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LES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES (1892)-Arthur et Sherlock
Sir Arthur Conan Doyle (1859-1930) a consacré quarante années à son personnage fétiche de détective-conseil, le célèbre Sherlock Holmes. De 1887 à 1927, il lui a dédié quatre romans et cinquante-six nouvelles, avec une interruption de prés d’une décennie (1894-1902) et tout en écrivant d’autres romans, tels La Compagnie Blanche, Le Monde Perdu ou La Grande Ombre, ainsi que de nombreuses autres nouvelles. Mais c’est sans nul doute les enquêtes de Sherlock Holmes qui lui valent d’être connu dans le monde entier, et ce pour les siècles des siècles. Rarement personnage de fiction n’aura suscité un tel engouement et un tel phénomène, phénomène qui a même dépassé son auteur lui-même. Le public de l’époque, croyant que Holmes était un personnage réel, envoyait des lettres aux journaux qui publiaient ses aventures, afin de lui réclamer aide et assistance pour des problèmes personnels. Enfin, on ne compte plus les romans, les séries télévisés, les films, les bandes-dessinées, les parodies que Holmes a engendrés, depuis le décès de son créateur. Holmes est même devenu une discipline à part dans la littérature policière: l’holmeséologie. Les holmésiens sont des férus et des passionnés du personnage et pour eux, pas de doute, Holmes a vraiment existé, Conan Doyle n’étant que l’agent littéraire du docteur Watson. Non rassurez-vous, ils ne sont pas fous. Ce sont des gens sérieux qui s’amusent mais qui analysent tout ce qui a trait à leur personnage favori.
On divise couramment les œuvres littéraires sur Sherlock Holmes en deux catégories: le Canon et les apocryphes. Le Canon est l’ensemble des récits écrits par Conan Doyle, les apocryphes sont ceux écrits après sa mort par d’autres auteurs. Parmi les nouvelles du Canon, certaines sont plus connues que d’autres et certaines peuvent paraître un peu plus faibles. Alors quel roman ou quel recueil exprime le mieux ce qu’est l’essence de Sherlock Holmes et ce qui fait le talent de Conan Doyle? Le premier recueil des enquêtes de Holmes, The Adventures of Sherlock Holmes, s’impose d’emblée.
S’il s’agit du premier recueil de nouvelles sur Holmes, ce n’est pas la première apparition du détective consultant. En effet, Holmes est apparu pour la première fois dans Une Etude en Rouge, paru dans le Beeton’s Christmas Annual, en 1887. Doyle, à l’époque jeune marié et jeune médecin ophtalmologiste qui s’installe, tire un peu le diable par la queue. Comme il aime écrire, il propose des récits historiques (l’Histoire est sa grande passion, plus que le crime) aux journaux et aux éditeurs qui les refusent car cela ne se vend pas. Admirateur des romans policiers de Emile Gaboriau mettant en scène l’inspecteur Lecocq de la Sûreté Générale et des trois enquêtes du chevalier Dupin écrites par Edgar Allan Poe, Doyle décide de se lancer dans la littérature policière, plus commerciale et plus rentable que le Moyen-Age des chevaliers. Il crée donc Sherlock Holmes et le docteur John H. Watson, son assistant et biographe. Une Etude Rouge relate donc leur rencontre et propose un meurtre à élucider, sur fond d’une terrible histoire de vengeance vieille de plusieurs années. Les méthodes de Holmes sont neuves et s’appuient sur l’observation minutieuse des faits et des indices et de la déduction logique. Holmes est ainsi capable de déduire toute l’histoire d’un individu en observant simplement ses habits, ses mains, ses chaussures, sa coiffure, etc. Une Etude en Rouge, hélas, ne convainc pas le public et demeure un échec. Toutefois, trois ans plus tard, en 1890, Doyle retente sa chance avec un deuxième roman sur une enquête de Holmes: Le Signe des Quatre. Et là, c’est le succès, inespéré et salvateur sur le plan financier (la carrière médicale de Doyle, qu’il finira par abandonner, piétine et il n’arrive pas à placer ses autres écrits). L’engouement du public est tel que le Strand Magazine commande une série d’histoires de Sherlock Holmes pour ses lecteurs. Elles seront illustrées par Sidney Paget, qui coiffera Holmes du célèbre deerstalker, et seront publiées dans le Strand entre juillet 1891 et juin 1892. Elles paraîtront ensuite en recueil, fin 1892.
Le présent recueil est composé de douze nouvelles: Un Scandale en Bohême, La Ligue des Rouquins, Une affaire d’identité, Le mystère du Val Boscombe, Les cinq pépins d’orange, L’homme à la lèvre tordue, L’escarboucle bleue, Le ruban moucheté, Le pouce de l’ingénieur, Un aristocrate célibataire, Le diadème de béryls, Les Hêtres Rouges. Certaines d’entre elles sont devenues de véritables classiques (Un scandale en Bohême, La Ligue des Rouquins ou Le ruban moucheté). Chez le grand public, comme chez les holmésiens, on cite souvent l’une ou l’autre de ces douze histoires quand on veut lister ses enquêtes préférées de Holmes. Le fait est que Conan Doyle brasse assez large parmi les types de crimes: meurtres, vols, chantage, disparitions, menaces de mort. Seules trois de ces nouvelles concernent des meurtres ou des morts violentes. Certaines ne sont juste que des petits faits divers, à priori sans intérêt, mais qui donne à Holmes l’occasion de faire la démonstration de ses talents. Dans Une Affaire d’identité ou L’homme à la lèvre tordue, aucun crime, au sens juridique, n’est commis mais les problèmes posés et les solutions apportées par Holmes sont astucieux. Doyle montre ici la banalité du quotidien et des faits divers et, bien sûr, l’incroyable banalité des humains soumis à l’envie, à la peur, à la jalousie. Il s’agit avant tout d’une littérature de faits divers. Néanmoins, au détour de certains passages, on y découvre parfois toute la bassesse dont peut faire preuve l’être humain.
La cruauté de l’Homme semble sans limite pour Conan Doyle (Le ruban moucheté, Une affaire d’identité, Les Hêtres Rouges). Certaines machinations criminelles qu’il invente font froid dans le dos. Sur le plan social, Doyle s’interroge aussi sur le triste sort réservé aux femmes par la société anglaise victorienne. L’Angleterre a beau avoir une Reine, elle est affreusement misogyne. Dans Les Hêtres Rouges, il s’interroge même sur l’hérédité et sur l’influence d’un certain milieu sur un enfant. Doyle part toujours de prémices alléchants (un fiancé disparaît le matin de ses noces, une mariée disparaît le jour de ses noces, une jeune femme se sent menacée par quelque chose d’indéfinissable dans sa propre chambre à coucher, un jeune homme reçoit cinq pépins d’orange dans une enveloppe et voit sa vie menacée, une photo compromettante doit être récupérée, un meurtre est commis dans la campagne anglaise, une oie de Noël renferme un bien beau trésor, etc). C’est ce qui fait que ces histoires sont devenues des classiques. Elles débouchent parfois sur un dénouement spectaculaire, parfois sur une résolution plus banale. Mais le point de départ est toujours prenant et addictif et le lecteur est passionné jusqu’à la résolution de l’affaire.
Le style de Conan Doyle, mainte fois imité, est précis et direct. Il a ce don particulier de tout de suite nous faire entrer dans une certaine atmosphère, qu’elle soit tragique ou plus picaresque. Jusque dans les détails, Doyle soigne son récit. Comment oublier la sinistre demeure des Roylott de Stoke Moran? L’attente insupportable dans la chambre à coucher de la même demeure? Comment oublier le piège mortel dont se sort in extrémis le jeune ingénieur Victor Haterley? Comment oublier la mort violente et mystérieuse du colonel Openshaw? Ou les Hêtres Rouges, bâtisse qui dissimule un secret inavouable? Doyle arrive à faire peur et à susciter le malaise chez le lecteur. Et il sait l’attraper dès le début. Chaque commencement de ses nouvelles est inoubliable. L’exemple le plus frappant? Les Cinq pépins d’Orange et sa tempête d’équinoxe synonyme de danger, qui amène la malédiction Openshaw chez Holmes et Watson. Mais l’humour a aussi sa place. Holmes pratique un humour noir salvateur et se moque de la police officielle. Mais derrière le logicien froid et le cocaïnomane invétéré, apparaît parfois un homme beaucoup plus humain et compréhensif qu’il n’y parait. Et même un philosophe existentialiste….mais misanthrope! Curieusement, il se montre beaucoup moins mysogine que sa réputation le laisse croire. Il accorde ainsi beaucoup de crédit à l’intuition féminine. Dans Un Scandale en Bohême, il est battu par une femme, Irene Adler, une femme qu’il ne cessera pas d’admirer (sans être amoureux pour autant).
Les Aventures de Sherlock Holmes est donc un recueil indispensable pour decouvrir ou redécouvrir Sherlock Holmes. On y rit (L’escarboucle bleue avec son atmosphère de conte de Noël à la Dickens)) et on y frissonne (Le Ruban moucheté, histoire proprement effrayante). On y croise aussi des dangers venus de l’autre côté de l’Océan. On peut enfin y réfléchir sur la société et la nature humaine. Les histoires de Conan Doyle sont toujours d’actualité, même maintenant. Car, comme dit Holmes, « tout ce qui est, a été. Il n’y a rien de neuf sous le soleil. » Pour Doyle, ses histoires seront synonymes de consécration et de succés. Néanmoins, on sent poindre l’agacement du romancier historique vis à vis de cette littérature à sensations. Dans Les Hêtres Rouges, Holmes critique la relation écrite de ses enquêtes par Watson. Doyle, visiblement, aspirait à autre chose et commençait à se lasser de son détective. A la fin des Hêtres Rouges, Watson trouve que Holmes a été décevant sur cette enquête. Watson et Doyle ne sont pas très reconnaissants à Holmes qui les a sortis de l’anonymat! Doyle ira encore plus loin dans le recueil suivant….Mais ceci est une autre histoire!
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