MORIARTY- L’ennemi invisible
Près de trois ans après l’excellent « La Maison De Soie », Anthony Horowitz, toujours avec l’aval des ayants-droits de Conan Doyle, publie un nouveau roman sur Sherlock Holmes. Cette nouvelle histoire commence juste après la confrontation entre Holmes et Moriarty aux chutes du Reichenbach, confrontation qui se solde par la mort des deux antagonistes. Du moins selon la version officielle, car on sait que Holmes a survécu mais qu’il a choisi de se faire passer pour mort durant trois ans, de 1891 à 1894, période que les holmésiens appellent le Grand Hiatus. Le roman de Horowitz commence cinq jours après le drame du Reichenbach, avec la rencontre entre l’inspecteur principal de Scotland Yard Athelney Jones et un détective de l’agence américaine Pinkerton, Frederick Chase. Tous deux se lancent à la poursuite d’un mystérieux criminel américain, Clarence Devereux, qui semble vouloir prendre la place laissée vacante par Moriarty à Londres. La partie commence…
Il faut tout de suite évoquer le principal défaut du roman. En soi, c’est très couillu de la part d’Horowitz et c’est d’une grande originalité mais la frustration est quand même grande chez le lecteur. On ne verra jamais Sherlock Holmes et le docteur Watson de tout le roman! Du coup, ce n’est pas vraiment une enquête de Sherlock Holmes. Ici, c’est une enquête de l’inspecteur Jones de Scotland Yard. Mais l’ombre de Holmes est omniprésente. Jones applique les méthodes de Holmes et s’avère aussi doué (plus?) que lui. Du coup, on a un Holmes bis. On voit que les méthodes de Holmes ont fait école et influencent désormais la police. C’est une forme d’héritage. Néanmoins, à ce compte, on aurait préféré voir le vrai Holmes. Mais Athelney Jones est un personnage intéressant et terriblement humain: il est marié, père d’une petite fille de six ans, handicapé (il boite et marche avec une canne) et demeure obsédé par Holmes. Quant à Frederick Chase, il est intuitif, porté sur l’action et admire les méthodes de Jones, pour qui il se prend d’amitié et de loyauté. C’est lui qui raconte l’histoire à la première personne. Bref, c’est un nouveau Watson. Au final, nous avons bien une aventure de Holmes et Watson, mais de façon déguisée. Original mais frustrant. Frustrant mais original.
Concernant l’intrigue et le style de l’auteur, on retrouve ici intact le talent dont Horowitz faisait preuve sur La Maison De Soie. L’histoire est diabolique à souhait, pleine de chausse-trappes et de fausses pistes, émaillée de nombreuses péripéties. Le rythme est soutenu et on ne s’ennuie jamais. Horowitz, une fois de plus, restitue brillamment l’Angleterre victorienne: les bas-fonds, les docks, les clubs populaires, les ambassades et leurs soirées mondaines,…Son récit est parsemé de trouvailles qui font mouche: la réunion des inspecteurs de Scotland Yard, une scène de crime particulièrement barbare, un jeune adolescent inquiétant, un méchant insaisissable et atteint d’une grave phobie, l’officine très particulière d’un étrange barbier, un attentat spectaculaire, etc. Bref, c’est du grand art, écrit de main de maître dans un style digne de Conan Doyle! Et il y a quelques références au Canon holmésien que les fans apprécieront.
Moriarty demeure un roman passionnant mais aussi un roman sombre, désespéré et très cruel. L’enquête de nos deux héros ne se fera pas sans mal et les mènera à affronter un ennemi bien plus retors qu’il n’y parait. L’inspecteur Jones (qui avait croisé Holmes sur l’affaire du Signe des Quatre) a une revanche à prendre, à la fois sur Holmes (il s’est senti humilié par ce dernier) et sur la vie (son handicap). Il se sent diminué et fait tout pour exister aux yeux des autres et que son travail soit reconnu. Chase est lui déterminé à venger la mort d’un de ses collègues, quelque en soit le prix. Mais si l’ombre de Holmes plane sur cette histoire, celle de son machiavélique ennemi est aussi présente. Et l’on se pose une question tout du long: le professeur Moriarty a-t-il survécu aux chutes du Reichenbach? Jones et Chase vont-ils devoir se mesurer à deux criminels d’exception: Moriarty et Clarence Devereux?
A noter que le roman est suivi d’une courte nouvelle, Les Trois Reines, une enquête antérieure au récit qui précède et qui met en scène une enquête de Holmes, relatée par le fidèle Watson. Une nouvelle bien dans la mouvance de Conan Doyle mais qui laisse un goût amer…
Note: 16/20
Moriarty, de Anthony Horowitz, 360 pages, Calmann-Lévy.
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