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CLOVERFIELD (2008)-Amour monstre
Résumé: New-York, mai 2007. Rob, un jeune trentenaire new-yorkais, doit partir s’installer au Japon pour son travail. Ses amis lui organisent une fête d’adieu. La soirée se passe bien jusqu’à ce que Rob se fâche avec son amie Beth, qui quitte la soirée. Malheureux, Rob reste mais demeure meurtri. La soirée continue. Tout à coup, un grondement se fait entendre et la terre tremble. Réfugiés sur le toit de l’immeuble pour voir ce qui se passe, les invités voient soudainement une gigantesque explosion du côté de Manhattan accompagnée du même grondement. New-York vient d’être attaqué…
(Attention, il est préférable d’avoir vu le film avant de lire ce qui suit!)
Origine: Le film est une production Bad Robot. J.J Abrams, le fondateur de cette société, est le créateur des séries Lost, Alias et Fringe. C’est aussi le réalisateur de Mission:Impossible 3 (2006), des deux derniers films Star Trek (2009 et 2013), de Super 8 (2011) et du dernier Star Wars, Le Réveil De La Force (2015). En 2006, pour la promo de M:I 3, il se rend à Tokyo avec son fils. Là-bas, en flânant dans des boutiques, il tombe sur des figurines de Godzilla, le célèbre monstre géant du studio Toho. Il se rend compte que Godzi est toujours immensément populaire au Japon. Abrams se dit alors qu’il serait formidable que les Etats-Unis aient leur propre Godzilla. Il décide alors de produire un film où un monstre géant attaque New-York. Il en confie le scénario à Drew Goddard, vieux complice scénariste sur Lost et Alias, et la réalisation à son ami d’enfance et collaborateur Matt Reeves (réalisateur d’épisodes d’Alias et Lost et futur metteur en scène de La Planète Des Singes-L’Affrontement en 2014). Mais J.J Abrams aura quelques exigences sur la forme du film…
Analyse: Cloverfield appartient donc au genre du « film de monstres géants », comme King Kong ou la série des Godzilla avant lui. Il est vrai qu’à part le singe géant Kong, le genre n’est pas très enraciné aux Etats-Unis. Au Japon, Godzilla est une métaphore directe de la catastrophe nucléaire d’Hiroshima. Dans l’esprit de J.J Abrams, il fallait donc que Cloverfield reflète un évènement traumatisant de l’histoire américaine et soit en prise avec les peurs de son époque. Le choix n’est pas très cornélien: Cloverfield sera une allégorie des attentats du 11 septembre 2001. Et son intrigue se situera à New-York. L’image d’une foule fuyant un nuage de poussière provoqué par l’effondrement d’un immeuble est ici reprise. Mais Abrams va aller encore plus loin.
Son raisonnement le mène à penser, avec justesse, que si un monstre géant attaquait New-York, les civils le filmeraient avec leurs caméscopes, pour balancer les images sur Internet ou les vendre aux chaînes de télé. Les gens voudraient faire une vidéo-témoignage pour les générations futures, chose qui fut impossible à Hiroshima. On a tous en tête les vidéos amateurs filmées par les témoins du 11 septembre. Abrams impose donc un filmage de type found footage, filmé au camescope par un témoin. Un bref encart en début du long-métrage nous montre que cette vidéo, désormais propriété de l’armée, fut retrouvée sur la zone de l’incident Cloverfield, dans la partie anciennement nommée Central Park.
Cloverfield est donc entièrement filmé du point de vue subjectif de Hub, le meilleur ami de Rob. A l’origine, c’est le frère de Rob qui aurait du filmer mais il préfère passer le relais. Il dira à Hub que c’est une grande responsabilité qui lui échoit, tragique ironie quand on sait ce qui va se passer. Pendant tout le film, Hub passe pour un bouffon légèrement lourd et irresponsable, sorte de soupape comique au tragique de la situation (et seul vrai défaut du film, le personnage étant assez énervant par moments). Mais Hub, comme tous les témoins qui filment des catastrophes contemporaines, ne peut s’empêcher de partir dans un délire mégalomaniaque du style « C’est mon film! Les gens voudront savoir! ». Hub représente l’inconscience de l’espèce humaine qui dès lors qu’un écran s’interpose entre elle et une catastrophe pense que tout ceci n’est qu’un film. Néanmoins, le personnage finira par prendre la mesure de ce qui se passe autour de lui. La mort de la fille qu’il aime en secret (et qu’il a filmée) le secouant au point de lui faire poser sa caméra et de le faire pleurer. Son sort final est assez cynique. Le type inconscient qui voulait tout filmer au lieu d’aider les gens qu’ils croisent ou tout simplement de se sauver, le type qui voulait filmer l’indicible, c’est à dire le monstre, se fait tuer par ce dernier. L’indicible ne voulait pas être filmé…
Pendant ses 17 premières minutes, Cloverfield est un film amateur sur une soirée de la jeunesse insouciante de New-York avec blagues, flirts, séquences émotions et engueulades de couples. C’est incroyablement vivant et cela nous rapproche des personnages, qui nous semblent réels. Cette proximité ne sera jamais démentie pendant le film. Les acteurs, quoiqu’en aient dit certains critiques, sont touchants et justes et réagissent avec beaucoup de crédibilité devant la caméra. A partir de sa dix-septième minute, Cloverfield bascule dans l’horreur. Et on se rend compte que filmer d’un point de vue subjectif un tel évènement est assez bien vu. Le monstre n’est jamais filmé en entier. Ses apparitions sont rapides et furtives. Néanmoins, il intrigue et fait peur. Ce sont les conséquences de sa fureur qui intéressent Matt Reeves, le réalisateur. Cloverfield arrive à rendre prégnants l’atmosphère de catastrophe et de chaos urbain que la présence d’une créature géante entraîne dans une grande mégalopole: immeubles éventrés ou effondrés, fuite des civils, présence et riposte de l’armée, destruction d’un pont, Statue de la Liberté décapitée, pillages des magasins, etc. Tout semble pris sur le vif et réel. C’est l’état d’urgence. Néanmoins, tout est bien mis en scène, malgré un filmage guerilla constamment en mouvement: on pense à ce moment où nos héros se retrouvent en plein milieu des tirs de l’armée contre le monstre, à la séquence effrayante du métro, à cet attelage fantôme en pleine rue, à cet immeuble penché,…En 45 minutes, Cloverfield arrive à nous clouer sur notre siège. Le film ne dure que 70 minutes, si on l’ampute de son générique de fin qui fait 10 minutes. Le monstre nous est plus dévoilé sur la fin. Désigné par Neville Page, il est magnifique et intrigant. Dans l’esprit de ses géniteurs, c’est un « bébé » sorti de l’océan où il dormait depuis des siècles. Il est désorienté et agressif. La scène où il se fait bombarder par l’armée, nous le montre hurlant sa douleur et s’effondrer. On finit par le plaindre. On finit par avoir de l’empathie pour cette chose perdue dans un environnement hostile qu’elle ne comprend pas.
Mais Cloverfield n’est pas qu’un film de monstres géants. C’est aussi une histoire d’amour. Au lieu de fuir, Rob décide d’aller chercher chez elle son amie Beth, avec qui il s’est disputé quelques heures plus tôt. Il entraîne avec lui ses amis au cœur du chaos. L’amour déplace des montagnes. Et c’est là qu’on se rend compte que Cloverfield est plus un projet intimiste qu’un blockbuster spectaculaire. Rob est un personnage indécis tiraillé entre le fait de partir bosser au Japon et sa liaison naissante avec son amie d’enfance, qui s’avère être la femme de sa vie. Rob n’arrive pas à s’engager auprès d’elle. Dès lors, le monstre représente son dilemme intérieur et le pousse à se décider: rejoindre Beth. Il est remarquable de constater que la première manifestation du monstre a lieu quand Rob pleure sur son sort sur le balcon de l’appartement, en compagnie de son frère et de Hub. Ce n’est pas la créature que doit combattre Rob mais son propre monstre intérieur.
Matt Reeves a, enfin, eu une idée de génie. Hub filme avec le caméscope de Rob, effaçant un film que Rob avait fait. Un mois auparavant, il s’était filmé avec Beth, au début de leur relation. Il étaient heureux et passaient une journée formidable à Cosney Island. Par intermittences, on peut en voir des extraits pendant le film. C’est très troublant. Cet amour a failli être effacé, au propre comme au figuré: par le nouveau filmage de Hub et par le départ de Rob au Japon. Néanmoins, l’amour finit par s’imposer. Il ne disparait pas et clôt même le film. Et c’est ce qui va rester de l’incident Cloverfield: une histoire d’amour. Car derrière chaque catastrophe, il y a des vies humaines, il y a des morts. Et leur souvenir reste.
Cloverfield, en DVD Zone 2 chez Paramount.
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