AMERICAN SNIPER-Une histoire de violence
Assassiné en 2013 par un marine perturbé à qui il tentait de venir en aide, Chris Kyle est le sniper le plus connu de l’armée américaine. Il a sauvé la vie de nombreux soldats américains lors de la deuxième guerre d’Irak et possède aussi le triste record du plus grand nombre de personnes abattus à son actif. Ce film est son histoire.
A 84 ans, Clint Eastwood est toujours au mieux de sa forme. Son film est une leçon de mise en scène et papy Clint met à l’amende tous ces jeunes réalisateurs qui font des films comme on fait un clip musical. Toutes les scènes se passant en Irak sont d’un réalisme saisissant. On est dans l’enfer irakien avec les soldats américains. Cette guerre urbaine est ici retranscrite avec brio. Nerveuse, précise, ample, la réalisation de Clint Eastwood reste cependant constamment lisible et efficace. Le conflit est filmé à hauteur d’homme. La violence n’est pas éludée. Le spectateur est aussi stressé que les marines américains. A ce niveau-là, c’est du grand art! L’affrontement final est digne de Fort Alamo!
Mais c’est le traitement de l’histoire de Chris Kyle qui reste le moteur de l’œuvre. Eastwood n’en fait ni un salaud, ni un héros. Il montre les horreurs inhérentes à la guerre. Kyle est seul face à sa conscience quand certains dilemmes se posent à lui: tuer un enfant kamikaze ou sauver la vie de ses amis? Le sniper est seul, en hauteur (remarquable de constater que dès qu’il descend dans les rues irakiennes, il n’est plus un dieu de la mort mais un simple mortel vulnérable). Il a la mort au bout de son arme. C’est un artiste de la mort. Et Clint de s’interroger et d’interroger la conscience de son pays: pourquoi acclamer un homme qui a semé la mort? Qu’est-ce qui ne va pas dans cette société-là? Est-ce que Kyle mérite ses éloges? Oui car il a sauvé des vies…mais à quel prix? D’autres vies ont été prises et le personnage y a perdu son âme. La fascination de l’Amérique pour la violence et les héros violents est ici montrée du doigt. Mais Clint ne juge pas. Le problème est trop complexe pour faire un film moralisateur. Clint montre le mal. Il met le doigt où ça fait mal et nous laisse avec nos questions et nos doutes.
L’interprétation de Bradley Cooper est remarquable. Le comédien fait passer toute une gamme d’émotions à travers son regard: amour, courage, détermination, colère, rage, peur, angoisse, impuissance, dépression,…Cooper y trouve le rôle de sa vie. Et c’est le portrait de ce « héros » qui est le cœur du film. Le personnage présenté dans le film est un homme marqué par la violence, à l’image du pays où il est né. De son enfance, où son père lui apprend à tirer et lui inculque des valeurs réactionnaires sur la vie et les gens en passant par son entraînement à la dure et ses missions en Irak, Kyle était quasiment prédestiné à son destin. Sa vie serait dédiée à la mort et à la violence. L’homme aime sincèrement sa femme et ses deux enfants mais il demeure sans cesse ce guerrier, toujours sur le qui-vive, et paranoïaque. C’est bien sûr la parfaite métaphore des héros rentrés au bercail, des héros traumatisés, hantés par des atrocités dont ils ont été les témoins et les acteurs. La défense de valeurs patriotiques les a rendus inaptes à la vie civile. Eastwood fouille avec acuité le syndrome post-traumatique des vétérans. Kyle regarde la vie autour de lui comme s’il était toujours en guerre. La guerre est une drogue dure dont il est difficile de se débarrasser. Ses confrontations avec son frère lui-même marine traumatisé par le conflit et avec des mutilés de guerre , le conduiront vers l’apaisement. Et il sera, d’une façon ironique, rattrapé par la violence. Tué par un de ses frères d’armes qu’il essayait d’aider. Le mal est tapi en chacun de nous. On retrouve ici l’une des thématiques chères au réalisateur de Mystic River.
Seul bémol du film: le portrait de Chris Kyle a été quelque peu adouci. Dans son livre, ce dernier tenait des propos racistes et regrettaient de ne pas avoir tué plus de monde. Le Chris Kyle présenté dans le film n’est pas tout à fait le vrai Chris Kyle . Du coup, les images d’archive utilisées à la fin sont maladroites. Le film n’est pas un documentaire, c’est une fiction. Eastwood voulait juste montrer la ferveur autour de son anti-héros. Il aurait mieux valu finir avant ou procéder à une reconstitution, le film prenant quelques libertés avec la réalité.
Il faudra aussi, un jour prochain, montrer le conflit irakien du point de vue des Irakiens. C’est une guerre incroyablement complexe, le seul point de vue américain ne suffit plus. Eastwood essaie de réparer ceci avec le sort réservé à ceux qui collaborent avec les Américains (une scène insoutenable et forte) et le personnage du sniper syrien, Mustafa. Lui aussi assassin silencieux, père de famille. Un fantôme se déplaçant sur les toits. Son duel, à distance, avec Kyle est bien rendu. Si loin, si proches… Note: 17/20
American Sniper, de Clint Eastwood, avec Bradley Cooper et Sienna Miller, en salles depuis le 18 février.
2 Commentaires pour “AMERICAN SNIPER-Une histoire de violence”
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Clint Eastwood est un excellent réalisateur cela ne fait aucun doute mais croyez-vous réellement qu’il nous a présenté le personnage principal comme n’étant ni un salaud, ni un héros ?
27 mai, 2015 à 16 h 17 minDernière publication sur Les Critiques d'Ali : Vice-Versa, un Pixar haut en couleur et fort en émotions
Oui, je le crois. Il est au carrefour entre les 2 notions mais Eastwood nous laisse seuls juges, au final.
27 mai, 2015 à 17 h 01 min