SICARIO-The descent
Un agent du FBI (Emily Blunt) est recruté par un mystérieux consultant de la Défense (Josh Brolin) dans une opération de grande ampleur contre les cartels mexicains de la drogue. Elle sera amenée à collaborer avec un agent trouble (Benicio Del Toro), perdra ses illusions et découvrira un univers impitoyable.
Le nouveau film du canadien Denis Villeneuve (Incendies, Enemy, Prisoners) est un pari très risqué. Le grand public venu chercher un thriller d’action à la Jason Bourne sera déçu. Les partisans du chichiteux et bavard Traffic de Soderbergh (où déjà Del Toro officiait…et sauvait le film) aussi. Pourtant, il y a de l’action. Pourtant, il y a un discours politique. Pourtant, c’est un film d’auteur qui porte la marque de son réalisateur. Non, ce qui va perdre le public et le décontenancer, c’est la parti-pris narratif casse-gueule de sa première partie.
La thématique du labyrinthe est une constante dans les films de Villeneuve. Ici, elle prend une importance quasi-démesurée. Pendant une première moitié de film, nous épousons complètement le point de vue du personnage principal. Comme elle, nous avançons dans le brouillard et ne comprenons pas tout les enjeux narratifs du film. On s’identifie beaucoup à elle. Pourtant, le personnage est en retrait. Ce qui est paradoxal, c’est que ce personnage neutre, qui subit plus qu’il n’agit, nous semble proche. Ce n’est pas un caractère fort mais ce qui nous le fait aimer malgré tout, c’est l’interprétation sensible et touchante d’Emily Blunt, dont la beauté diaphane sied à merveille à son personnage. Cet agent du FBI est une petite fille qui se perd dans un labyrinthe complexe, une Alice qui descend dans un pays des merveilles détraqué. Ce qui fait la force du film à ce moment-là, c’est que nous sommes perdus face à ce qui se passe. Tout est opaque et nébuleux. Et pourtant, on est scotché. La beauté des images, la tension qu’imprime Villeneuve à chaque instant (même les discussions les plus anodines), tout cela nous hypnotise et nous captive.
La réalisation de Villeneuve est époustouflante. Comment le film n’a-t’il pas obtenu le Prix de la mise en scène à Cannes demeure un mystère… Filmé avec des plans larges majestueux, Villeneuve nous perd dans un labyrinthe, une fois de plus! Il s’amuse à isoler un hélicoptère via son ombre sur le sol dans un plan aérien où nos yeux se perdent dans le paysage contemplé. Toutes les topographies des lieux sont conçues pour nous perdre, comme si nous étions en immersion dans des endroits inconnus (les paysages, les vues aériennes, le labyrinthe (!) des rues de Juarez). Mais Villeneuve se montre aussi à l’aise dans le suspense, la tension et sait resserrer sa mise en scène. Les scènes d’action sont filmées nerveusement mais toujours avec une pointe de mystère et une certaine distance, quand nous collons aux basques d’Emily Blunt. La photographie de Roger Deakins est aussi incroyable. Il y a une véritable symbiose entre lui et Villeneuve.
D’une scène d’ouverture traumatisante et tétanisante, en passant par une extradition du Mexique aux States bourrée jusqu’à la gueule de tension, Villeneuve n’oublie pas de nous faire transpirer sur nos sièges. Quant à la deuxième partie, une fois que tout est expliqué, on bascule dans un autre film. C’est toujours lent, contemplatif mais ça devient inconfortable pour le spectateur. Il y a plus d’action et c’est beaucoup plus violent qu’au début mais c’est toujours dans un style posé, insidieux mais qui joue avec nos nerfs. A ce moment, nous changeons de personnage principal. Et il est trop tard quand nous découvrons que Sicario épouse finalement le point de vue d’un homme tourmenté, impitoyable, aux méthodes controversées et perdu dans le labyrinthe de sa douleur, de sa peine, de sa colère. Un homme qui a basculé dans la violence, au point d’en faire sa raison de vivre. Un homme qui ira jusqu’au bout de sa logique meurtrière. Il faut saluer ici la performance de Benicio Del Toro qui est ahurissant. Il se dégage de lui un charisme animal et minéral, une brutalité et aussi une grande souffrance. Comme Hugh Jackman dans Prisoners, nous pouvons comprendre ses motivations mais nous ne pouvons juger ses actes. Le film sent le souffre à ce moment et met le spectateur mal à l’aise. D’autant que Villeneuve se montre aussi jusqu’au boutiste que son sicaire.
Villeneuve n’angélise personne, et surtout pas les Américains. Dans ce film, ils se prennent pour le gendarme du monde, agissent au mépris de la loi et pactisent avec le diable pour éradiquer un démon qu’ils ont eux même crée (cf le cynisme du personnage de Josh Brolin). L’amertume qui se dégage des dernières scènes nous hante littéralement. La violence est un cycle infernal qui broie toutes les générations, comme le montre l’épilogue de ce film inconfortable, élégant, nerveux, violent et profondément pessimiste. Note: 17/20
Sicario, de Denis Villeneuve, avec Emily Blunt, Benicio Del Toro et Josh Brolin, en salles depuis le 7 octobre.
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