LA FILLE DERRIERE LE RIDEAU DE DOUCHE-Pulsions
En 1988, Marli Renfro, la femme qui avait servi de doublure à Janet Leigh pour la célèbre scène de la douche du Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock, est brutalement assassinée. Simple coïncidence? A l’époque de la sortie du film, déjà, la police de Los Angeles avait suspecté du meurtre de plusieurs femmes un certain Sonny Bush, jeune homme qui avait vu Psychose et ressemblait étonnamment au personnage de Norman Bates…
Ce livre n’est pas un roman. C’est une histoire vraie. Il est écrit par le journaliste Robert Graysmith, auteur de deux livres références sur le Tueur du Zodiaque, qui ont permis de mettre un nom et un visage sur ce terrible serial-killer resté impuni. Ses deux livres ont été adaptés à l’écran, en 2007, par David Fincher via son remarquable Zodiac. Dans le film, Robert Graysmith était interprété par Jake Gyllenhaal (vu récemment dans Prisoners). Graysmith s’est spécialisé dans l’histoire criminelle des Etats-Unis. Cette fois, il s’attache à dépeindre le destin d’une pin-up qui l’obsède depuis l’adolescence: Marli Renfro. Mais son livre est bien plus que ça.
Tout d’abord, c’est une formidable évocation du cinéma de la fin des 50′s et du début des 60′s. Nous assistons au tournage de Psychose et de la mythique scène de la douche, nous croisons Alfred Hitchcock, Janet Leigh, Tony Curtis mais aussi Francis Ford Coppola et Russ Meyer. Car Psychose a changé la face du cinéma, et a ouvert la voie à un cinéma plus frondeur et plus transgressif. Ce sera d’abord les Nudie Cutie, ces films où des pin-up dans le plus simple appareil, et aux formes généreuses, s’ébattent joyeusement à chaque scène. Mais Graysmith évoque aussi le magazine Playboy, Las Vegas, ses casinos, ses strip-teaseuses et ses gangsters. Le monde du spectacle est varié et complexe à l’époque! Et des liens se tissent parfois entre Hollywood et Vegas. Le tableau est précis et passionnant. C’est tout un monde disparu que Graysmith ressuscite sous nos yeux. Comme dans un film, on s’y croirait!
Ensuite, le livre évoque une affaire criminelle qui avait défrayé la chronique dans le Los Angeles de 1960: les crimes de l’Etrangleur à la Balle. Au milieu de l’histoire de Marli Renfro et de Psychose, nous est contée l’itinéraire d’un jeune homme frustre, qui vit avec sa mère et qui tue des femmes âgées: Sonny Busch. Le type est schyzophrène et a des absences. Est-il aussi l’Etrangleur à la Balle? Le chef des inspecteurs Thad Brown (que James Ellroy a utilisé dans ses romans) enquête. Busch sera arrêté pour trois meurtres. Mais il n’a jamais avoué les autres. Et personne n’a jamais été pris pour les crimes de l’étrangleur….Le parallèle Sonny Busch/ Norman Bates est fascinant. Pour le personnage de Bates, le romancier Robert Bloch s’était inspiré d’un véritable tueur en série: l’horrible Ed Gein, de sinistre mémoire. La réalité s’est inspirée de la fiction…qui s’était inspirée de la réalité! Pour être juste, Bush n’a pas été inspiré par Bates (il a commencé à tuer quelques mois avant d’avoir vu Psychose) mais le film de Hitchcock a été une révélation pour lui et le personnage de Bates l’a fasciné. Graysmith pointe du doigt ce qui n’allait pas dans la société américaine de 1960: le puritanisme et le refoulement sexuel. Les hommes étaient obsédés par les femmes….qu’il ne pouvaient pas toucher hormis dans les liens du mariage. Le sexe était honteux. L’Amérique était une nation de voyeurs et de pervers en puissance. Hugh Heffner l’avait compris en créant Playboy et ses photos de filles nues. Les producteurs de casinos et de films érotiques l’avaient aussi compris. Hitchcock l’avait compris, à un degré supérieur. Psychose parle de pulsions sexuelles réfrénées qui deviennent des pulsions meurtrières. Exactement le cas des meurtres de Sonny Busch et de l’Etrangleur à la Balle.
Enfin, il y a Marli. Le livre en entier est une gigantesque déclaration d’amour à Marli Renfro. Comme dans le film Laura, l’enquêteur-écrivain tombe amoureux de l’objet de son enquête: une femme assassinée. Ce livre est l’histoire de Marli, une femme belle, intelligente, sympathique, déterminée et farouchement libre. Le lecteur tombe amoureux d’elle à son tour. On a l’impression de bien la connaître. A travers son parcours, Graysmith rend hommage à toutes ces jeunes filles des 60′s, éprises de liberté et de réussite. Des femmes comme Marli Renfro ont beaucoup fait pour la libération sexuelle des années 60 et 70. Mais le chemin de Marli est aussi marqué par le crime. Elle est (faussement) assassinée dans une douche; sans le savoir, elle vit à deux pas d’un tueur qu’elle ne rencontrera jamais et 28 ans plus tard, elle mourra assassinée par un simple réparateur de 44 ans, lui aussi tueur en série. Malgré la libération des mœurs, la violence des hommes envers les femmes est toujours présente. Le fantôme de Norman Bates rode encore. Graysmith rend un autre hommage: un hommage à toutes ces femmes assassinées et dont, pour certaines, les crimes sont restés impunis. C’est la voix de ses femmes qui obsèdent Graysmith, tout comme elle a obsédé l’écrivain James Ellroy avant lui (le livre lui est dédié), dont la mère avait assassinée en 1959.
Précis, passionnant, romanesque, parfois drôle, parfois tragique, La Fille Derrière Le Rideau De Douche est un livre qu’on ne lâche pas avant sa conclusion. D’autant que l’auteur y fait une surprenante découverte…. Note: 18/20
The Girl In Alfred Hitchcock’s Shower (2010), de Robert Graysmith, éditions Denoël (2014), 373 pages
2 Commentaires pour “LA FILLE DERRIERE LE RIDEAU DE DOUCHE-Pulsions”
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eh bien! mouvementé! moi, je n’aime pas trop les policiers avec plein de sang…Peut-être que je devrais m’abstenir.
12 mars, 2014 à 19 h 02 minDernière publication sur Pas de nouvelles bonnes nouvelles : Le sac
Peut-être, en effet… Mais je l’ai écrit: ce n’est pas qu’une chronique criminelle…Et si ce livre se lit comme un roman, ce n’en est pas un!
13 mars, 2014 à 9 h 52 min