Les Cinq pépins d’Orange et sa tempête d’équinoxe synonyme de danger, qui amène la malédiction Openshaw chez Holmes et Watson. Mais l’humour a aussi sa place. Holmes pratique un humour noir salvateur et se moque de la police officielle. Mais derrière le logicien froid et le cocaïnomane invétéré, apparaît parfois un homme beaucoup plus humain et compréhensif qu’il n’y parait. Et même un philosophe existentialiste….mais misanthrope! Curieusement, il se montre beaucoup moins mysogine que sa réputation le laisse croire. Il accorde ainsi beaucoup de crédit à l’intuition féminine. Dans Un Scandale en Bohême, il est battu par une femme, Irene Adler, une femme qu’il ne cessera pas d’admirer (sans être amoureux pour autant).
Les Aventures de Sherlock Holmes est donc un recueil indispensable pour decouvrir ou redécouvrir Sherlock Holmes. On y rit (L’escarboucle bleue avec son atmosphère de conte de Noël à la Dickens)) et on y frissonne (Le Ruban moucheté, histoire proprement effrayante). On y croise aussi des dangers venus de l’autre côté de l’Océan. On peut enfin y réfléchir sur la société et la nature humaine. Les histoires de Conan Doyle sont toujours d’actualité, même maintenant. Car, comme dit Holmes, « tout ce qui est, a été. Il n’y a rien de neuf sous le soleil. » Pour Doyle, ses histoires seront synonymes de consécration et de succés. Néanmoins, on sent poindre l’agacement du romancier historique vis à vis de cette littérature à sensations. Dans Les Hêtres Rouges, Holmes critique la relation écrite de ses enquêtes par Watson. Doyle, visiblement, aspirait à autre chose et commençait à se lasser de son détective. A la fin des Hêtres Rouges, Watson trouve que Holmes a été décevant sur cette enquête. Watson et Doyle ne sont pas très reconnaissants à Holmes qui les a sortis de l’anonymat! Doyle ira encore plus loin dans le recueil suivant….Mais ceci est une autre histoire!
MOI, DANIEL BLAKE-Palme d’Or ?
Ken Loach a reçu la deuxième Palme d’Or de sa carrière pour ce film, en mai dernier à Cannes. On est donc en droit d’attendre un film exceptionnel, tant sur le plan formel que du contenu thématique. Le problème, c’est que Ken Loach n’a jamais été un grand réalisateur, du point de vue strictement cinématographique. C’est un cinéaste au style naturaliste, dénué d’effets et qui se rapproche du documentaire. Ce qui fait la force de ses films cependant, c’est leur impact dramatique et l’authenticité de leurs scénarios et personnages, ancrés dans un contexte social fort. Car Loach est un révolté qui a décidé de montrer les horreurs du monde capitaliste et de donner la parole aux citoyens les plus vulnérables. Des films comme Raining Stones, The Navigators ou Just A Kiss restent très forts, très justes, très sensibles. Alors, pour son dernier film, on attendait Loach au tournant, lui qui était sorti de sa retraite pour repartir au combat, une dernière fois. La fois de trop?
Cette fois, Loach s’attache au pas de Daniel (formidable et attachant Dave Johns), un homme qui a perdu son travail suite à un accident cardiaque et qui, ses indemnités d’invalidité refusées, est obligé de chercher du travail pour pouvoir toucher le chômage. On voit bien ce qui intéresse Loach ici: montrer l’absurdité et la cruauté du système d’aides sociales britannique. Et c’est le grand mérite du film, celui de dénoncer un système inhumain et proprement dégueulasse. On sent monter en soi le dégoût et la révolte. Cet aspect-là est très réussi. Mais le gros problème, c’est qu’en dehors de ça, Ken Loach et son scénariste fétiche Paul Laverty (20 ans de collaboration depuis Land And Freedom) ne nous proposent pas grand-chose d’autre.
L’ennui arrive assez vite, et, pire que tout, le désintérêt progressif qui s’installe face à ce qui se passe à l’écran. Loach arrive donc au résultat inverse qu’il visait: impliquer le spectateur d’une façon viscérale. Le film manque de rythme et surtout devient vite assez soporifique. Le parcours du personnage principal est, certes, tristement banal et répétitif mais sur un plan dramatique on a juste un homme qui va à des rendez-vous au Pôle Emploi, cherche un travail sans conviction et, surtout, apparaît un peu comme un stéréotype du vieil ours bougon et râleur. Le comédien a beau être formidable, le personnage est quand même un peu cliché. Le film n’a pas de vrai colonne vertébrale et fait du surplace. Loach et Laverty avaient eu plus de talent et de réussite sur certaines de leurs collaborations précédentes. Là, nous avons juste un film paresseux et qui se contente d’un discours « Ah que ce système est injuste! Regardez! » au lieu d’essayer d’affiner les personnages et les situations. Il y avait plus de travail à ce niveau dans The Navigators ou Carla’s Song, par exemple. Et comme le film est assez terne (quotidien grisâtre oblige) visuellement et que Ken Loach n’est pas un génie de la caméra, il est dur de ne pas s’assoupir quelque peu.
Il y a, quand même, des scènes à sauver, comme celles de la banque alimentaire ou du supermarché, mais même si elles sont fortes, elles sont peu nombreuses, trop disparates et peinent à dynamiser l’ensemble. Et on s’étonne que certaines pistes narratives ne soient pas plus exploitées. La relation entre Daniel et la jeune chômeuse mère célibataire et ses deux enfants donnent lieu à des moments touchants mais cela reste succinct, on en voit pas assez. Dommage, ses scènes semblent être le cœur du film mais Loach peinent à le ranimer. Il en est de même pour la « solution » que cette jeune femme trouve à ses problèmes: trop vite expédié pour convaincre. Mais le pire est atteint dans les scènes finales du film. La scène, drôle, où Daniel se révolte en écrivant sur les murs de l’agence pour l’emploi est gâchée par l’arrivée d’une caricature de guignol alcoolique, censée représenter le prolétariat qui soutient Daniel. On a connu Loach moins condescendant! Quant à la fin, aussi dramatique soit-elle, elle est prévisible et sonne un peu faux. L’épilogue est émouvant mais laisse trop de choses dans l’ombre (quid du sort de certains personnages?). En l’état, on a juste un discours plat et ennuyeux sur les gentils pauvres et les méchants fonctionnaires qu’on connaît par cœur. On a beau être d’accord sur le fond, on aurait aimé voir un film plus habité et plus vivant. Du vrai Ken Loach quoi!
Note: 2/5
I, Daniel Blake, de Ken Loach, avec Dave Johns et Hayley Squires, en salles depuis le 26 octobre.
Kings and vagabonds
« Rover, wanderer, nomad, vagabond, call me what you will… » Metallica, Wherever I may roam (1991)
Ils nous disent que nous ne sommes que des voleurs et des moins que rien, des lâches et des profiteurs, des assassins et des violeurs, des vagabonds et des va-nu-pieds. Nous ne sommes chez nous nulle part. Nos maisons sont détruites, nos proches sont morts, les barbares tiennent notre pays. Nous fuyons. Nulle part où aller. Rêves de l’Eldorado. Rêves du pays de la Liberté. On nous accueille mais certains nous regardent de travers, nous insultent et nous crachent dessus. Nous aimerions retrouver notre pays si joli et libéré de l’obscurité mais nous en sommes loin. Nous sommes là, nous existons. Mais c’est déjà trop pour certains. Nous attendons et profitons un peu du soleil et du bon air d’ici. Peut-être serons-nous à nouveau chasser et devrons-nous à nouveau errer? Nos enfants grandiront peut-être apatrides…
Nous dormons dans la rue. Nous mangeons dans la rue. Nous buvons dans la rue. Nous vivons dans la rue. Nous mourrons dans la rue. Pas de maison, pas de repos, pas de famille, pas de boulot. Rien. Quelquefois un ami à quatre pattes, fidèle et loyal. Nous mendions. On espère attirer l’attention pour quelques pièces afin de nous nourrir. Nous portons des guenilles, nous ne sommes pas toujours propres, nous buvons beaucoup parfois, pour nous réchauffer et parce que la bouteille, hélas, console et remplit le vide de notre solitude. Certains nous aident. La plupart nous ignorent ou feignent de nous ignorer. On ne nous voit pas. Les sourires sont rares. On ne le sait pas mais les mêmes qui nous ignorent ou nous traitent d’alcoolos écrivent parfois sur leurs réseaux sociaux qu’au lieu d’aider des migrants, on ferait mieux de s’occuper de nos pauvres dans la rue. S’ils savaient comme on s’en fout, comme on est loin de tout ça! Qu’ils la gardent leur bonne conscience! Nous avons déjà changé d’emplacement ou de ville. Ou bien nous sommes partis vers le grand nulle part car le froid et la faim ont eu notre peau…
Nous n’avons pas la bonne couleur de peau, le bon nom de famille, la bonne religion. On doit jouer des coudes pour s’imposer car on nous méprise et on nous montre du doigt. Etrangers dans notre propre pays. Nous aimerions fuir, nous sommes encore jeunes. Mais ailleurs, est-ce que ça sera mieux?
Nous n’avons pas de boulot. Nous sommes pauvres. Nous avons des enfants. On ne vit pas, on survit. Et les autres nous traitent de feignants et d’assistés de luxe. Le luxe dans un taudis? C’est comment chez eux? En hiver, on a pas le chauffage, on a des courants d’air. Ah oui, on aimerait partir pour que nos gosses aient un avenir radieux. Mais sans argent…
Nous avons travaillé toute notre vie, très dur, jour après jour. Et on nous donne pas grand-chose pour vivre, à la fin du mois. On est vieux, on a qu’à aller à l’hospice! Nous aussi, on voudrait partir, avoir une retraite dorée au Sud. Mais on ne peut pas tous se la payer. Ils nous narguent avec leurs croisières Costa quand on peine à remplir le frigo. Partir pour mourir ailleurs, mais où?
On devrait tous rester. On devrait vivre ensemble, se serrer les coudes, être solidaires les uns envers les autres. Mais nous sommes trop concentrés sur nos propres problèmes. Alors, on rêve d’ailleurs et de vie meilleure. Certains ne partiront jamais. Certains seront sans cesse sur les routes de ce vaste monde. Pourtant, nous sommes les rois du monde car nous sommes nombreux. Mais nous ne le savons pas…
MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS-Gimme shelter
Jacob (Asa Butterfield) est un adolescent californien qui s’ennuie dans son quotidien. Sa seule consolation est son grand-père Abe (Terence Stamp) qui lui raconte des histoires à propos d’enfants « particuliers » et de monstres terrifiants qui veulent les tuer. Après la mort mystérieuse et violente de Abe, Jacob va partir à la recherche du passé de son grand-père et rencontrer Miss Peregrine (Eva Green) et ses « enfants ». Les histoires d’Abe n’étaient peut-être pas que pure fiction…
« Et maintenant, que vais-je faire? » chantait Gilbert Bécaud. C’est aussi ce que semble se demander Tim Burton, à l’occasion de ce nouveau film. Et maintenant? Quelles histoires me reste-t-il à raconter? Quels univers me restent-ils à explorer? Ai-je encore la force de continuer? Ai-je un héritage artistique? Qui prendra ma suite?… Autant de questions qui semblent parcourir cet étrange long-métrage. Pas étonnant quand on sait que la place de l’artiste dans la société et son rapport à la « norme » collective sont des thèmes qui reviennent sans cesse dans l’oeuvre de Tim Burton. Mais depuis deux films, Burton semble vouloir aborder frontalement des aspects peu complaisants envers lui-même. Dans le mésestimé Big Eyes (2014), Burton nous parlait de sa « schyzophrénie » artistique (dualité entre l’artiste intègre et l’artiste corrompu ne travaillant que pour l’argent) et de son style devenu une marque que lui-même a parfois utilisé avec paresse et que les autres ont pompé sans vergogne. Dans ce Miss Peregrine’s Home For Peculiar Children (titre original), Burton commence à envisager sa vieillesse ainsi que sa propre mort. Il se demande aussi si d’autres reprendront le flambeau après lui.
Miss Peregrine est un film « particulier », au charme désuet, que sa bande-annonce essaie de vendre comme un X-Men First Class version Tim Burton. Hors le film n’est pas un gros film spectaculaire. S’il y a bien des séquences spectaculaires, elles font partie d’un film au rythme paisible et qui demeure, avant tout, une œuvre nostalgique et mélancolique. Bien sûr, on voit tout de suite ce qui a intéressé Burton dans cette histoire, adaptée des romans de Ransom Riggs: un jeune héros, qui comme Burton au même âge, se sent différent, décalé et mal à l’aise dans la Floride ensoleillée où il habite; des enfants différents, marginaux et possédant des pouvoirs extraordinaires (comprendre, comme toujours chez Burton, un don artistique) qui vivent à l’écart du monde pour s’en protéger. On navigue sur un terrain « burtonien » connu. Mais c’est le traitement que Burton imprime à tout ceci qui rend le film si attachant.
Tim Burton, ancien dessinateur/animateur, est devenu réalisateur un peu par hasard. Au fil de ses films, il a apprit son métier, jusqu’à l’assumer pleinement. Il a aussi appris à composer avec les nouvelles technologies (effets spéciaux numériques, 3D). Pourtant, Miss Peregrine est un film « à l’ancienne ». Burton a choisi une forme classique. Son style est ample et maîtrisé. Il utilise le numérique avec justesse et lui donne un look rétro qui renvoie à la stop motion de ses débuts (les déplacements des effrayants Creux). D’ailleurs, dans ce film, Burton affirme sa foi et son amour pour les « vieux » films qui ont bercé son imaginaire. Il s’agit de retrouver le goût des merveilles passées et de faire revivre une formule ayant fait ses preuves. Burton convoque les monstres invisibles qui effraient les enfants, exile son histoire dans un coin perdu du Pays de Galles (le Vieux Continent opposé à l’Amérique fadasse dépeinte dans l’intro) et utilise des éléments qui symbolisent le passé: une séquence en stop-motion, une armée de squelettes digne de Ray Harryhausen, une épave de la Grande Guerre sortant du fond des mers,…Le passé ne meurt pas, les films anciens non plus. On peut s’y réfugier, loin d’un modernisme stressant. La plus belle idée du film, et qui symbolise cette idée de refuge dans le passé, reste cette boucle temporelle qui fait revivre éternellement aux jeunes héros la même journée de 1943. Enfin, le personnage d’Enoch, capable de donner la vie à l’inanimé, apparaît comme l’alter ego de Tim Burton, l’artiste qui redonne vie à ce qui est mort…
Le film fait la part belle à ses personnages, tout en offrant un spectacle fantastique de qualité. Burton y dépeint la force de l’amitié et de la tolérance. Il nous offre aussi une histoire d’amour délicate et très émouvante. Mais sous cette innocence enfantine, pointe une noirceur cruelle. On y mange les yeux d’enfants qu’on tue sans regrets. On garde le cadavre d’un mort, éternellement, dans une chambre. Ce dernier point est à rapprocher de cette idée de garder en vie le passé, quitte à s’enfermer dans la folie. Malgré cela, le film affirme sa foi dans l’enfance et ses rêves et en sacralise l’innocence. L’imagination est une chose précieuse qu’il faut transmettre. Comme dans Ed Wood, une passation de pouvoir entre « artistes » ou « grands enfants » se fait via Jacob et son grand-père. Les rêves doivent être transmis. Burton pense sûrement à ses propres enfants et aux jeunes artistes qui s’inspireront un jour de lui. Le film se finit sur cette éternelle question burtonienne: faut-il vivre dans la réalité ou dans ses rêves? Peut-on accommoder les deux? On serait tenter de répondre oui à la vue de ce très joli conte fantastique mais, cette fois, Burton semble vouloir vraiment préférer le Pays Imaginaire. Et peut-être, pense-t-il à son départ définitif de ce monde….
Note: 4/5
Miss Peregrine’s Home For Peculiar Children, avec Eva Green, Asa Butterfield, Terence Stamp, Judi Dench et Samuel L. Jackson, en salles depuis le 5 octobre