» Catégorie : Cinéma
10 CLOVERFIELD LANE-A l’intérieur
Commentaires » 0Une jeune femme, Michelle (Mary Elisabeth Winstead), quitte son petit ami et décide de tout plaquer. Elle met quelques affaires dans un carton et quitte la ville, à bord de sa voiture. La nuit, elle est victime d’un accident et fait une sortie de route. Elle se réveille dans une sorte d’abri anti-atomique. Le maître des lieux, Howard (John Goodman) lui explique que les Etats-Unis ont été victimes d’une attaque chimique ou nucléaire, que l’air extérieur est devenu nocif et qu’il faut qu’ils restent à l’abri dans ce bunker. Michelle découvre aussi un autre « captif » de Howard: Emmett (John Gallagher Jr). La tension commence à monter entre eux trois. Et si Walter était complètement taré?
Evacuons d’emblée le lien avec le Cloverfield (2008) de Matt Reeves. 10 Cloverfield Lane n’en est pas la suite ni le préquel. Si vous n’avez pas vu ou si vous n’avez pas aimé Cloverfield, vous pouvez quand même aller voir 10 Cloverfield Lane. L’histoire du film est complètement indépendante. Quant à savoir si les deux films se passent dans le même univers, c’est une possibilité mais ce n’est pas le plus important. Le plus important c’est que 10 Cloverfield Lane est un film dont on ne savait rien, il y a encore 3 mois. Fin janvier, JJ Abrams et son équipe de chez Bad Robot ont balancé un premier teaser mystérieux et addictif. Et, ô miracle, la bande-annonce suivante n’en dévoile pas plus! Un gros miracle en ces temps où les studios dévoilent toutes les scènes spectaculaires de leurs blockbusters dans les bandes-annonces. Maintenant 10 Cloverfield Lane est-il seulement un produit superbement marketé par Bad Robot ou est-ce un vrai bon film?
Ni l’un, ni l’autre, il s’agit tout simplement de l’une des meilleures séries B de ces dix dernières années. Car oui, c’est une série B et il n’y a rien là de péjoratif. Le film a beau être distribué par Paramount, c’est un petit film dont le budget tourne autour des 10 millions de dollars (une misère à l’échelle hollywoodienne, le budget cantine de Batman V Superman!). Mais c’est un petit film diablement efficace. Le scénario est remarquable. Du début à la fin, le spectateur est mené par le bout du nez. Constamment, des rebondissements et des revirements de situation amènent le film dans une autre direction. A tel point qu’on en oublie toutes nos idées préconçues.
Ensuite, le film est un huis-clos entre trois personnages. Là encore, l’écriture du script est juste remarquable. D’une part, l’évolution de la situation initiale est remarquablement gérée et progresse lentement, tout comme la tension qui gagne le spectateur. D’autre part, les trois personnages sont remarquablement écrits et caractérisés. Ce ne sont pas des stéréotypes mais des personnes normales avec leurs zones d’ombres….et leurs secrets. La confession partagée entre Michelle et Emmett est l’une des scènes les plus émouvantes et justes vues sur un écran, les personnages étant séparés par un mur…et éclairés différemment. Le personnage de Hoawrd n’est pas un psychopathe caricatural. Il apparaît tour à tour menaçant, inquiétant, dissimulateur mais aussi compréhensif, protecteur et attentionné. John Goodman y trouve là un rôle à la démesure de son talent. Les deux autres acteurs sont eux aussi prodigieux. Ils sont le cœur de la réussite du film.
Le réalisateur Dan Trachtenberg accomplit aussi un travail remarquable. Niveau gestion de l’espace, découpage, interaction entre les protagonistes, c’est du grand art! Sa réalisation est précise et minutieuse et fait monter le malaise insidieusement. On suivra la suite de sa carrière avec grande attention. Trachtenberg amène sa petite série B vers un dénouement très surprenant avec une grande maîtrise. Son style peut rappeler celui de Spielberg, niveau efficacité. Et puis le portrait de cette anti-héroïne qui doit apprendre à choisir et à s’engager est réellement émouvant. Mary-Elisabeth Winstead y trouve là son meilleur rôle à ce jour.
On pourra peut-être reprocher au film de ne pas assez développer certains aspects, comme le « secret » d’un des personnages. Mais tout passe quasiment par l’image et les regards. A ce titre, le début est exemplaire: comment présenter le personnage principal et son dilemme en seulement quelques plans et sans dialogues…10 Cloverfield Lane s’impose haut la main comme un classique des années 2010 et une métaphore brillante des dérives d’une Amérique paranoïaque qui vit repliée sur elle-même.
Note: 4/5
10 Cloverfield Lane, de Dan Trachtenberg, avec John Goodman, Mary-Elisabeth Winstead et John Gallagher Jr, en salles depuis le 16 mars.
THE REVENANT-Lucky Leo
Commentaires » 0Il y des films qu’on attend comme le Messie parce que leur bande-annonce nous fait saliver et parce qu’ils créent un buzz sans précédent. Les critiques sont élogieuses alors on s’attend à un chef d’œuvre. Et souvent, cela se confirme après vision. Mais parfois, la déception est cruelle et le film s’avère être une baudruche qui se dégonfle. C’est le cas de The Revenant.
The Revenant n’est pas foncièrement mauvais, ce n’est pas un navet. C’est pire, c’est un film moyen, assez terne, qui ne déclenche pas une véritable passion ou une véritable haine. Il y a deux projets qui cohabitent dans ce film et qui finissent par en ruiner tout le potentiel. Tout d’abord, nous avons un film d’auteur, un film de cinéaste virtuose, une expérience viscérale et incroyable. C’est vrai durant les 45 premières minutes, tout bonnement hallucinantes. On tient un futur grand film. Innaritu nous montre une attaque indienne sur des trappeurs d’une violence et d’un réalisme qui laisse sans voix. A l’aide de plans-séquences majestueux, d’une violence jamais édulcorée et d’un culot monstre, il nous fait ressentir l’ensemble avec maestria. Et cela continue avec la fuite des survivants, l’attaque de l’ours (une putain de scène culte!), le meurtre d’un des protagonistes et l’abandon du personnage principal à son sort. Tout cela est grandiose, filmé dans une nature immaculée et incroyablement immersif. Le spectateur est scotché sur son siège. Le chef d’œuvre tant attendu se profile à l’horizon….
Puis Leo sort de sa tombe et le film se transforme en film à Oscars terriblement convenu. Lors d’un acte central abominablement chiant, nous suivons le chemin de croix, censé être douloureux, du héros. Il n’y a plus de rythme et l’ennui s’installe. Leo court à quatre pattes, Leo fait du feu, Leo s’abrite du froid, Leo pêche le poisson, Leo souffre et grimace devant la caméra. Voilà, c’est Seul Au Monde et il aura son Oscar. Mais le pire c’est que Innaritu change de style et filme tout cela d’une façon bien plate et conventionnelle, comme si il rentrait subitement dans le rang dans l’espoir de gagner des récompenses. Il nous gratifie, au passage, de visions surnaturelles d’un ridicule achevé (le fantôme de l’épouse défunte qui flotte au-dessus de Di Caprio) et qui n’apportent rien. Un personnage secondaire d’Indien apparait et disparait du film aussitôt, pour laisser la vedette à Leo. Il a juste servi à le nourrir et basta! Et puis surtout, que de facilités! Le personnage, suite à l’attaque de l’ours, marche à quatre pattes, un séjour dans l’eau glacée et hop! il tient sur ses deux jambes avec un bâton. Quand il arrive au bord d’une rivière, à quatre pattes, il surplombe une rivière et…le plan d’après il est, ô miracle, au bord de l’eau! Et ses poursuivants, pourtant à cheval et pas très loin, prennent tout leur temps pour le rattraper! Le pire est atteint quand il tombe, à cheval, d’une falaise. Le cheval s’écrase comme une merde et meurt. Di Caprio voit sa chute ralentie par un arbre et se relève…sans fractures! Agaçant! Le genre de détails qui vous sortent du film!
Heureusement, Innaritu se réveille pour l’acte final et nous y propose un face à face tendu et barbare. On retrouve à ce moment ce qui faisait le sel du début du métrage. Il faut souligner ici la très bonne prestation de Tom Hardy (Mad Max-Fury Road) dans le rôle, souvent ingrat, du bad guy. L’acteur y incarne un personnage veule, lâche, cupide mais lucide, le tout sans caricature aucune. Hardy le rend terriblement humain et proche de nous, malgré ses actes. D’ailleurs, les scènes avec Tom Hardy s’avèrent souvent meilleures que celles avec Di Caprio et l’acteur britannique est beaucoup plus subtil dans son jeu que son confrère américain. Lui aussi est nommé à l’Oscar, mais catégorie Second Rôle.
Malheureusement, Innaritu veut absolument faire « film d’auteur » avec ce regard final face caméra qui gâche tout et où son acteur principal semble chercher la reconnaissance de son réalisateur et du public. Trop long, parfois prétentieux et boursoufflé, ne tenant pas ses promesses, The Revenant ne provoque au final qu’un sentiment de déception et de gâchis, malgré de très belles images. Dommage!
Note: 2,5/5
The Revenant, de Alejandro G. Innaritu, avec Leonardo Di Caprio et Tom Hardy, en salles depuis le 24 février.
DEADPOOL-Mupastant que ça…
Commentaires » 0Ancien soldat d’élite, Wade Wilson (Ryan Reynolds) est devenu un mercenaire louant ses services à des commanditaires privés. Il rencontre Vanessa, une superbe escort-girl. C’est le coup de foudre. Ils sont très heureux jusqu’à ce que Wade apprenne qu’il est atteint d’un cancer généralisé. Condamné à brève échéance, il accepte la proposition d’un homme mystérieux qui le contacte: recevoir un traitement révolutionnaire qui le guérira de son cancer et le dotera d’une invincibilité physique qui le rendra quasi-immortel. L’expérience tourne mal, Wade est défiguré, laissé pour mort mais avec des super-pouvoirs. Il n’ose plus paraître devant Vanessa. Il décide de retrouver ses bourreaux et de se venger.
Deadpool est adapté d’un comics Marvel qui se situe dans l’univers des X-Men. Deadpool est devenu un mutant suite à des expériences. Mais c’est un franc-tireur qui ne veut faire partie d’aucun groupe. Le succès du comics vient de son ton et de son style politiquement incorrects: Deadpool est violent et ordurier, ainsi que porté sur le sexe. Adapter un tel comics est très risqué pour la Fox. Comment garder le ton original du comics et attirer un large public? Après 15 ans (!) de gestation, et une apparition ratée du personnage dans le Wolverine de 2009 (déjà sous les traits de Ryan Reynolds), Deadpool a enfin droit à son film rien qu’à lui. Justice lui est-elle rendue?
Le film démarre sur les chapeaux de roue. Les 30 premières minutes sont extrêmement rythmées et funs. Les scènes d’action sont lisibles et jouissives. Mieux, le film adopte le même ton que le comics. On a droit à du sang, de la violence, des vannes sexuelles, etc. Cela nous change de l’univers aseptisé des Avengers! On se marre, on jubile. A ce moment, le film atteint son contrat. D’autant qu’il propose une histoire d’amour assez crédible et touchante, avec des scènes d’amour pas grand public du tout! Mais patatras, tout s’écroule.
La structure était intéressante: une longue scène d’action entrecoupée de flash-backs sur l’histoire passée du héros, qu’il nous raconte lui-même. Seulement, cela finit par devenir lassant. Comme le film. Passé cet excellent début, le film marque le pas et devient ennuyeux. La longue partie centrale sur le calvaire passé du héros finit par s’éterniser et être assez cliché. Le méchant antagoniste de Deadpool est aussi expressif et inquiétant qu’un menhir, encore un gros costaud qui fronce les sourcils et qui sourit à chaque menace proférée…Les vannes aussi finissent par devenir lassantes. On finit par ne plus rire aux saillies de Deadpool (de moins en moins drôles à mesure que le film avance) et à ses coups de coudes répétés et fatigants aux spectateurs. Oui, parce qu’en plus, c’est un film supposé ironique qui se commente lui-même. Genre « y a que deux mutants dans l’école parce la prod avait pas assez de budget pour en mettre plus? ». Sauf que c’est le cas, le film a un plus petit budget que les X-Men et comme tout le pognon de la Fox est passé sur X-Men- Apocalypse, restaient que les miettes. Voilà, on se dédouane de tout ça avec une vanne , genre « Vous avez payé votre place pour un film sous-budgété, ah ah ah, c’est drôle », on se moque ouvertement du spectateur à qui on colle un Colossus bêtement moralisateur flanqué d’une ado mutante mimi.
Le scénario est fort décevant. Une scène d’action en entrée, un long flash-back sur le héros en plat principal et un affrontement final en dessert. Et allez hop, emballé c’est pesé! Heureusement que ce climax est bien foutu et retrouve l’énergie du début. Enfin, on retrouve un peu le film qu’on avait aimé 3/4 d’heure avant. Les affrontements entre mutants (ils sont cinq) sont assez bien foutus. Mais bon, tout a une fin. Ici un happy end un peu hors-sujet pour un tel film. Après le générique, on a droit à une scène rigolote mais prévisible et où on se paie encore la tronche du spectateur (moyennement sympa). Sinon, Ryan Reynolds assure, les filles sont mignonnes et les sfx sont bien faits. Malheureusement, il ne reste qu’un divertissement vaguement sympathique, mais qui finit par tourner à vide et qu’on aura oublié d’ici quelques semaines…
Note: 2/5 (je change la notation des films)
Deadpool, de Tim Miller, avec Ryan Reynolds, sorti depuis le 10 février.
LES 8 SALOPARDS-Enfer blanc
Commentaires » 0Etats-Unis, peu de temps après la fin de la guerre de Sécession. John Ruth (Kurt Russell) surnommé « Le Bourreau », un redoutable chasseur de primes, ramène une prisonnière, Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh), pour qu’elle soit pendue. Le blizzard menace. Ruth est bientôt forcé de prendre à bord de sa diligence deux passagers. Tout d’abord, un autre chasseur de primes: le major Marquis Warren (Samuel L. Jackson). Puis un ancien renégat sudiste qui va prendre un poste de shériff: Chris Mannix (Walton Coggins). Bientôt, nos quatre passagers et leur cocher vont devoir s’arrêter à la mercerie de Minnie car la tempête menace. Là, ils vont trouver quatre hommes qui attendent, comme eux, la fin du blizzard. Mais Ruth commence rapidement à soupçonner l’un d’entre eux d’être de mèche avec sa prisonnière…
Après le formidable Django Unchained, sorti il y a trois ans, on pouvait bien se demander ce que Tarantino allait faire dans son prochain western, qu’il a rapidement annoncé. On avait peur de la redite. Mais on avait tort. Car cet Hateful Eight est une surprise de taille, un film fort surprenant qui prend des chemins inattendus.
Le film est un huis-clos qui se passe dans une mercerie, perdue dans les montagnes. Il y a quelques scènes en extérieur, dans l’immensité neigeuse, mais le film rappelle constamment son statut de huis-clos. Tarantino n’a de cesse d’enfermer ses personnages. Passé un magnifique générique d’ouverture où le score superbe et puissant de Morricone éclate, et à peine fait-on connaissance avec le personnage de Samuel L. Jackson, que le réalisateur enferme ses personnages dans une diligence. Cette longue scène d’introduction pose tous les repères futurs du film: thèmes, personnages, ambiance. Mais c’est, encore une fois, une scène de discussion où éclate le talent de Tarantino à créer des personnages solides et des dialogues ciselés. On a vraiment l’impression d’être dans une diligence du Far-West avec des personnages du crû! Et le tout est d’une drôlerie!
Une fois arrivé à la mercerie, le spectateur va être convié à un ballet de défi et de mort entre les personnages. Le film devient autre chose. Plus sale, plus crapoteux, plus angoissant, plus méchant. Il faut saluer l’incroyable sens de l’espace de la réalisation de Tarantino. On se repère facilement dans la mercerie. Et chaque dialogue, chaque affrontement ou monologue, chaque déplacement de personnage est réalisé au cordeau par un Tarantino dont la précision de filmage est minutieuse. Il a avoué n’avoir jamais été fan d’Hitchcock. Pourtant, Sir Alfred n’aurait pas désavoué cette mise en place et cette chorégraphie du suspense. Le film est un whodunit, un Cluedo chez les cows-boys. Il y a un traître et il faut l’identifier. Chaque dialogue et chaque regard pèsent lourd. Mais bientôt, Tarantino déjoue nos attentes et bascule dans l’horreur et l’impensable. Il nous secoue par le colbac. Bien sûr, l’humour noir fait passer la pilule. Mais Tarantino s’amuse à rendre hommage au The Thing de Carpenter (la présence de Kurt Russell n’est pas surprenante) via une atmosphère et des débordements « horrifiques ». Quand la violence éclate, ça fait mal! Et la présence quasi-surnaturelle de ce blizzard qui menace à l’extérieur, est bien vue.
On retrouve beaucoup des thèmes fétiches de Tarantino. La parole est encore une fois une arme ici. Et comme dans Pulp Fiction ou Jackie Brown, c’est l’immense, le redoutable, le génial Samuel L. Jackson qui joue du verbe comme d’une arme mortelle, seul Noir au milieu des hommes blancs. Comme dans Django, la question du racisme vis à vis des Noirs est abordé. Mais le contexte est différent. Ici, nous sommes après la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage. Mais les rancoeurs sont toujours là, entre Nordistes et Sudistes, entre Blancs et Noirs, entre esclavagistes et hommes libres. C’est un film politique qui traite (et dénonce) de la suprématie de la race blanche aux Etats-Unis. Ferguson n’est pas loin et nous avons vu Tarantino prendre courageusement partie contre les débordements racistes de la police de son pays. Mais le personnage noir de ces 8 Salopards n’est pas un ange. C’est un chasseur de primes, un tueur de blancs racistes comme il se définit. Il est aussi roublard, malin et pervers que les autres protagonistes (il n’y a aucun vrai personnage positif dans ce film). La violence des Blancs sur les Noirs a crée un monstre qui demande des comptes. Brillante allégorie de la situation raciale actuelle aux Etats-Unis. Le film raconte pourtant le rapprochement entre un Noir et un Blanc, une sorte d’estime mutuelle, mais ce n’est pas comme dans Django et cela se scelle dans la mort et la violence. Oui, nous avons affaire à un film politiquement incorrect qui se joue de tous les clichés.
Ponctué de trouvailles savoureuses (la lettre de Lincoln, la porte de la mercerie) et de petits effets narratifs malins (la scène du café), Les 8 Salopards se repose sur un casting parfait. On le redit: Samuel L. Jackson est monstrueux. Kurt Russell livre aussi un numéro génial en vieux briscard retors. Walton Coggins est parfait de lâcheté et de médiocrité en raciste du Sud. Michael Madsen est formidable dans son rôle de cow-boy fataliste et taiseux (quel regard!). Tim Roth est magnifique de roublardise, tandis que Bruce Dern nous livre une hilarante prestation de vieux grincheux. Et puis il y a Jennifer Jason Leigh, ses œillades, son sourire et sa voix…Tour à tour pleine de duplicité ou de charme, elle est parfaite et tient la dragée haute face à tous ces hommes. La scène où elle chante à la guitare est d’une grande émotion.
Jouissif, brutal, horrifique, drôle, politique, incorrect, Les 8 Salopards est un modèle d’écriture scénaristique et scénique. Le plus énervant avec Tarantino, c’est qu’il s’améliore de film en film. A voir absolument! Note: 20/20
The Hateful Eight, de Quentin Tarantino, en salles depuis le 6 janvier.
TOP 10 2015
Commentaires » 0LE FILS DE SAUL-L’enfer
Commentaires » 0Octobre 1944. Saul est un juif hongrois, prisonnier au camp d’Auschwitz. Il fait partie des Sonderkommando, ces prisonniers juifs que les nazis chargeaient d’amener les prisonniers aux fours crématoires et de brûler les cadavres. Saul s’acquitte de cette tâche, sans émotions. Un jour ou l’autre, il sait que ce sera son tour. Et puis un jour, le corps d’un jeune garçon va réveiller quelque chose en lui…
Un choc. C’est ce qu’on ressent face à ce film. On rentre dedans, on en sort plus. Pas d’échappatoire. C’est une véritable expérience cinématographique, que l’on vit pleinement. Rares sont les films à s’imposer comme des classiques instantanés. Saul Fia (titre original) en fait partie. C’est un film qu’on n’oubliera pas. C’est un film qui va rester. C’est un film courageux, exigeant, nécessaire et profondément bouleversant. C’est le film le plus important de la décennie. C’est un film fait de ténèbres mais qui possède une lumière intérieure très forte, apte à éclairer les consciences. Saul Fia est un chef d’œuvre.
Làszlo Nemes, le réalisateur, est lui-même hongrois et juif. Beaucoup de membres de sa famille sont morts dans les camps. Il voulait leur rendre hommage et faire un devoir de mémoire. Mais le film va bien au-delà de cette intention. Nemes est un réalisateur courageux, honnête et talentueux. Il a trouvé un angle particulièrement pertinent pour son histoire. Le film épouse complètement le point de vue d’un Sonderkommando. Saul assiste les nazis dans l’extermination de ses semblables. Lui et les autres Sonderkommando (qui vivent séparés des autres prisonniers du camp) font se déshabiller les prisonniers, les amènent au four crématoire, attendent, ramassent les cadavres, aident les nazis à les brûler et vont disperser les cendres dans la nature. Mais ce ne sont pas des privilégiés, au bout de quelques mois, ils sont eux aussi gazés et remplacés par d’autres. C’est un point de l’Holocauste dont on parle peu. Sa réalité est glaçante.
Tout le film est filmé au format 4/3, comme pour nous empêcher de respirer et nous faire ressentir l’enfermement et la proximité de la mort. Nous restons constamment sur Saul. Le prodigieux acteur Géza Röhrig est de tous les plans: de face, de dos, au premier plan, quelquefois la caméra épouse son regard. Jamais la réalité d’un camp d’extermination nazi n’avait été montrée aussi froidement et aussi crûment. Mais nulle complaisance ici. Tout se déroule à l’arrière plan. Cris, pleurs, bruits des armes, des portes qui claquent…Le début est, à ce titre, traumatisant. Jamais l’horreur de la solution finale n’a été aussi palpable. Le quotidien de Saul est exposé dans les 10 premières minutes. Rien que ces 10 minutes sont fortes, puissantes et déchirantes: les coups sur la porte du four, le nettoyage après le gazage…On devine mais on a rien vu. Mais l’horreur nous saisit. Nous sommes restés sur Saul.
Saul…Un homme mutique mais complexe. Un homme qui a anesthésié sa part d’humanité pour effectuer un travail proprement horrible, dans le but dérisoire de survivre quelques semaines ou mois de plus. Saul ne ressent rien. Et puis, il tombe sur le cadavre de ce jeune garçon. Et là, quelque chose dans son regard…Saul se réveille. Il décide que le garçon sera enterré et non brûlé. Il se met en marche. Il court. Il se met en danger. Pour cacher le corps. Pour chercher un rabbin parmi les prisonniers. Dérisoire. Mais c’est une quête pour retrouver sa dignité d’homme et son humanité. On éprouve une forte empathie pour lui. Et derrière Saul…l’enfer. Durant son périple, nous voyons, à l’arrière-plan, toute la chaîne de l’horreur de l’extermination des juifs: le parcours des corps après le gazage. Car c’est cela la réalité d’Auschwitz, et que reconstitue le film: une usine de la mort, une chaîne infernale qui ne s’arrête jamais. Le bruit est assourdissant. L’enfer tourne sans discontinuer. C’est une extermination programmée, méthodique, planifiée… Parfois, Nemes nous en monte un peu plus mais sans rentrer dans les détails. On pense à cette scène qui se déroule au bord des fosses: la nuit, les flammes, les coups de feu, les cris…Une vision tétanisante de l’enfer. Et puis ces Sonderkommando qui déversent les cendres de leurs semblables dans le fleuve…On a envie de crier, de rentrer dans le film et d’arrêter tout ça. Mais non, on ne peut pas. C’est trop tard. Cette horreur fait partie de l’histoire de l’humanité…
Le réalisateur ne fait pas pourtant de Saul, un héros. S’il décide de s’occuper du cadavre, c’est parce qu’il lui rappelle un soi-disant fils disparu. Quand Saul retrouve sa femme, il lui refuse tout geste de tendresse. Peut-être se sent-il indigne d’elle…D’ailleurs, cette scène est forte. On voit des femmes juives qui rangent les affaires et les valises des autres prisonniers. Tout cela tinte et brinquebelote. Toutes ces vies résumées à de simples affaires. Ce bruit, c’est le bruit de leurs vies passées, à tous ces morts…
Saul Fia est une œuvre magistrale qu’il faut absolument voir en salles. Absolument. C’est un film qui montre ce que l’humanité peut avoir de meilleure et de pire en elle. Le film se clôt d’une façon poignante. Mais il reste un fragile espoir. Une petite lumière dans les ténèbres… Note: 20/20
Saul Filia, de Làszlo Nemes, avec Géza Röhrig, en salles depuis le 4 novembre.
SICARIO-The descent
Commentaires » 0Un agent du FBI (Emily Blunt) est recruté par un mystérieux consultant de la Défense (Josh Brolin) dans une opération de grande ampleur contre les cartels mexicains de la drogue. Elle sera amenée à collaborer avec un agent trouble (Benicio Del Toro), perdra ses illusions et découvrira un univers impitoyable.
Le nouveau film du canadien Denis Villeneuve (Incendies, Enemy, Prisoners) est un pari très risqué. Le grand public venu chercher un thriller d’action à la Jason Bourne sera déçu. Les partisans du chichiteux et bavard Traffic de Soderbergh (où déjà Del Toro officiait…et sauvait le film) aussi. Pourtant, il y a de l’action. Pourtant, il y a un discours politique. Pourtant, c’est un film d’auteur qui porte la marque de son réalisateur. Non, ce qui va perdre le public et le décontenancer, c’est la parti-pris narratif casse-gueule de sa première partie.
La thématique du labyrinthe est une constante dans les films de Villeneuve. Ici, elle prend une importance quasi-démesurée. Pendant une première moitié de film, nous épousons complètement le point de vue du personnage principal. Comme elle, nous avançons dans le brouillard et ne comprenons pas tout les enjeux narratifs du film. On s’identifie beaucoup à elle. Pourtant, le personnage est en retrait. Ce qui est paradoxal, c’est que ce personnage neutre, qui subit plus qu’il n’agit, nous semble proche. Ce n’est pas un caractère fort mais ce qui nous le fait aimer malgré tout, c’est l’interprétation sensible et touchante d’Emily Blunt, dont la beauté diaphane sied à merveille à son personnage. Cet agent du FBI est une petite fille qui se perd dans un labyrinthe complexe, une Alice qui descend dans un pays des merveilles détraqué. Ce qui fait la force du film à ce moment-là, c’est que nous sommes perdus face à ce qui se passe. Tout est opaque et nébuleux. Et pourtant, on est scotché. La beauté des images, la tension qu’imprime Villeneuve à chaque instant (même les discussions les plus anodines), tout cela nous hypnotise et nous captive.
La réalisation de Villeneuve est époustouflante. Comment le film n’a-t’il pas obtenu le Prix de la mise en scène à Cannes demeure un mystère… Filmé avec des plans larges majestueux, Villeneuve nous perd dans un labyrinthe, une fois de plus! Il s’amuse à isoler un hélicoptère via son ombre sur le sol dans un plan aérien où nos yeux se perdent dans le paysage contemplé. Toutes les topographies des lieux sont conçues pour nous perdre, comme si nous étions en immersion dans des endroits inconnus (les paysages, les vues aériennes, le labyrinthe (!) des rues de Juarez). Mais Villeneuve se montre aussi à l’aise dans le suspense, la tension et sait resserrer sa mise en scène. Les scènes d’action sont filmées nerveusement mais toujours avec une pointe de mystère et une certaine distance, quand nous collons aux basques d’Emily Blunt. La photographie de Roger Deakins est aussi incroyable. Il y a une véritable symbiose entre lui et Villeneuve.
D’une scène d’ouverture traumatisante et tétanisante, en passant par une extradition du Mexique aux States bourrée jusqu’à la gueule de tension, Villeneuve n’oublie pas de nous faire transpirer sur nos sièges. Quant à la deuxième partie, une fois que tout est expliqué, on bascule dans un autre film. C’est toujours lent, contemplatif mais ça devient inconfortable pour le spectateur. Il y a plus d’action et c’est beaucoup plus violent qu’au début mais c’est toujours dans un style posé, insidieux mais qui joue avec nos nerfs. A ce moment, nous changeons de personnage principal. Et il est trop tard quand nous découvrons que Sicario épouse finalement le point de vue d’un homme tourmenté, impitoyable, aux méthodes controversées et perdu dans le labyrinthe de sa douleur, de sa peine, de sa colère. Un homme qui a basculé dans la violence, au point d’en faire sa raison de vivre. Un homme qui ira jusqu’au bout de sa logique meurtrière. Il faut saluer ici la performance de Benicio Del Toro qui est ahurissant. Il se dégage de lui un charisme animal et minéral, une brutalité et aussi une grande souffrance. Comme Hugh Jackman dans Prisoners, nous pouvons comprendre ses motivations mais nous ne pouvons juger ses actes. Le film sent le souffre à ce moment et met le spectateur mal à l’aise. D’autant que Villeneuve se montre aussi jusqu’au boutiste que son sicaire.
Villeneuve n’angélise personne, et surtout pas les Américains. Dans ce film, ils se prennent pour le gendarme du monde, agissent au mépris de la loi et pactisent avec le diable pour éradiquer un démon qu’ils ont eux même crée (cf le cynisme du personnage de Josh Brolin). L’amertume qui se dégage des dernières scènes nous hante littéralement. La violence est un cycle infernal qui broie toutes les générations, comme le montre l’épilogue de ce film inconfortable, élégant, nerveux, violent et profondément pessimiste. Note: 17/20
Sicario, de Denis Villeneuve, avec Emily Blunt, Benicio Del Toro et Josh Brolin, en salles depuis le 7 octobre.
KNOCK KNOCK-La fête des pères
Commentaires » 0Evan (Keanu Reeves) est un homme heureux: un boulot d’architecte, une belle maison, une épouse aimante et deux enfants mignons à souhait. Lors d’un week-end, il doit rester seul chez lui pour terminer un boulot urgent pendant que sa petite famille part au bord de la mer. Dès le premier soir, on frappe à sa porte. Il s’agit de deux jeunes filles égarées (et court vêtues!). Il pleut, elles ont froid, Evan leur propose d’entrer et d’appeler un taxi. Malheureusement pour Evan, cette bonne action va se retourner contre lui…
Evacuons le d’emblée: Knock Knock n’est pas un thriller sexuel à la Basic Instinct. Le sexe y est un sujet important: on en parle beaucoup, on s’y adonne une fois dans le premier tiers du film et la tension sexuelle de cette première partie est indéniable. Mais le film est plus un home invasion où un homme est séquestré par des inconnues chez lui. On a plus affaire à un suspense classique en huis-clos, où le sexe est juste l’un des sujets du film. Si vous voulez voir des scènes de cul à trois pendant 1 heure 30, passez votre chemin! Il y a une seule scène de ce type, elle dure une minute et, grâce au montage et à la réalisation, on suggère plus qu’on ne montre vraiment. Pour autant, Knock Knock est-il un film ennuyeux et faussement racoleur?
La réponse (du moins, pour l’auteur de ces lignes) est non. Le réalisateur Eli Roth (Hostel 1 et 2, The Green Inferno) nous propose un thriller habile, tendu, au suspense permanent, déstabilisant et bourré d’humour noir et sarcastique en diable. C’est donc un huis-clos (aéré de quelques moments en extérieur) remarquablement réalisé par un Eli Roth qui ne cherche jamais à péter plus haut que son cul. Par ce mélange de suspense claustrophobique et d’humour noir, il évoque parfois le ton d’un Roman Polanski qui se serait éclaté avec un sujet pareil.
Remake d’un obscur film d’exploitation des années 1970, Knock Knock s’amuse à dynamiter le gentil modèle de la famille américaine. Eli Roth multiplie les mouvements de caméra sur les photos de famille et les objets du quotidien pour monter la culpabilité du personnage principal et le décalage entre ses pulsions sexuelles et sa vie de famille. Eli Roth pratique l’art de la dissonance avec talent. Certains plans sont comme des fausses notes sur la partition d’un bonheur familial idéal. On pense à ce plan où l’une des jeunes filles marche dans le couloir de la maison en bousculant doucement du doigt les cadres des photos de famille accrochées au mur. La tension sexuelle de la première partie est aussi assez drôle. Dans le salon, on assiste à une danse où Evan essaye d’échapper à tout contact physique avec les deux filles, lors d’une simple discussion, alors que son esprit s’échauffe. Le film va, bien sûr, basculer dans un thriller où deux tarées séquestrent un homme chez lui, pour le punir.
Mais pour le punir de quoi? Le film cultive, avec justesse, une certaine ambiguïté morale. Que veulent les deux jeunes filles? Incarnées à la perfection par Ana de Armas et Lorenza Izzo, elles sont tout à la fois innocentes, tentatrices, garces, drôles et pathétiques. Ce pauvre Evan (Reeves est formidable dans son rôle d’homme normal quelque peu lâche) a juste cédé à la tentation. Pourquoi le punir alors qu’elle l’ont tenté et qu’elles semblent y avoir aussi pris du plaisir? Ont-elles été des victimes avant d’être des bourreaux? Peut-être…Elles symbolisent aussi peut-être un ordre moral puritain déréglé qui punit mais qui s’adonne aussi aux pires turpitudes. Elles sont clairement hypocrites mais elles soulèvent aussi le problème inhérent à l’homme moderne: un bon père de famille souvent bridé, qui a des pulsions et qui reste misogyne. D’ailleurs, elles demandent souvent à Evan où est passé le vrai Evan…. Il serait cruel de révéler tous les ressorts du film. Sachez juste que Knock Knock conserve jusqu’au bout son ambiguïté morale (le sujet de la pédophilie est aussi évoqué) et s’achève d’une façon bien cruelle pour son personnage principal, mis face à ses responsabilités. Le film devient un petit conte assez méchant mais à la morale pernicieuse.
Note: 16/20
Knock Knock, de Eli Roth, avec Keanu Reeves, Ana de Armas et Lorenza Izzo, en salles depuis le 23 septembre
PREMONITIONS-Un film peut en cacher un autre
Commentaires » 0La bande-annonce de ce film ne laissait pas grande place à l’originalité: des flics déboussolés font appel à un voyant (Anthony Hopkins) pour attraper un tueur en série qui semble toujours avoir un coup d’avance sur eux. L’auteur de ces lignes se déplace donc au cinéma pour aller voir un film distrayant, bien parti pour être le navet de la semaine sur un thème éculé. Et, ô surprise, il se retrouve face à un film bien différent de ce que à quoi il s’attendait…
Le film remplit haut la main son statut de film du samedi soir. Il y a beaucoup de suspense et de rebondissements. Le réalisateur brésilien Afonso Poyart, dont c’est le premier film hollywoodien, signe un thriller efficace, sans temps mort et assez élégant dans sa mise en forme. Bien sûr, il suit un schéma narratif classique et déjà-vu mais le film reste agréable et assez prenant. Il y a des défauts, certes, dans la réalisation et le montage. Poyart abuse un peu trop des visions surnaturelles de son héros, qui sont parfois fatigantes à regarder, à cause d’un montage trop cut. Même problème pour une scène de poursuite en voitures qui ne restera pas dans les annales. Mais alors qu’est-ce qui fait que ce film est différent des autres films de tueur en série?
Ce qui fait, ici, toute la différence ce sont le scénario et les personnages ainsi que l’émotion qui en découle. On ne l’aurait pas dit à la vue de la bande-annonce mais le scénario de Solace (titre original) s’avère bien écrit, surprenant et nous amène dans une direction inattendue. Le film glisse du suspense classique au suspense psychologique et à un questionnement intime chez le spectateur. Le mobile du tueur est original et fait complètement basculer le film, une fois révélé. Il nous fait réfléchir sur un sujet de société important, interroge la notion de libre arbitre, nous parle de deuil, de responsabilités à prendre et arrive même à nous rendre perplexes sur le sens de la vie et de la mort. Pas mal pour un simple thriller du samedi soir! On garde certaines questions en nous, au sortir de la salle.
Les personnages sont très bien écrits et interprétés, chose assez rare dans le thriller lambda actuel. L’inspecteur de police, campé par un excellent Jeffrey Dean Morgan ( le Comédien de Watchmen, le bad guy de The Proposition) n’est pas qu’un simple faire-valoir. C’est un flic obsédé par ses enquêtes mais miné par un problème personnel. Il reste néanmoins chaleureux et amical. Le docteur en criminologie est un personnage féminin fort, à la fois sensible et déterminé. Elle est interprétée par la formidable Abbie Cornish , la révélation du Bright Star de Jane Campion. Quant au voyant extra-lucide, ce n’est pas un énième vieux bougon qui reprend du service. C’est un personnage tragique, hanté par la mort de sa fille unique, solitaire, cartésien mais doué d’un don qui peut s’avérer pesant. Anthony Hopkins est magistral, tout simplement. Dès les premiers plans, il rend son personnage crédible et traverse le film comme un fantôme, le regard perdu. A 80 ans, il n’a rien perdu de son charisme! Notons aussi la très bonne prestation de Colin Farrell.
Solace comporte des effets chocs et une atmosphère parfois sombre, qui met mal à l’aise. Mais c’est aussi un film lumineux et très émouvant. Il y a souvent une grande douceur chez Poyart, dans sa façon de filmer les visages, les gestes ou les objets du quotidien. Il y a aussi une scène incroyable où le personnage d’Anthony Hopkins veut montrer à Abbie Cornish que son don peut faire du mal. Juste en filmant le visage magnifique de ses deux acteurs, Poyart livre une scène bouleversante. Solace est un thriller à la fois classique et tragique. Si le climax est un poil convenu, l’épilogue reste vraiment dans le cœur du spectateur. Curieux film! Note: 13/20
Solace, de Afonso Poyart, avec Anthony Hopkins, Jeffrey Dean Morgan, Abbie Cornish et Colin Farrell, en salles depuis le 9 septembre
LE TOUT NOUVEAU TESTAMENT-Notre père qui êtes odieux…
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Dieu (Benoît Poelvoorde) est un salaud. Il vit à Bruxelles, tout en haut d’un immeuble, reclus dans son appartement et terrorisant sa femme (Yolande Moreau) et sa fille (Pili Groyne). Cette dernière découvre, un jour, que son père n’a crée les hommes que pour tromper son ennui et qu’il s’amuse à les tuer ou à les faire s’entretuer par pur plaisir sadique. Révoltée, elle plante l’ordinateur de son père, balance leurs date de décès aux hommes par SMS et se sauve du domicile familial pour venir sur Terre. Son père, furieux et désormais impuissant, se lance à ses trousses.
Au vu de la bande-annonce, on aurait pu craindre une comédie bien lourde servant la soupe à Benoît Poelvoorde, une sorte de one-man show pas drôle et indigeste. Si effectivement la prestation du comédien belge est sans surprise mais drôle (Dieu est un beauf alcoolo, misogyne, braillard et violent), Jaco Van Dormael n’en fait pas le personnage principal de son film. Les séquences comiques avec ce dieu ridicule n’occupent qu’une petite partie du long-métrage. Néanmoins, Dieu est ici vu comme un petit fonctionnaire aigri qui détruit la vie des gens à distance, sans remords. Sa confrontation avec un prêtre, qui découvre avec effarement le vrai visage de celui qu’il a adoré pendant des années, est franchement hilarante. Mais le cinéaste belge préfère s’attacher à la fille de Dieu (la petite Pili Groyne, véritable révélation du film) et à l’humanité.
Le film du réalisateur belge est pétri d’humanisme et d’espoir, tout en restant lucide sur les défauts de l’humanité. On s’attache au sort de six personnages que la fille de Dieu va rencontrer. Leur portrait respectif est assez réussi et à contre-courant des stéréotypes habituels. Il est difficile d’oublier la jeune femme manchote, l’obsédé sexuel frustré et timide, le cadre dépressif qui s’ignore ou le type dénué de sentiments qui ne sait pas vivre. La bourgeoise insatisfaite (Catherine Deneuve) est plus clichée mais reste drôle (surtout quand elle se choisit un nouveau mari atypique). Car ces personnages savent désormais combien de temps il leur reste à vivre. Leur rapport à la vie va changer. Comment occuper sa vie désormais? Différentes pistes sont explorées: ne rien changer, tout changer, partir, rester, vivre sans entraves et jouir pleinement de la vie, devenir un assassin et se prendre pour l’instrument du destin, claquer son argent en prostituées, changer de sexe pour ses derniers jours, faire exprès de survivre à des accidents volontaires et stupides…Des choix incongrus et iconoclastes que Van Dormael file jusqu’au bout, sans limites scénaristiques…et sans tabous. Il y a parfois, derrière la joliesse, une certaine noirceur chez lui.
Dans un style poétique et lumineux, il alterne les scènes comiques et les scènes mélancoliques avec rythme et élégance. Van Dormael est un rêveur. Etre réaliste ne l’a jamais intéressé. Comment oublier le rêve de cette jeune femme qui pleure sa main perdue? Son histoire d’amour étrange et décalée avec le personnage de François Damiens? Ce couple qui se rencontre et se retrouve sur fond de film porno, dans une scène touchante? Ce petit garçon solitaire et toujours malade? Ce type qui jette son attaché-case à la poubelle dans un geste furieux? Ces gens attendant la mort sur une plage? Ici, tout est délicat, surréaliste et jamais tire-larmes. Van Dormael croit en l’humain. Dieu est mort et l’homme doit croire en lui-même et essayer de changer le monde tout seul. La nouvelle religion de la fille de Dieu est basée sur l’Homme, sans aucun dogme.
Malheureusement, le film a quelques défauts qui le font trébucher. Van Dormael est un rêveur naïf et comme tous les naïfs, il est parfois maladroit. Pour souligner le ridicule de Dieu, il abuse d’une musique de tuba qui surligne trop l’effet comique du personnage. Le fait qu’il y ait pas mal de narration en voix-off est un peu redondant aussi et le film est parfois répétitif dans certains effets. Quant à l’épilogue, il est un peu raté. Van Dormael fait intervenir une déesse bienveillante pour aider les hommes à changer le monde. Cela contredit un peu le « message » gentiment athée du film. Van Dormael, dans une dernière maladresse, voulait simplement peut-être apporter un peu de fantaisie à cette »nouvelle » humanité. Le réalisme, décidément, ce n’est pas pour lui! Et il très drôle de constater qu’il se met à faire des erreurs de débutants alors que son premier film, Toto Le Héros, était quasi-parfait. En tout cas, son Tout Nouveau Testament demeure un film singulier et attachant, sans cynisme aucun. Note: 13/20
Le Tout Nouveau Testament, de Jaco Van Dormael, avec Pili Groyne, Benoît Poelvoorde, Yolande Moreau, Catherine Deneuve et François Damiens, en salle depuis le 2 septembre.