LINCOLN-La mort était au rendez-vous
1865. Les Etats-Unis s’embourbent dans la Guerre de Sécession, un conflit qui durent depuis 4 ans et qui a fait des millions de morts. Le président républicain Abraham Lincoln (Daniel Day-Lewis, tout simplement extraordinaire!), nouvellement réélu, souhaite faire adopter, par le Parlement, un treizème amendement visant à abolir l’esclavage. Une tâche qui va s’avérait ardue…
Il y a quinze ans, sur un sujet qui traitait déjà de l’esclavage, Steven Spielberg avait réalisé Amistadt. Le film était raté, assez ennuyeux, didactique et finalement peu inspiré. Mis à part les scènes de mutinerie sur la Amistadt, il n’y avait pas grand-chose à sauver. Et tout le monde se souvient du personnage de Morgan Freeman qui ne servait absolument à rien. Bref, impossible de retrouver le génie de Spielberg dans ce film bavard et sentencieux. La perspective de le revoir faire un film sur le sujet, nous laissait partagés. Soit il refaisait Amistadt en mieux, soit il nous pondait le même genre de film lénifiant. La bande-annonce et les premiers echos du film dans la presse américaine semblait entériner la deuxième version. Après vision, force est de reconnaître que Spielberg a corrigé le tir, même si son film demeure un tantinet bavard.
Lincoln est un film passionnant. Et c’est une véritable gageure, vu le sujet! A 80%, ce film traite de machinations politiques et de droit (constitutionnel ou juridique). Mais Spielberg y apporte du rythme et surtout, pas mal d’humour. Et on se passionne pour toute ces tractations politiques. Lincoln est un film politique, complexe mais qui ne laisse pas le facteur humain de côté. La truculence de deux seconds rôles, notamment, apporte beaucoup d’air frais à l’ensemble: il s’agit de James Spader (un revenant!) et Tommy Lee Jones. Les insultes de ce dernier sont à se tordre. Mais l’humanité du personnage et ses motivations personnelles, nous seront dévoilées, à la fin, dans une scène cocasse et trés touchante. Alors, bien sûr, 2h30 sur un tel sujet, c’est un peu long et certains aspects peuvent paraître obscurs aux spectateurs, mais le film réussit l’exploit de nous intéresser à la politique américaine et à ses arcanes complexes.
Lincoln demeure, pourtant, un film de Steven Spielberg, que ce soit du point de vue technique ou thématique. Côté réalisation, c’est une leçon de mise en scéne. Chaque échange verbal, chague geste, fait l’objet d’un plan lourd de sens. On pourrait presque parler de chorégraphie visuelle appliquée à de longues scènes de joutes oratoires. Les hésitations des personnages et leurs positions de faiblesse ou de force nous apparaissent ainsi naturellement. Le dernier à avoir fait cela, est John McTiernan sur l’excellent Basic, en 2003 (ah! Les scènes d’interrogatoires!). On retrouve aussi l’utilisation des surfaces réfléchies, caractéristique du cinéma de Spielberg. La deuxième fois où nous voyons Lincoln, avec sa femme (Sally Field), il nous apparait dans un miroir. Durant toute la scène, sa femme s’adresse au miroir pour lui parler. Une façon de montrer que cet homme est une légende mais aussi que sa mort brutale et son destin tragique sont inéluctables. Sa femme a des dons de voyance, cela sonne donc comme un avertissement. Et c’est dans le portrait intime de Lincoln, que le film de Spielberg prend tout son sens.
Car Lincoln n’est pas qu’une leçon d’histoire. Comme La Liste de Schindler, c’est une odyssée personnelle, le portrait intime d’un homme et de son parcours « héroïque ». L’obsession numéro un de Spielberg, la famille et ses dysfonctionnements (rappelons que Spielberg a été traumatisé, enfant, par le divorce de ses parents et qu’il est maintenant père de sept enfants, dont des enfants adoptés), est bien sûr présente dans le film, que ce soit dans les rapports entre Lincoln et sa femme ou avec ses deux fils. La famille Lincoln a été marquée par un drame, la mort d’un troisième enfant. Le couple Lincoln n’a pas la même façon de réagir face à ce deuil. L’épouse en est perturbée et parfois hystérique, ce qui amène Lincoln à lui avouer, lors d’une dispute, qu’il aurait du la faire interner. Plus intéressants encore sont les rapports de Lincoln avec ses deux fils. Le cadet, âgé de neuf ans, est un petit enfant turbulent qui transforme la Maison-Blanche en terrain de jeux et auquel son père semble passer tous ses caprices. Un enfant « spielbergien » typique! L’aîné est un jeune homme plus calme (incarné par Joseph Gordon-Levitt) en apparence. Mais il s’oppose à son père. Il ne veut pas finir ses études de droit et veut se battre à la guerre comme les autres. En somme, et il l’avoue à demi-mot, il ne veut pas ressembler à son père, ni devenir comme lui. La figure paternelle chez Spielberg est toujours remise en question, et Lincoln n’échappe pas à la règle.
Autre grand thème spielbergien: la figure du « témoin du mal » et sa prise de conscience face à la violence du monde. Lincoln avouera se battre contre l’esclavage car, jeune homme, il a vu un convoi d’esclaves noirs dans un bateau et en a été révolté. Le flash-back ne nous est pas montré mais difficile de ne pas penser à Oskar Schindler, sur le quai d’une gare, voyant des Juifs entassés dans un train de marchandises. Cette vision l’horrifie et lui fait prendre conscience de la situation. Schindler, comme Lincoln, décidera d’agir pour enrayer la barbarie et l’injustice. Toutefois, Spielberg se refuse à « angéliser » Lincoln. Ce dernier a quand même recours à la corruption pour faire voter son amendement!
Mais dans Lincoln, le fils aîné du Président joue aussi ce rôle de « témoin du mal » quand il découvre ce que deviennent les membres amputés des soldats blessés. Là aussi, on voit comme un écho à un autre personnage de la filmographie de Spielberg: la petite Dakota Fanning de La Guerre Des Mondes découvrant des corps flottant sur une rivière ensanglantée. L’innocence de la jeunesse est corrompue par les actes violents, chose que Spielberg a toujours soulignée (c.f Empire Du Soleil, sur ce thème).
La mort est présente partout. Elle est d’ailleurs centrale dans Lincoln. Le film débute sur une scène de bataille où des soldats noirs du Nord massacrent des soldats sudistes pour se venger de l’esclavage. Et le film se clôt sur la mort brutale de Lincoln. Car finalement, toute cette histoire ne semble être que le voyage d’un homme qui avait rendez-vous avec l’Histoire…et avec son destin, à savoir son assassinat. Comme si tout avait été décidé à l’avance, comme si Lincoln l’avait lui-même deviné. Ses dernières paroles? « J’aurais aimé rester mais je dois partir. » Lourd de sens! La dernière vision que l’on a du personnage (via le regard de son majordome noir)? Il s’en va, à contre-jour et nous tourne le dos, silhouette sombre sortant du décor….Spielberg ne nous montre pas son assassinat. Mais la façon dont on l’apprend, dans le film, est l’une des séquences les plus fortes de son auteur. Une image terrible de désespoir et de douleur, encore une fois symbolique de l’innocence perdue et du passage brutal à l’âge adulte…. Note: 16/20
Lincoln de Steven Spielberg, avec Daniel Day-Lewis, Sally Field, David Strathairn, Joseph Gordon-Levitt, James Spader, Hal Holbrook et Tommy Lee Jones, en salles depuis le 30 janvier.
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