MOI, DANIEL BLAKE-Palme d’Or ?
Ken Loach a reçu la deuxième Palme d’Or de sa carrière pour ce film, en mai dernier à Cannes. On est donc en droit d’attendre un film exceptionnel, tant sur le plan formel que du contenu thématique. Le problème, c’est que Ken Loach n’a jamais été un grand réalisateur, du point de vue strictement cinématographique. C’est un cinéaste au style naturaliste, dénué d’effets et qui se rapproche du documentaire. Ce qui fait la force de ses films cependant, c’est leur impact dramatique et l’authenticité de leurs scénarios et personnages, ancrés dans un contexte social fort. Car Loach est un révolté qui a décidé de montrer les horreurs du monde capitaliste et de donner la parole aux citoyens les plus vulnérables. Des films comme Raining Stones, The Navigators ou Just A Kiss restent très forts, très justes, très sensibles. Alors, pour son dernier film, on attendait Loach au tournant, lui qui était sorti de sa retraite pour repartir au combat, une dernière fois. La fois de trop?
Cette fois, Loach s’attache au pas de Daniel (formidable et attachant Dave Johns), un homme qui a perdu son travail suite à un accident cardiaque et qui, ses indemnités d’invalidité refusées, est obligé de chercher du travail pour pouvoir toucher le chômage. On voit bien ce qui intéresse Loach ici: montrer l’absurdité et la cruauté du système d’aides sociales britannique. Et c’est le grand mérite du film, celui de dénoncer un système inhumain et proprement dégueulasse. On sent monter en soi le dégoût et la révolte. Cet aspect-là est très réussi. Mais le gros problème, c’est qu’en dehors de ça, Ken Loach et son scénariste fétiche Paul Laverty (20 ans de collaboration depuis Land And Freedom) ne nous proposent pas grand-chose d’autre.
L’ennui arrive assez vite, et, pire que tout, le désintérêt progressif qui s’installe face à ce qui se passe à l’écran. Loach arrive donc au résultat inverse qu’il visait: impliquer le spectateur d’une façon viscérale. Le film manque de rythme et surtout devient vite assez soporifique. Le parcours du personnage principal est, certes, tristement banal et répétitif mais sur un plan dramatique on a juste un homme qui va à des rendez-vous au Pôle Emploi, cherche un travail sans conviction et, surtout, apparaît un peu comme un stéréotype du vieil ours bougon et râleur. Le comédien a beau être formidable, le personnage est quand même un peu cliché. Le film n’a pas de vrai colonne vertébrale et fait du surplace. Loach et Laverty avaient eu plus de talent et de réussite sur certaines de leurs collaborations précédentes. Là, nous avons juste un film paresseux et qui se contente d’un discours « Ah que ce système est injuste! Regardez! » au lieu d’essayer d’affiner les personnages et les situations. Il y avait plus de travail à ce niveau dans The Navigators ou Carla’s Song, par exemple. Et comme le film est assez terne (quotidien grisâtre oblige) visuellement et que Ken Loach n’est pas un génie de la caméra, il est dur de ne pas s’assoupir quelque peu.
Il y a, quand même, des scènes à sauver, comme celles de la banque alimentaire ou du supermarché, mais même si elles sont fortes, elles sont peu nombreuses, trop disparates et peinent à dynamiser l’ensemble. Et on s’étonne que certaines pistes narratives ne soient pas plus exploitées. La relation entre Daniel et la jeune chômeuse mère célibataire et ses deux enfants donnent lieu à des moments touchants mais cela reste succinct, on en voit pas assez. Dommage, ses scènes semblent être le cœur du film mais Loach peinent à le ranimer. Il en est de même pour la « solution » que cette jeune femme trouve à ses problèmes: trop vite expédié pour convaincre. Mais le pire est atteint dans les scènes finales du film. La scène, drôle, où Daniel se révolte en écrivant sur les murs de l’agence pour l’emploi est gâchée par l’arrivée d’une caricature de guignol alcoolique, censée représenter le prolétariat qui soutient Daniel. On a connu Loach moins condescendant! Quant à la fin, aussi dramatique soit-elle, elle est prévisible et sonne un peu faux. L’épilogue est émouvant mais laisse trop de choses dans l’ombre (quid du sort de certains personnages?). En l’état, on a juste un discours plat et ennuyeux sur les gentils pauvres et les méchants fonctionnaires qu’on connaît par cœur. On a beau être d’accord sur le fond, on aurait aimé voir un film plus habité et plus vivant. Du vrai Ken Loach quoi!
Note: 2/5
I, Daniel Blake, de Ken Loach, avec Dave Johns et Hayley Squires, en salles depuis le 26 octobre.
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