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LES DENTS DE LA MER (1975)-Eaux profondes

jaws

Quint (Robert Shaw), Brody (Roy Scheider) et Hooper (Richard Dreyfuss) affrontent le grand mangeur d’homme.

La petite station balnéaire d’Amity, quelque part sur la côte nord-est des Etats-Unis, est victime des attaques d’un grand requin blanc. Le shérif Brody (Roy Scheider) veut faire fermer les plages, ce que se refuse à faire la municipalité de la ville, plus préoccupée par l’argent qu’amène les touristes dans le tiroir-caisse. Il faudra plusieurs drames pour que Brody ait enfin toute latitude pour se débarrasser du squale. Il sera épaulé par l’océanographe Matt Hooper (Richard Dreyfuss), spécialiste des requins, et par Quint (Robert Shaw), un pêcheur qui a un vieux compte à régler avec les requins.

On ne présente plus Jaws (titre original du film, qui signifie « mâchoires » en anglais), immense succès de l’été 1975, premier film à atteindre la barre des 100 millions de dollars de recettes au box-office américain (ce qui en fait le premier blockbuster estival de l’histoire du cinéma), traumatisme mondial qui a terrifié les spectateurs au point de créer une véritable psychose sur les plages, film qui a véritablement lancé la carrière cinématographique de l’un des plus grands cinéastes mondiaux, Steven Spielberg, et qui a donc, bien involontairement, lancé la mode du blockbuster estival aux Etats-Unis, deux ans avant le Star Wars de George Lucas. Le succès sera tel que le film ne cessera jamais d’être copié, pour le meilleur (Pirahnas de Joe Dante) et pour le pire (La Mort au Large de Enzo G. Castellari), et que Universal mettra en chantier trois suites (1978, 1983 et 1987) dont la qualité ira decrescendo jusqu’au catastrophiquement nul (et hilarant) Les Dents de la Mer 4-La Revanche, réalisé par un Joseph Sargent qui s’en est mordu les doigts!

A l’heure où Blake Lively va appâter de ses formes le grand requin blanc, repenchons-nous sur le film culte de Spielberg, film matrice de l’attaque marine et du film de requins, qui, 41 ans après sa sortie, demeure un modèle indétrônable du genre. L’un des plus grands films d’horreur de tous les temps (si, si, j’insiste!) a bien failli boire la tasse lors de son tournage. Il serait long et fastidieux de revenir sur toutes les avanies du tournage (pour ceux qui voudraient en savoir plus, procurez-vous le hors-série Mad Movies sur la saga Jaws, en kiosques depuis début juillet), néanmoins certains points méritent d’être précisés. Tout d’abord, le film est adapté d’un roman de Peter Benchley, Jaws, paru en 1973. Le roman récolte, à sa parution, de mauvaises critiques et ne fait pas de grosses ventes. Mais, le bouche à oreille du public se met à fonctionner petit à petit jusqu’à l’immense carton de l’édition de poche. Universal achète les droits et commande un scénario à Peter Benchley. Peu au fait de l’écriture scénaristique (il l’avoue sans honte), il accepte que le scénario soit révisé par le scénariste Carl Gottlieb (qui officiera aussi sur les épisodes 2 et 3 de la saga Jaws). Universal cherche un réalisateur et jette son dévolu sur le réalisateur du cauchemardesque Duel (1971), téléfilm qui a terrorisé bon nombre d’automobilistes avec son camion fou. Jaws sera donc le deuxième long-métrage de cinéma du jeune Steven Spielberg (26 ans à l’époque) après le méconnu et sublime Sugarland Express (1974) qui a fait un véritable bide au box-office. Pour les effets spéciaux de Jaws, on construit plusieurs requins mécaniques qui semblent marcher à la perfection…jusqu’à ce qu’on les mette dans l’eau où ils sont victimes de pannes à répétitions (l’un d’eux coulera même à pic!). Spielberg, ne pouvant mettre en boîte le schocker horrifique sanglant qu’il envisageait, va devoir complètement changé son fusil d’épaule et adapter sa réalisation en conséquence.

Ne pouvant filmer toutes les attaques du requin de plein pied, Spielberg décide de faire le film « à la Hitchcock ». Il va cultiver la suggestion, l’attente et ne montrer que les conséquences des attaques violentes du squale sur ses victimes. La première scène du film (violente et traumatisante pour l’époque) voit une jeune fille, prenant un bain de minuit, se faire attaquer et tuer par le requin. On la voit juste hors de l’eau criant, se débattant et trainée par le requin qu’on ne voit pas, jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans les eaux sombres de l’océan. Dés lors, il suffira à Spielberg de filmer l’océan pour instiller l’angoisse et la paranoïa chez le spectateur qui sait désormais qu’il y a un monstre tapi sous l’eau. A l’angoisse, vient aussi se mixer une forme d’humour noir. Pour l’attaque qui va précipiter Amity et le shérif Brody dans la terreur, Spielberg s’amuse à filmer, sur la plage bondée, un homme promenant son chien, un enfant qui va à l’eau, un vieillard qui en sort…Qui le requin va t’il attaquer? Une angoisse insidieuse monte et il suffit à Spielberg de montrer une gerbe de sang, une foule paniquée et un collier de chien flottant sur l’eau pour susciter l’effroi, à l’aide de mouvements de caméra précis et d’un montage (due à Verna Fields, monteuse du Psychose de Hitchcock) tranchant. La scène des deux pêcheurs appâtant le requin au clair de lune commence à faire rire avant que la peur (symbolisé par un bout de bois changeant de direction sur l’eau) n’intervienne. Il faudra attendre l’attaque de l’estuaire pour enfin apercevoir, fugacement, le requin, sous l’eau, happant une victime (avec un joli rouge sang qui se répand sur l’eau) mais là encore, Spielberg filme les victimes potentielles pour faire monter la sauce: d’innocents enfants sur un petit voilier. Enfin, la peur dans le film est aussi véhiculée par la musique de John Williams qui, avec seulement deux notes de musique anxiogènes sur le rythme d’un battement de cœur qui s’affole, crée l’un des thèmes les plus efficaces et connus du 7ème art. Williams recevra l’oscar en 1976 pour cette musique, l’un des deux oscars du film avec celui attribué à Verna Fields pour le meilleur montage.

Pendant des années, Spielberg sera mal à l’aise avec Jaws. Sans le renier, il parlera, pour qualifier sa mise en scène, de « trucs et astuces » pour faire réagir le public. Le film ne lui ressemble pas, il n’a rien de personnel, c’est une commande. Bien sûr, Spielberg était frustré de ne pas avoir un vrai film de monstre comme il le voulait. Il faudra attendre près de 20 ans (et Jurassic Park, formidable synthèse entre l’art « hitchcockien » du suspense et l’efficacité du film de monstre spectaculaire) pour que Spielberg reconnaisse que Jaws l’a considérablement fait progressé sur le plan technique. Pourtant, Jaws reste un film « spielbergien » quoique son réalisateur en pense. Le film est loin d’être aussi cynique que Jurassic Park-Le Monde Perdu (monument de cynisme des années 1990, blockbuster très méchant, à l’instar du Starship Troppers de Paul Verhoeven).

C’est dans le traitement des personnages qu’on peut reconnaître Spielberg dans ce film. Bien sûr, le personnage de Matt Hooper (incarné par le facétieux et génial Richard Dreyfuss) fait figure de grand enfant jovial et limite inconscient du danger pour sa propre vie, tout entier dévoré par sa passion pour les requins…qui remonte à un incident de son enfance! Bien sûr, on retrouve les relations père/fils chères à Spielberg à travers Martin Brody et ses deux fils, Michael et Sean et il faudra que ces derniers soient attaqués pour que Brody se mut en homme d’action. Mais c’est bien le personnage de Martin Brody (excellent Roy Scheider) qui intéresse le plus Spielberg. Brody, fuyant la violence de New-York, s’est installé à Amity avec sa famille. Malheureusement, comme plus tard dans la Guerre des Mondes, on ne peut pas éternellement se cacher de la violence du monde, elle vous rattrape…

Brody est aquaphobe. Il a peur de l’eau. Pourquoi s’installer à Amity? Pour affronter sa peur? On ne saura jamais vraiment. Comme le héros de Duel, Brody est un homme faible, visiblement trop materné (castré?) par sa douce et aimante épouse. Il subit. Il ne cherche pas vraiment à dompter sa phobie de l’eau. Le premier plan où on le voit est symbolique. Il se lève de son lit. Il est de dos. Il semble regarder par la fenêtre assis au bord du lit conjugal. Auparavant, nous avons vu ce qu’il y avait derrière cette fenêtre: l’océan. Dès sa première scène, le personnage est face à son antagoniste. L’ennemi de Brody n’est pas le requin, c’est l’eau (le requin est l’ennemi intime de Quint, par contre). Brody est un homme faible de la midle class. Quand sa femme l’accompagne au bateau de Quint, ce dernier, homme viril et divorcé trois frois (donc libre), se moquera d’elle en chantant une chanson paillarde. Place aux hommes, poulette! Sur l’océan, Quint détruit la radio avant que Brody puisse finir un appel. Détache toi de ton confort et sois un homme! Et Brody, petit garçon perdu aux mains du capitaine Crochet Quint, deviendra un homme, domptera sa peur de l’eau et tuera le monstre, lui faisant face. Il poussera le même cri bestial final que le héros de Duel.

Aux deux hommes-enfants Brody et Hooper, est adjointe une figure paternelle: Quint (l’immense, le formidable, l’extraordinaire Robert Shaw).  Une figure paternelle un brin dévoyée: buveur, fanfaron mais doté d’un courage frisant la folie furieuse. Et cette deuxième partie de Jaws est à l’image de Quint: furieuse et sauvage. Juste trois hommes sur un vieux rafiot affrontant un monstre puissant et déterminé. Une chasse de près de 55 minutes, palpitante et bourrée de péripéties. Même la musique de John Williams se met au diapason de ces aventures marines, évoquant l’âge d’or du swashbuckler hollywoodien. Mais le réalisateur parvient, dans cette lutte à mort avec le grand blanc, à livrer des moments intimes entre les trois hommes. On pense bien sûr à ce moment où Quint et Hooper comparent leurs cicatrices respectives. Très drôle jusqu’à ce que Quint avoue être un survivant de l’USS Indianapolis et leur en raconte l’histoire. Cinq minutes fascinantes et terrifiantes. Juste le talent de Robert Shaw, sur les violons angoissants de Williams à l’arrière. Incroyable!

Jaws, de Steven Spielberg, en DVD-Blu-Ray chez Universal.

5 août, 2016 à 13 h 08 min


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