MISS PEREGRINE ET LES ENFANTS PARTICULIERS-Gimme shelter
Jacob (Asa Butterfield) est un adolescent californien qui s’ennuie dans son quotidien. Sa seule consolation est son grand-père Abe (Terence Stamp) qui lui raconte des histoires à propos d’enfants « particuliers » et de monstres terrifiants qui veulent les tuer. Après la mort mystérieuse et violente de Abe, Jacob va partir à la recherche du passé de son grand-père et rencontrer Miss Peregrine (Eva Green) et ses « enfants ». Les histoires d’Abe n’étaient peut-être pas que pure fiction…
« Et maintenant, que vais-je faire? » chantait Gilbert Bécaud. C’est aussi ce que semble se demander Tim Burton, à l’occasion de ce nouveau film. Et maintenant? Quelles histoires me reste-t-il à raconter? Quels univers me restent-ils à explorer? Ai-je encore la force de continuer? Ai-je un héritage artistique? Qui prendra ma suite?… Autant de questions qui semblent parcourir cet étrange long-métrage. Pas étonnant quand on sait que la place de l’artiste dans la société et son rapport à la « norme » collective sont des thèmes qui reviennent sans cesse dans l’oeuvre de Tim Burton. Mais depuis deux films, Burton semble vouloir aborder frontalement des aspects peu complaisants envers lui-même. Dans le mésestimé Big Eyes (2014), Burton nous parlait de sa « schyzophrénie » artistique (dualité entre l’artiste intègre et l’artiste corrompu ne travaillant que pour l’argent) et de son style devenu une marque que lui-même a parfois utilisé avec paresse et que les autres ont pompé sans vergogne. Dans ce Miss Peregrine’s Home For Peculiar Children (titre original), Burton commence à envisager sa vieillesse ainsi que sa propre mort. Il se demande aussi si d’autres reprendront le flambeau après lui.
Miss Peregrine est un film « particulier », au charme désuet, que sa bande-annonce essaie de vendre comme un X-Men First Class version Tim Burton. Hors le film n’est pas un gros film spectaculaire. S’il y a bien des séquences spectaculaires, elles font partie d’un film au rythme paisible et qui demeure, avant tout, une œuvre nostalgique et mélancolique. Bien sûr, on voit tout de suite ce qui a intéressé Burton dans cette histoire, adaptée des romans de Ransom Riggs: un jeune héros, qui comme Burton au même âge, se sent différent, décalé et mal à l’aise dans la Floride ensoleillée où il habite; des enfants différents, marginaux et possédant des pouvoirs extraordinaires (comprendre, comme toujours chez Burton, un don artistique) qui vivent à l’écart du monde pour s’en protéger. On navigue sur un terrain « burtonien » connu. Mais c’est le traitement que Burton imprime à tout ceci qui rend le film si attachant.
Tim Burton, ancien dessinateur/animateur, est devenu réalisateur un peu par hasard. Au fil de ses films, il a apprit son métier, jusqu’à l’assumer pleinement. Il a aussi appris à composer avec les nouvelles technologies (effets spéciaux numériques, 3D). Pourtant, Miss Peregrine est un film « à l’ancienne ». Burton a choisi une forme classique. Son style est ample et maîtrisé. Il utilise le numérique avec justesse et lui donne un look rétro qui renvoie à la stop motion de ses débuts (les déplacements des effrayants Creux). D’ailleurs, dans ce film, Burton affirme sa foi et son amour pour les « vieux » films qui ont bercé son imaginaire. Il s’agit de retrouver le goût des merveilles passées et de faire revivre une formule ayant fait ses preuves. Burton convoque les monstres invisibles qui effraient les enfants, exile son histoire dans un coin perdu du Pays de Galles (le Vieux Continent opposé à l’Amérique fadasse dépeinte dans l’intro) et utilise des éléments qui symbolisent le passé: une séquence en stop-motion, une armée de squelettes digne de Ray Harryhausen, une épave de la Grande Guerre sortant du fond des mers,…Le passé ne meurt pas, les films anciens non plus. On peut s’y réfugier, loin d’un modernisme stressant. La plus belle idée du film, et qui symbolise cette idée de refuge dans le passé, reste cette boucle temporelle qui fait revivre éternellement aux jeunes héros la même journée de 1943. Enfin, le personnage d’Enoch, capable de donner la vie à l’inanimé, apparaît comme l’alter ego de Tim Burton, l’artiste qui redonne vie à ce qui est mort…
Le film fait la part belle à ses personnages, tout en offrant un spectacle fantastique de qualité. Burton y dépeint la force de l’amitié et de la tolérance. Il nous offre aussi une histoire d’amour délicate et très émouvante. Mais sous cette innocence enfantine, pointe une noirceur cruelle. On y mange les yeux d’enfants qu’on tue sans regrets. On garde le cadavre d’un mort, éternellement, dans une chambre. Ce dernier point est à rapprocher de cette idée de garder en vie le passé, quitte à s’enfermer dans la folie. Malgré cela, le film affirme sa foi dans l’enfance et ses rêves et en sacralise l’innocence. L’imagination est une chose précieuse qu’il faut transmettre. Comme dans Ed Wood, une passation de pouvoir entre « artistes » ou « grands enfants » se fait via Jacob et son grand-père. Les rêves doivent être transmis. Burton pense sûrement à ses propres enfants et aux jeunes artistes qui s’inspireront un jour de lui. Le film se finit sur cette éternelle question burtonienne: faut-il vivre dans la réalité ou dans ses rêves? Peut-on accommoder les deux? On serait tenter de répondre oui à la vue de ce très joli conte fantastique mais, cette fois, Burton semble vouloir vraiment préférer le Pays Imaginaire. Et peut-être, pense-t-il à son départ définitif de ce monde….
Note: 4/5
Miss Peregrine’s Home For Peculiar Children, avec Eva Green, Asa Butterfield, Terence Stamp, Judi Dench et Samuel L. Jackson, en salles depuis le 5 octobre
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