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RETOUR A WHITECHAPEL-Lost girls

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Londres, automne 1941. La ville vit sous l’enfer du Blitz, les bombardements nocturnes de l’aviation allemande. Amelia Pritlowe, une infirmière âgée de 55 ans, soigne les blessés au London Hospital. Bientôt, elle va découvrir un secret de famille douloureux. Sa mère n’est pas morte de maladie quand elle était petite enfant comme son père (aujourd’hui décédé lui aussi) lui a toujours dit. Sa mère était Mary Jane Kelly, la cinquième et dernière victime de Jack l’Eventreur, assassinée le 9 novembre 1888, à son domicile de Miller’s Court, dans le quartier londonien de Whitechapel. Comme toutes les victimes de l’Eventreur, Mary Jane était une prostituée. Amelia décide alors de partir à la recherche de sa mère, en enquêtant sur Jack l’Eventreur. Elle infiltre une socité de ripperologues, la Filebox Society, et commence ses investgations.

Michel Moatti, ancien journaliste et correspondant de l’agence Reuters, est un passionné de l’affaire Jack l’Eventreur. Il a lu tout ce que la littérature a consacré au sujet. Il a épluché tous les documents historiques à la disposition du public. Après un travail minutieux, il est parvenu à une théorie sur l’identité de Jack l’Eventreur. Il n’est pas le premier et ne sera sans doute pas le dernier. Sa théorie est plutôt cohérente et s’appuie sur des éléments troublants. Elle n’a donc rien de fantaisiste. Mais plutôt que d’écrire un livre-enquête sous forme de document, il a choisi la voie de la fiction. Rassurez-vous, il donne des explications dans une postface. Au vu de ce roman, qui s’avère excellent, on se dit que Moatti a fait le bon choix.

Le livre est admirablement construit: extraits du journal intime d’Amelia Pritlowe, extraits d’articles et de dépositions de 1888, flash-backs fictionnels. On a l’impression de progresser dans l’enquête avec l’héroïne. D’autant que la relation des meurtres de l’éventreur est d’une grande exactitude sur le plan de leur déroulement. On y plonge vraiment et ceux qui ne connaissaient pas cette triste affaire ne seront pas perdus et en comprendront tous les aspects. Mais le grand tour de force, c’est le personnage principal, l’infirmière Amelia Pritlowe. On croirait presque à la véracité de son existence. L’auteur sait admirablement bien  nous faire partager son état d’esprit. Amelia est une femme volontaire et déterminée dans sa quête de la vérité. Mais elle est aussi trés fragile. Orpheline de mère, elle se met à découvrir vraiment celle-ci. On la sent émue, touchée et meurtrie par le funeste destin de sa mère. C’est, au fond d’elle-même, une petite fille qui ressent un manque maternel. Mais son chagrin va se muer en colère. Elle décide de traquer l’Eventreur. Michel Moatti a une prose précise et élégante. Il fait aussi preuve d’une grande pudeur et d’une vraie émotion. Les extraits du journal de Amelia semblent si vrais qu’on y croirait. L’idée de faire d’une femme le personnage principal est judicieuse. On fait toujours enquêter des hommes sur Jack. Et puis, pour chasser ce monstre mysogine et sanguinaire, une femme fait trés bien l’affaire!

Car ce roman est « féministe », dans le sens où c’est le point de vue de la femme qui est privilégié. Moatti nous décrit les dernières heures des cinq victimes, en nous dévoilant leurs pensées et leurs tourments. Il rend justice et fait un devoir de mémoire extraordinaire envers Polly Nichols, Annie Chapman, Catherine Eddowes, Elisabeth Stride et Mary Jane Kelly. Et, à travers elles, c’est à toutes les prostituées de l’East End qu’il nous propose de nous attacher. Leur quotidien de misère, de déchéance et de malheur est formidablement bien rendu. Ajoutons à cela une description fidèle et trés précise des bas-fonds londoniens et des conditions de vie des pauvres, et vous obtenez un roman qui devient obsédant et déchirant. C’est la voix des filles de joies qui montent de ces pages ainsi que celles de tous les laissés pour compte. C’est le vrai visage de l’Angleterre victorienne et de la révolution industrielle. Quant à Jack l’Eventreur, il incarne la haine des parvenus face aux miséreux: une haine sociale et de castes. Le mépris de la bonne société envers les filles de Whitechapel a peut-être joué dans l’enquête. Alors n’oublions pas Polly, Annie, Catherine, Elisabeth et Mary Jane ainsi que toutes les autres. Note: 18/20

Retour à Whitechapell de Michel Moati, HC Editions, 2013

30 mai, 2013 à 9 h 30 min


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