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LES DISPARUES-Memories of murders

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Entre 1995 et 2001, quatre jeunes femmes disparaissent dans le secteur de la gare, à Perpignan. Elles s’appelaient Tatiana, Mokhtaria, Marie-Hélène et Fatima. Si Tatiana ne sera jamais retrouvée, les trois autres le seront. On retrouvera leurs cadavres mutilés, en 1997, 1998 et 2001. Cette affaire, dite des « disparues de la gare » ou « disparues de Perpignan », est restée un mystère pendant plus d’une quinzaine d’années. Si un suspect est désormais sous les verrous, confondu par son ADN, il reste des zones d’ombre…

Ce livre n’est pas une fiction, ce fait divers est réel, il a défrayé la chronique à la fin des années 1990. L’affaire des disparues de la gare a crée une véritable psychose à Perpignan. Elle a même généré des légendes urbaines toutes aussi folles les unes que les autres. Les légendes urbaines justement, c’est par ce biais que le journaliste Thibaut Solano s’intéresse à l’affaire. Ce jeune journaliste corrézien, qui a travaillé au journal La Montagne à la rubrique Faits Divers, est un passionné de légendes urbaines, ces récits complètement faux qui s’enracinent dans l’opinion publique et finissent par devenir vrai aux yeux des gens. En écrivant un article dessus, il tombe sur une de ces légendes qui l’intrigue: un tueur déguisé en grand-mère et qui assassine des jeunes filles. L’analogie avec le petit chaperon rouge est flagrante. Mais cette légende urbaine est particulièrement vivace, depuis plus d’une décennie, du côté de Perpignan. Pourquoi? En cherchant, Thibaut Solano découvre qu’elle est apparue juste au moment de l’affaire des disparues de la gare. Elle en est l’émanation et a contribué à la psychose générale. Solano se documente sur l’affaire. Celle-ci finit par l’accrocher. Il décide de faire son enquête et d’écrire un livre dessus.

Le travail du journaliste/enquêteur est remarquable. Son récit est minutieux, précis et documenté. Solano est allé sur les lieux du drame, a interrogé presque tous les témoins et livre un travail remarquable. On a presque l’impression de lire un roman. Le style de l’auteur est parfait. Il retranscrit tous les détails avec talent. Tout sonne juste: chaque personnage croisé, chaque lieu visité, chaque relation de meurtre, chaque détail de l’enquête. Même le portrait psychologique des victimes et des assassins, véritables ou potentiels, est d’une parfaite exactitude. Solano aère son récit de chapitres à la première personne où il nous raconte son enquête sur les lieux, en 2013, 2014 et 2015. Il s’autorise alors des passages où il nous livre son état d’esprit, où les descriptions se font plus romanesques, où les références à la culture populaire viennent ponctuer le récit.

A la glaçante reconstitution des faits, Solano ajoute la chronique de l’obsession. Car il finit par devenir hanté par cette histoire et par le visage des victimes. N’importe qui ayant écrit un livre sur ce genre d’affaire ressent la même chose. Et cette obsession croise celle des enquêteurs. Ces policiers qui enquêtent sans relâche sur les crimes de sang et qui ne baissent jamais les bras, même après dix ou quinze ans. Cette obsession ils la transmettent même à leurs successeurs quand l’heure de la retraite sonne. Ce livre est le leur aussi. C’est l’histoire de ces hommes qui traquent les monstres et qui perpétuent la mémoire des victimes. Grâce à l’auteur, nous pénétrons leur travail et leur état d’esprit. Nous enquêtons avec eux, nous réfléchissons avec eux. L’affaire des disparues a généré son lot d’indices (pertinents ou non) et son lot de faux coupables. Tout est là, du portrait pathétique de suspects minables et/ou inquiétants au moindre témoignage qui pourrait faire basculer l’enquête.

Mais ce livre, c’est surtout celui des victimes, ces jeunes filles assassinées (ou disparue pour l’une d’entre elles) qui réclament justice. Elles avaient toutes un point en commun: elle voulait fuir leur quotidien morose. C’étaient des jeunes filles indépendantes d’esprit et qui voulaient vivre selon leurs désirs. C’est l’éternelle histoire des jeunes filles insoumises et qui rencontrent un monstre qui leur coupe les ailes. C’est l’éternelle histoire des hommes violents qui détestent les femmes. C’est l’éternelle histoire des pulsions malsaines masculines incontrôlées. L’éternelle histoire de l’innocence martyrisée. L’éternelle histoire de femmes assassinées par des hommes violents ou simplement perturbés.

A y réfléchir, il y a deux affaires dans l’affaire, deux meurtriers différents (un tueur occasionnel et un meurtrier en série). Une première arrestation en 2001 et une autre en 2014 semblent tout régler. « Semblent », car il reste des questions sur l’homme arrêté en 2014 et sur son parcours avant les meurtres de Perpignan, notamment. Et surtout, il reste Tatiana, disparue en 1995 et jamais retrouvée. Les deux suspects arrêtés semblent n’y être pour rien (l’un était incarcéré en 1995, l’autre nie farouchement). Alors, l’épilogue n’est toujours pas écrit. Et même le futur procès ne risque pas de l’écrire définitivement…

Ce livre est avant tout celui de Tatiana, Mokhtaria, Marie-Hélène et Fatima ainsi que de toutes les victimes de monstres.

Note: 4,5/5

Les Disparues de Thibaut Solano, 425 pages, éditions Les Arènes, 2016

5 septembre, 2016 à 9 h 01 min


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