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SIGNES (2002)-Le créateur
Résumé: Graham Hess (Mel Gibson) est un ancien pasteur ayant perdu sa foi en Dieu. Depuis le décès de sa femme, six mois plus tôt, il vit avec ses deux enfants, Morgan (Rory Culkin) et Bo (Abigail Breslin). Son frère cadet Merrill (Joaquin Phoenix) a décidé d’aller habiter avec lui pour l’aider. Un matin, la petite famille découvre stupéfaite qu’une partie de leurs champs de maïs a été vandalisée d’une bien étrange façon: les plants de maïs ont été pliés et semblent former d’étranges signes vus du ciel. En regardant les infos, les Hess découvrent que ce phénomène est mondial. Canular ou réelle menace? Dans sa petite maison de la campagne pennsylvanienne, Graham va devoir protéger sa famille. Il devra aussi faire face à ses propres démons personnels.
ATTENTION, NE LIRE QU’APRES AVOIR VU LE FILM!
Signes est le quatrième long-métrage de M. Night Shyamalan. Après le succès de Sixième Sens (1999)et Incassable (2000), il poursuit dans la veine du thriller fantastique. Jusqu’à La Jeune Fille De L’Eau (2006), les films de ce réalisateur obéissent au même schéma narratif: un twist final révèle que le film que nous regardions était double, qu’il y avait quelque chose que nous ne voyions pas mais qui était là. Le secret principal de Sixième Sens ne concerne pas le gamin mais le personnage de Bruce Willis, celui d’Incassable ne concerne pas le personnage principal mais celui de Samuel L. Jackson, celui du Village (2004) ne concerne pas la nature des créatures mystérieuses mais le village lui-même, celui de La Jeune Fille De L’Eau ne concerne pas la jolie naïade mais les habitants de l’immeuble où elle a atterri. Il y a toujours une autre histoire parallèle à l’intrigue principale. Signes ne fait pas exception à la règle. Son secret ne concerne pas la nature de la menace mais le personnage de Mel Gibson qui détient, sans le savoir, une information capitale pour la survie des siens.
A l’époque de la sortie de Signes, Shyamalan est au zénith de sa popularité, tant vis à vis du public que de la critique. Signes, bien qu’il soit un immense carton mondial et le dernier vrai grand succès de son auteur au box-office, est le film qui va amorcer son « déclin » et va marquer une fracture entre lui et le grand public. C’est le film du divorce. Il y a désormais, après la quasi unanimité autour de Sixième Sens et Incassable, deux camps: les pro et les anti-Shyamalan. Au fil des années, les antis deviennent plus nombreux, bien que le réalisateur conserve un solide socle de fans de la première heure. Pourquoi Signes a t’il marqué une rupture dans la relation que Shyamalan entretenait avec le public? Peut-être parce que le film n’était pas ce qu’il prétendait être, soit un film de trouille sur fond d’invasion extraterrestre? Peut-être que le public attendait un Sixième Sens bis? Ou un twist final aussi surprenant que dans ce dernier ou Incassable? Peut-être un peu de tout ça. Une majorité du grand public a été déçu par Signes. Mais c’est avec Le Village, deux ans plus tard, que les choses se gâteront encore plus pour Shyamalan.
Pourtant du début à la fin, et comme dans Sixième Sens et Incassable, Signes témoigne d’une grande maîtrise formelle et d’un solide talent d’écriture. Shyamalan écrit ses propres scénarios et offre toujours des histoires originales et assez surprenantes. Il est aussi très doué pour nous décrire des personnages forts et terriblement humains. Ici, c’est Graham Hess (Mel Gibson, sobre et bouleversant) auquel le spectateur s’identifie. C’est un homme en colère contre Dieu car ce dernier lui a pris sa femme. Il a quitté son ministère et semble mal à l’aise quand les gens continuent à l’appeler « mon père ». Il refuse de dire les prières avant chaque repas, ce qui nous vaut une magnifique scène juste avant la fin du film où les personnages laissent enfin libre cours à leur chagrin, pour mieux commencer à faire leur deuil. Les relations entre Graham et ses deux enfants sont touchantes. Joaquin Phoenix apporte aussi beaucoup de sensibilité et de gaucherie à son personnage, une ex-star du baseball au chômage qui se sent inutile. Une discussion entre les deux frères, au sujet de la foi et du destin, reste l’une des plus belles séquences écrites par Shyamalan. On y sent beaucoup d’émotion, ainsi qu’une pointe d’humour malicieux dont est coutumier le cinéaste d’origine indienne (ici, l’ « incident » du cinéma relaté par Joaquin Phoenix).
La réalisation de Shyamalan est, une fois de plus, inspirée. Le cinéaste a un véritable don pour faire peur avec trois fois rien: une porte fermée, du vent, des végétaux qui bougent, un chien qui aboie, une ombre sous une porte, une silhouette dans la nuit, etc. Shyamalan s’inscrit ici dans une tradition filmique héritée de réalisateurs tels que Hitchcock ou Spielberg (deux cinéastes qu’il vénère d’ailleurs). Shyamalan ne montre jamais de plein pied, il préfère suggérer. Il utilise, avec talent, tous les ressorts possibles pour cela: reflets, réaction des personnages filmées plutôt que ce qui fait peur, scène peu éclairée (juste une lampe torche dans une des scènes de Signes), mouvement de caméra déplaçant le regard du spectateur pendant que la menace reste en fond sonore, filmer un mur avec un léger travelling latéral pour suggérer les déplacements de quelque chose derrière, les doigts d’une main passant sous une porte, une main passant par un soupirail… Les mouvements de caméra sont fluides et précis. Shyamalan n’oublie pas non plus ses personnages qu’il aime bien filmer en plan serré ou isolés dans le cadre pour accentuer l’angoisse. Bref, la « méthode » Shyamalan marche du tonnerre. La scène de la cave dans ce film est, par exemple, assez anxiogène! Au passage, on peut aussi y voir un clin d’oeil à La Nuit Des Morts-Vivants.
Mais c’est surtout d’un point de vue thématique que le film est surprenant. Bien sûr, comme vous le savez, les signes du titre ne sont pas que ceux laissés par des extraterrestres malintentionnés, mais aussi ceux du destin et du hasard. Lors du twist final, Graham se rend compte que sa femme, à l’agonie, a eu une vision de ce qui attendait sa famille, six mois plus tard. En s’en souvenant et en l’interprétant, Graham sauve la vie de son fils. L’accident de sa femme n’est pas seulement un drame malheureux, c’est aussi un évènement nécessaire dans l’ordre des choses. Graham retrouvera, grâce à cela, sa foi. Car Signes n’est pas l’histoire d’une invasion extraterrestre, c’est l’histoire d’un homme qui retrouve la foi et revit, faisant la paix avec lui-même. Mais il y a quelque chose d’encore plus intriguant dans Signes. Et cela est du à un des personnages secondaires du film.
Ce personnage s’appelle Ray. C’est le vétérinaire de la petite ville où habite Graham. C’est aussi l’homme qui a causé la mort de sa femme. En effet, Ray s’est endormi quelques secondes au volant et a percuté la femme de Graham qui marchait au bord de la route. Lors d’une scène émouvante, il fait part de ses regrets et de son sentiment de culpabilité à Graham qui lui pardonne, très ému. Ray s’accuse d’avoir trop travaillé ce jour-là et de s’être endormi au volant, écrasé de fatigue. Il lui dit aussi que s’il s’était endormi à un autre moment, jamais cela ne serait arrivé. Ray s’endort donc au moment où son chemin va croiser la femme de Graham, du fait de cet accident elle a une vision qui permettra de sauver la vie de son fils, six mois plus tard. Tout était lié, tout semblait écrit. Mais là où Shyamalan fait fort, c’est en interprétant lui-même le personnage de Ray!
Nous avons donc l’auteur de Signes qui intervient lui-même dans son film. Et pour jouer qui? L’instrument du destin, celui qui est à l’origine du happy-end du film. La scène où il se « confesse » à Graham prend alors une autre dimension. Un personnage de fiction rencontre son créateur qui lui avoue avoir tué sa femme, sans le vouloir. « Parce que c’est comme ça que l’histoire m’est venue, je suis désolé. Là, je joue un personnage secondaire qui va te rappeler la mort de ta femme afin que cela entraîne un processus qui t’amène à te souvenir de ce qu’elle t’a dit ». En gros, c’est ça! Mais cela va encore plus loin! Ray lui indique qu’il a enfermé un alien dans son cellier et s’en va. Graham sera amené à lui couper deux doigts. Et cet alien, visiblement revanchard, sera celui qui menace son fils à la fin. En gros, Shyamalan indique à son héros: « Voilà, j’ai enfermé (donc créée) ce personnage uniquement pour qu’il serve à la fin du film, alors vas-y, va le voir. » Shyamalan, dans son propre film, se balade comme le créateur au milieu de sa création. Il se permet de disserter sur son rôle. C’est lui qui a imaginé la mort d’une femme et un alien enfermé pour avoir les éléments de sa fin qui vont mener son personnage principal à une forme de « rédemption ». Culoté! Dès lors, tous les signes du film viennent de son auteur, qui semble prévenir ses héros: « regarde ta fille qui entrepose les verres remplis d’une eau contaminée, regarde la batte de baseball, Merrill t’était plus un cogneur qu’un frappeur, l’asthme de ton fils c’est aussi une idée à moi pour lui sauver la mise, tout comme la mort de ta femme etc ».
Signes peut alors être vu comme une « métafiction », qui nous parle du processus de création chez un artiste. Je vous invite vivement à revoir les films de Shyamalan, et à y chercher tout ce qui parle de fiction et de création, surtout de Sixième Sens à La Jeune Fille de l’Eau. On a accusé Shyamalan, à partir de ce dernier, d’être devenu soudainement prétentieux. Alors oui, il l’était peut-être un peu mais alors, c’était depuis le début. Et surtout personne n’a su voir la portée de son œuvre….
Signes est donc l’un des films fantastiques les plus réussis et singuliers des années 2000. C’est aussi un film de son temps. L’un des premiers de l’ère post 11 septembre à réfléchir sur le rôle des médias et comment nous en devenons dépendants. Dans Signes, les personnages sont scotchés à leur télé et acceptent pour vrai tout ce qu’ils y voient. La première fois qu’on voit un alien en entier, c’est par le biais d’une vidéo amateur diffusée à la télé (la réaction de Joaquin Phoenix est hilarante!). Remarquable aussi de voir comment ce qui était jusque là une créature cathodique prend pied dans la réalité. L’alien final est d’abord révélé par son reflet sur l’écran de la télévision éteinte, avant de nous être dévoilé. Ce n’est pas une invasion extraterrestre, c’est une invasion télévisuelle au sein du foyer!
Enfin, le film s’ouvre sur une vue en trompe l’œil ( à travers une vitre) de la cour d’un jardin. C’est là qu’aura lieu la fin du film. Ensuite, le personnage de Mel Gibson s’éveille en criant. Aurait-il rêvé à la fin de son histoire, avant de l’oublier? A la fin, le même plan est répété mais la vitre est brisée. Manière de dire, pour Shyamalan: « Là aura lieu la fin du film » et « Maintenant, le film est terminé »?
Signs, de M. Night Shyamalan, avec Mel Gibson et Joaquin Phoenix, DVD et Blu-Ray chez Touchstone Entertainment
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