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LA BELLE SAISON-Summer of love
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Ce film est avant tout une histoire d’amour avec un grand A. Un amour passionné, pur et d’une grande intensité. Catherine Corsini filme ses deux actrices avec beaucoup de sensibilité. Elle filme leurs regards et leurs gestes avec précision. Elle filme leurs ébats amoureux avec beaucoup de délicatesse, sans sombrer dans le voyeurisme crapoteux qu’un tel sujet aurait pu amener. Delphine et Carole s’aiment à corps et à coeurs perdus. Leur amour est palpable par-delà l’écran. On le ressent. On est touché. Catherine Corsini réussit des scènes sensuelles empreintes d’une grande tendresse. Il faut dire qu’elle est magnifiquement aidé par deux comédiennes en état de grâce. Izia Higelin, investie d’une énergie juvénile et aussi d’une maturité adulte, campe une Delphine bouillonnante mais qui sait aussi garder la tête sur les épaules. Quant à Cécile De France, elle est tout bonnement extraordinaire. Elle incarne une femme passionnée, engagée, volontaire mais terriblement fragile avec une évidence incroyable. Toutes les deux sont l’âme et le coeur du film.
La Belle Saison est un film solaire et lumineux qui célèbre l’amour libre libéré de toutes entraves. Mais la réalisatrice s’attache aussi à développer le contexte du film, sans clichés. Dans la première partie, elle rend compte, avec talent, du combat et de l’action des féministes de l’époque: pour l’avortement,la contraception et l’émancipation des femmes. On a droit aussi à une scène qui revient sur un problème peu connu des années 70: l’internement des homosexuels en hôpital psychiatrique via une scène d’évasion cocasse. Catherine Corsini fait donc un film ouvertement féministe mais sans manichéisme et sans discours trop lourd. Il lui suffit juste de quelques scènes pour rendre compte du combat des femmes à cette époque. Dans cette partie citadine, c’est Delphine qui apparait comme celle qui assume le plus son homosexualité.
Dans la seconde partie, plus campagnarde, c’est Carole qui assume le plus face à une Delphine déchirée entre son amour et son devoir familial. Face à la maladie de son père, Delphine doit assumer la gestion de la ferme pour aider sa mère. La réalisatrice saisit remarquablement la vie à la campagne. La photographie est douce et très belle. Tout est bucolique et léger. Carole, invitée par Delphine, tisse des liens avec sa « belle-mère » (excellente Noémie Lvovsky). Cette dernière, qui ignore tout de la vie sentimentale de sa fille, représente la femme soumise à son mari, à sa terre, à la tradition. Mais on devine une amertume et une grande fatigue chez elle. Carole la provoque gentiment, jusqu’à l’irréparable. Les non-dits et la notion de secret dans un milieu traditionnel et fermé sont ici esquissés avec soin via des regards soupçonneux, des propos échangés par-derrière. La place de la femme est aussi évoquée dans cette partie. On assiste à un moment surréaliste quand le syndicat agricole reproche à Delphine de ne pas les avoir laissés appeler la banque pour un simple rendez-vous, sous prétexte qu’une femme seule n’est pas assez crédible. Delphine, par son indépendance, effraie les hommes de son village.
Le dernier acte du film est plus triste. Il était annoncé, subtilement, par des éléments épars telle cette magnifique scène nocturne où Carole aide Delphine et sa mère à bâcher les meules de foin avant un orage. Une noirceur (les bâches noires flottant au vent) et une menace tangible apparaissent soudain. La Belle Saison parle de féminisme et d’acceptation de l’autre, de tolérance et de progrès mais c’est aussi un film qui traite des choix à faire dans une vie, du fait de prendre ses responsabilités. C’est aussi un film qui reste plein d’espoir (la fin) et qui célèbre la force de l’amour. Catherine Corsini a réussi là un très beau film, simple et touchant. Note: 16/20
La Belle Saison, de Catherine Corsini, avec Cécile De France, Izia Higelin et Noémie Lvovsky, en salles depuis le 19 août
CAPRICE-Le théâtre de la vie
Commentaires » 0Clément (Emmanuel Mouret), instituteur, est comblé jusqu’à l’étourdissement: Alicia (Virginie Efira), une actrice célèbre qu’il admire au plus haut point, devient sa compagne. Tout se complique quand il rencontre Caprice (Anaïs Demoustier), une jeune femme excessive et débordante qui s’éprend de lui. Entretemps, son meilleur ami, Thomas (Laurent Stocker), se rapproche d’Alicia…
En trois comédies sentimentales très réussies, Changement D’Adresse (2006), Un Baiser s’il vous plait (2007) et Fais-Moi Plaisir! (2009), Emmanuel Mouret avait imposé un style décalé, subtil et un tantinet burlesque. Après s’être égaré dans un film à sketch inégal (L’Art D’Aimer) et un mélo pas très inspiré (Une Autre Vie), il revient au style qui lui va le mieux et nous enchante à nouveau.
Son dernier film est un délicieux marivaudage où Mouret nous amène à réfléchir sur l’amour et ses illusions. Le film est un brillant aller-retour entre fantasme et lucidité. Clément est-il amoureux de Alicia pour ce qu’elle est ou parce que c’est son actrice préférée? En bref, nous idéalisons peut-être trop la personne que nous aimons, nous en fabriquons une image rêvée mais sommes-nous attirés par cette image ou par la personne en elle-même? Mouret ne nous sert pas une énième variation sur l’actrice imbue d’elle même et coupée du monde. Son Alicia est une femme sensible, attentionnée, généreuse et sincère. Virginie Efira livre une brillante prestation où son émotion contenue éclate à chaque plan. Emmanuel Mouret la filme magnifiquement, telle une héroïne d’un mélodrame hollywoodien. D’ailleurs sa réalisation est toujours classique, élégante et précise. L’homme possède un regard attentionné sur ses personnages dont on se sent proche. Il a aussi toujours ce sens du gag et du détail incongru (la tasse de café et l’urne, la jambe cassée) qui font mouche, tout comme ses dialogues fins et ciselés, drôles et touchants. Il est l’un des rares à bien parler d’amour dans le cinéma français.
L’illusion théâtrale et fictive (de la vie?) est ainsi filée dans beaucoup de scènes. La plus belle étant ce baiser passionné entre Alicia et Clément…juste avant qu’elle ne monte sur scène embrasser son partenaire de la même façon! Le personnage de Caprice (la tornade Anaïs Demoustier) est très intéressant. Elle vit la même chose que Clément, d’où un effet miroir entre les deux histoires d’amour. Elle connait très peu Clément mais elle se déclare amoureuse de lui. Elle l’idéalise et en fait l’objet de sa passion. Mais est-elle éprise de cette image qu’elle s’est forgée ou du « vrai » Clément? Les scènes entre eux sont drôles mais se teintent d’une certaine tristesse. D’ailleurs, dans son dernier tiers, le film devient mélancolique à l’orée des choix que les personnages ont à faire. Une certaine amertume s’installe. La fin demeure belle, magnifique et comme teintée de regrets que l’on tait. Et comme ultime pirouette finale, l’effet de mise en abîme avec la fiction revient, comme pour signaler un mensonge que l’on trouve confortable. L’indécision règne jusqu’au bout. La jolie Caprice aura changé la vie de beaucoup de personnes!
Le film perd légèrement de son rythme dans sa deuxième moitié. L’histoire entre Thomas et Alicia semble de trop, Mouret a du mal à la rattacher au reste. Pourtant, elle est originale car silencieuse, les deux personnages étant constamment gênés par la présence de l’autre. Le film recèle des petits moments de grâce et de drôlerie. La première scène entre Clément et son fils est très drôle et résume bien cette opposition fiction/réalité qui va suivre. Mouret y commente sa place à part dans le cinéma français, comme une note d’intention espiègle.
Alors laissez-vous charmer par ce film, vous ne regretterez pas ce caprice! Note: 16/20
Caprice de et avec Emmanuel Mouret, avec aussi Virginie Efira, Anaïs Demoustier et Laurent Stocker, en salles depuis le 22 avril.
BIG EYES-Noces funèbres
Commentaires » 0Dans les années 1960, aux Etats-Unis, le peintre Walter Keane connait un succès retentissant grâce à ses étranges peintures représentant des enfants avec de grands yeux. Le problème, c’est que tout cela n’est qu’une supercherie. La vérité finit par éclater: Walter n’est pas l’auteur de ces peintures. Elles sont l’œuvre de sa femme Margaret. Un procès retentissant donnera justice à cette femme, dépossédée de son œuvre par son mari.
Il est assez consternant de voir comment certains critiques traitent le nouveau film de Tim Burton. On peut lire des choses telles que « téléfilm de luxe », « sans âme », « l’auteur de Edward Aux Mains D’Argent a disparu », « Burton s’est définitivement vendu », etc. Pour tous ces gens, si Tim Burton ne livre pas un film gothique sombre avec Johnny Depp, il ne fait pas du Burton mais du commercial. Big Eyes est un biopic. Hérésie! C’est un genre si académique! Donc ce n’est pas du Burton. Et Ed Wood, autre biopic, c’est du poulet? Ah mais là, il y avait une imagerie gothique, mon brave, c’était du Burton! Car pour ces imbéciles, Burton=gothique sombre. Mais si ces plumitifs faisaient correctement leur boulot, ils auraient remarqué que la création artistique, la place de l’artiste dans la société et sa relation à son œuvre sont au cœur de bon nombre de ses films: Batman (et son Joker artiste anarchique et maudit), Edward, Ed Wood, Charlie et La Chocolaterie, Sweeney Todd et même Alice avec son Chapelier Fou. Big Eyes s’inscrit complètement dans l’œuvre de Burton. Le cinéaste y développe sa thématique avec un peu plus de complexité.
Le film est avant tout un formidable portrait de femme artiste. A travers Margaret Keane (interprétée par une épatante Amy Adams), le cinéaste traite de l’émancipation de la femme (thème inhérent au contexte des années 1960) et de son droit à la liberté, loin du devoir conjugal si terne. Au début du film, Margaret quitte son mari, en emmenant sa fille avec elle. Elle s’en va loin d’une banlieue proprette où elle étouffe et rejoint San Francisco, synonyme de liberté. Margaret est peintre. Du moins, elle a un don pour la peinture. C’est une femme qui rêve de vivre de son art. Malheureusement, il faut faire bouillir la marmite. Elle travaille dans une fabrique de lits pour enfants qu’elle décore de dessins enfantins conventionnels, tout en continuant son œuvre personnelle comme loisir. Bien sûr, le parallèle avec Tim Burton est indéniable: il a souffert, à ses débuts, chez Disney de ne pas pouvoir s’exprimer. Et il sait maintenant qu’il doit alterner commandes et films personnels s’il veut continuer à travailler.
La rencontre avec Walter est capitale pour Margaret. Elle va pouvoir vivre de son don artistique. Mais à quel prix? Elle va devoir s’effacer devant son ogre de mari et se voir déposséder de son intimité artistique. Car l’artiste est son art, pour Burton. Lui enlever, c’est le tuer. Quand Walter veut savoir le nom de Margaret, il regarde sa signature sur la toile. L’artiste et l’œuvre ne font qu’un. Comme tant d’artistes burtoniens, Margaret va être contrainte à la solitude et à vivre en recluse dans sa propre maison, pour que le secret ne soit pas éventé. Elle doit même se cacher de sa propre fille. Elle devient dépressive et fume cigarettes sur cigarettes. Il est toujours dur de concilier le fait de s’isoler pour créer et de partager son œuvre avec le public chez Tim Burton. Son héroïne maudite, Burton la filme comme une héroïne hitchcockienne dans un San Francisco en couleurs qui rappelle presque Vertigo au détour de quelques plans. La couleur et la joliesse de l’ensemble cache ici un drame très sombre. Le contraste est pertinent. La réalisation de Burton est magnifique, d’un classicisme assumé et élégant. Et rappelons-le aux ignorants, c’est son style naturel!
Le portrait de Walter Keane est très intéressant lui aussi. Saluons ici la performance hallucinante de Christoph Waltz, formidable menteur-baratineur, tantôt ridicule, tantôt inspiré et qui devient franchement effrayant sur la fin. La scène du procès est hilarante et Waltz y livre un one man show schizophrénique de haute volée! Walter Keane est le monstre de l’histoire. Mais Tim Burton aime les monstres qui sont souvent des êtres solitaires et torturés chez lui (cf Le Pingouin de Batman Returns par exemple). Burton est fasciné par Walter et nous le fait même prendre en pitié. Car qui est ce type au fond? Un rêveur qui s’ennuie dans son boulot d’agent immobilier et qui rêve d’être un artiste pour transcender son morne quotidien. Mais Walter n’a aucun don. Alors il s’approprie le travail des autres. Il arrive même à se persuader lui-même de son talent. C’est un gosse qui rêve d’une meilleure vie mais qui s’y prend mal. Il aime sincèrement sa femme mais sa mégalomanie l’empêche de voir le mal qu’il lui fait. Et l’argent vient le corrompre. Le succès le transforme en monstre capitaliste (la grande crainte de Burton) qui se contente de gérer « son » œuvre et de la photocopier. La scène où il assiège son épouse dans son atelier est à ce titre remarquable: deux conceptions de l’artiste s’affrontent. L’artiste mercantile et narcissique presse l’artiste idéaliste et marginal de le laisser entrer, donc de faire du pognon facile et non de l’art.
Car Margaret vit cette pression comme un calvaire. Son style est copié et recopié. Par les autres. Et par elle-même. Le parallèle avec Tim Burton est saisissant. Lui aussi a été imité et pompé. Lui aussi s’est parfois caricaturé et perdu dans un art plus commercial. Burton le sait. C’est un autoportrait très intime qu’il nous livre à travers Margaret Keane. La meilleure scène du film la voit dans une grande surface où elle constate que son œuvre est devenue un art de supermarché. L’artiste pure et sincère a peur de se voir transformer en une chose qui n’est pas elle. Car ses tableaux, étranges et mélancoliques, reflètent son âme et sa sensibilité. Mais elle s’essaiera à un autre style quand Walter veut capitaliser sur l’œuvre passée. C’est l’affrontement entre originalité et conservatisme chez l’artiste, qui doit apprendre à se renouveler.
Bref, Big Eyes est un grand film burtonien. Note: 17/20
Big Eyes, de Tim Burton, avec Amy Adams et Christoph Waltz, en salles depuis le 18 mars.
THE VOICES-Seul au monde
Commentaires » 0Jerry (Ryan Reynolds) est un brave type. Toujours souriant, il travaille dans une fabrique de baignoires et se donne à fond dans son travail. Il vit à Milton, une petite ville provinciale américaine bien tranquille. Jerry est apprécié de tout le monde. Seulement, Jerry n’est pas comme tout le monde. Il a fait un long séjour dans un asile psychiatrique. Il doit prendre chaque jour des médicaments et va régulièrement voir sa psychiatre (Jacki Weaver). Mais Jerry finit par ne plus prendre son traitement. Le résultat est qu’il croit que son chien et son chat lui parlent. Pas très grave jusqu’à ce que Jerry se mette à fantasmer sur Fiona (Gemma Arterton, plantureuse à souhait) une de ses collègues…
Le parcours de la réalisatrice franco-iranienne Marjane Satrapi est atypique. Venu de la bande-dessinée, elle adapte elle-même son œuvre Persépolis en film d’animation, en 2007. Depuis, elle a décidé d’arrêter la BD et de se reconvertir dans le cinéma. Après le très joli Poulet Aux Prunes (2011), elle revient avec un film produit et réalisé aux Etats-Unis: The Voices. Avec ce film, Marjane Satrapi s’attaque à la comédie noire et gore, mâtiné d’un léger parfum de fantastique. Et elle s’en tire plutôt pas mal.
Le film oscille constamment entre un humour décalé rose-bonbon et des situations tordues et sanglantes. Le film garde ce ton du début à la fin. En bref, The Voices, vu son sujet, reste un film assez léger et aérien. Curieux paradoxe! Mais le parti-pris est intéressant. On pénètre facilement dans l’esprit dérangé de Jerry. Dès qu’il ne prend plus ses cachets, il vit dans une réalité parallèle peuplée d’animaux qui parlent et où la femme qu’il aime en secret est un ange avec des papillons qui lui volent autour. Cette réalité est plus colorée que le réel. Ce dernier est filmé de façon plus terne et réaliste. On soulignera l’excellent travail du directeur de la photographie Maxime Alexandre (Haute Tension, Otage, La Colline A Des Yeux). Marjane Satrapi s’avère être une réalisatrice douée. Sa mise en scène est classique et élégante. Elle sait composer son cadre (son passé d’illustratrice se retrouve à ce niveau). Ses mouvements de caméra sont fluides. Des scènes comme l’accident de voiture, la poursuite dans la forêt ou la découverte du secret de Jerry par une de ses collègues, dénotent un savoir-faire indéniable et s’inscrivent dans le genre du film à suspense de façon naturelle. On pourra regretter que la réalisation demeure un peu trop sage par rapport à ce qui se passe à l’écran: des meurtres brutaux, des têtes décapitées qui parlent, des corps découpés dans des tupperwares,… Mais le film s’éloigne des balises du politiquement correct et nous offre un spectacle osé et insolent.
Mais le plus beau dans ce film (et le plus réussi), c’est l’émotion qu’il dégage. The Voices est un drame de la solitude. Celui d’un brave garçon perturbé qui veut juste qu’on l’accepte tel qu’il est et qu’on l’aime. Ce qui est gonflé ici, c’est que le brave garçon en question est un serial-killer en puissance. Là encore, le décalage est croustillant. On arrive à prendre en pitié ce monstre. La prestation de Ryan Reynolds est extraordinaire. Il joue son personnage comme un petit garçon perdu. Très pertinent quand on découvre son trauma enfantin, lors d’un flash-back intense et bouleversant. De plus, et là il faut voir ce film en VO, Ryan Reynolds assure lui-même le doublage du chien Boscoe et du chat Mr. Moustache. Les scènes de discussion entre Jerry et ses animaux sont hilarantes. Boscoe a une grosse voix grave rassurante. C’est la bonne conscience de Jerry. Mr Moustache a une voix ironique et cassante avec un accent écossais des plus drôles. Et ce Moustache est un vrai salopard, il représente les pulsions homicides de Jerry. Pauvre Jerry qui, lorsqu’il prend ses pilules, découvre un monde terne…et aussi le taudis dans lequel il vit! Alors, que sans ses pilules, tout devient plus beau!
The Voices est un film qui ne rentre dans aucune case, un projet gonflé et assez frais. Il aurait pu être mieux maîtrisé par moments mais en l’état, c’est un film attachant. Le final est bouleversant. Et le générique de fin joyeux et entraînant. Sing a happy song! Note: 14/20
The Voices, de Marjane Satrapi, avec Ryan Reynolds, Gemma Arterton, Anna Kendrick et Jacki Weaver, en salles depuis le 11 mars.
AMERICAN SNIPER-Une histoire de violence
Commentaires » 2Assassiné en 2013 par un marine perturbé à qui il tentait de venir en aide, Chris Kyle est le sniper le plus connu de l’armée américaine. Il a sauvé la vie de nombreux soldats américains lors de la deuxième guerre d’Irak et possède aussi le triste record du plus grand nombre de personnes abattus à son actif. Ce film est son histoire.
A 84 ans, Clint Eastwood est toujours au mieux de sa forme. Son film est une leçon de mise en scène et papy Clint met à l’amende tous ces jeunes réalisateurs qui font des films comme on fait un clip musical. Toutes les scènes se passant en Irak sont d’un réalisme saisissant. On est dans l’enfer irakien avec les soldats américains. Cette guerre urbaine est ici retranscrite avec brio. Nerveuse, précise, ample, la réalisation de Clint Eastwood reste cependant constamment lisible et efficace. Le conflit est filmé à hauteur d’homme. La violence n’est pas éludée. Le spectateur est aussi stressé que les marines américains. A ce niveau-là, c’est du grand art! L’affrontement final est digne de Fort Alamo!
Mais c’est le traitement de l’histoire de Chris Kyle qui reste le moteur de l’œuvre. Eastwood n’en fait ni un salaud, ni un héros. Il montre les horreurs inhérentes à la guerre. Kyle est seul face à sa conscience quand certains dilemmes se posent à lui: tuer un enfant kamikaze ou sauver la vie de ses amis? Le sniper est seul, en hauteur (remarquable de constater que dès qu’il descend dans les rues irakiennes, il n’est plus un dieu de la mort mais un simple mortel vulnérable). Il a la mort au bout de son arme. C’est un artiste de la mort. Et Clint de s’interroger et d’interroger la conscience de son pays: pourquoi acclamer un homme qui a semé la mort? Qu’est-ce qui ne va pas dans cette société-là? Est-ce que Kyle mérite ses éloges? Oui car il a sauvé des vies…mais à quel prix? D’autres vies ont été prises et le personnage y a perdu son âme. La fascination de l’Amérique pour la violence et les héros violents est ici montrée du doigt. Mais Clint ne juge pas. Le problème est trop complexe pour faire un film moralisateur. Clint montre le mal. Il met le doigt où ça fait mal et nous laisse avec nos questions et nos doutes.
L’interprétation de Bradley Cooper est remarquable. Le comédien fait passer toute une gamme d’émotions à travers son regard: amour, courage, détermination, colère, rage, peur, angoisse, impuissance, dépression,…Cooper y trouve le rôle de sa vie. Et c’est le portrait de ce « héros » qui est le cœur du film. Le personnage présenté dans le film est un homme marqué par la violence, à l’image du pays où il est né. De son enfance, où son père lui apprend à tirer et lui inculque des valeurs réactionnaires sur la vie et les gens en passant par son entraînement à la dure et ses missions en Irak, Kyle était quasiment prédestiné à son destin. Sa vie serait dédiée à la mort et à la violence. L’homme aime sincèrement sa femme et ses deux enfants mais il demeure sans cesse ce guerrier, toujours sur le qui-vive, et paranoïaque. C’est bien sûr la parfaite métaphore des héros rentrés au bercail, des héros traumatisés, hantés par des atrocités dont ils ont été les témoins et les acteurs. La défense de valeurs patriotiques les a rendus inaptes à la vie civile. Eastwood fouille avec acuité le syndrome post-traumatique des vétérans. Kyle regarde la vie autour de lui comme s’il était toujours en guerre. La guerre est une drogue dure dont il est difficile de se débarrasser. Ses confrontations avec son frère lui-même marine traumatisé par le conflit et avec des mutilés de guerre , le conduiront vers l’apaisement. Et il sera, d’une façon ironique, rattrapé par la violence. Tué par un de ses frères d’armes qu’il essayait d’aider. Le mal est tapi en chacun de nous. On retrouve ici l’une des thématiques chères au réalisateur de Mystic River.
Seul bémol du film: le portrait de Chris Kyle a été quelque peu adouci. Dans son livre, ce dernier tenait des propos racistes et regrettaient de ne pas avoir tué plus de monde. Le Chris Kyle présenté dans le film n’est pas tout à fait le vrai Chris Kyle . Du coup, les images d’archive utilisées à la fin sont maladroites. Le film n’est pas un documentaire, c’est une fiction. Eastwood voulait juste montrer la ferveur autour de son anti-héros. Il aurait mieux valu finir avant ou procéder à une reconstitution, le film prenant quelques libertés avec la réalité.
Il faudra aussi, un jour prochain, montrer le conflit irakien du point de vue des Irakiens. C’est une guerre incroyablement complexe, le seul point de vue américain ne suffit plus. Eastwood essaie de réparer ceci avec le sort réservé à ceux qui collaborent avec les Américains (une scène insoutenable et forte) et le personnage du sniper syrien, Mustafa. Lui aussi assassin silencieux, père de famille. Un fantôme se déplaçant sur les toits. Son duel, à distance, avec Kyle est bien rendu. Si loin, si proches… Note: 17/20
American Sniper, de Clint Eastwood, avec Bradley Cooper et Sienna Miller, en salles depuis le 18 février.
JUPITER: LE DESTIN DE L’UNIVERS-La folle histoire de l’espace
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On ne présente plus Andy et Lana Waschowski, responsables de films comme Bound, la trilogie Matrix, Speed Racer et Cloud Atlas (en association avec le réalisateur allemand Tom Tikwer pour ce dernier). Leur ambition thématique et formelle, leur goût du cinéma risqué et anti-commercial, leur passion pour les concepts philosophiques existentialistes, leur sens du spectacle ont contribué à en faire des cinéastes précieux. Mais leurs deux derniers films, Speed Racer et Cloud Atlas, ont bu la tasse au box-office. Avec leur nouvel effort dans la SF, ils tentent de se refaire une santé. Vu les chiffres du box-office, c’est encore raté. La faute à une post-production houleuse et une promotion honteuse de la part d’un studio (Warner) qui ne croit plus au film, suite à un changement de direction. On se dirigeait vers la vision d’un chef d’œuvre maudit. Et la déception est cruelle…
Pourtant, le film est assez rafraîchissant et fun dans son esprit. C’est un film de gosse, naïf et sincère. Un film qui croit encore au romantisme et aux sentiments. Un film qui n’a pas peur d’aborder des thèmes comme l’inceste ou le clonage ou même l’eugénisme. Les Wachowski jonglent avec une imagerie sf parfois kitsch mais qui titille l’enfant qui est en nous. Globalement, le film est bien réalisé, les sfx et les décors sont prodigieux. On en prend plein les mirettes. L’humour alterne avec le drame puis avec l’action. Tout cela est rythmé et jamais vraiment ennuyeux (sauf vers la fin). Alors qu’est-ce qui ne fonctionne pas? Tout simplement le fait que les Wachowski ne font absolument rien de tout ça et semblent traiter leur univers par-dessus la jambe.
Côté scénario et personnages, c’est quasi zéro ambition. Cet univers et ces personnages auraient mérités d’être plus développés. Les Wachowski ne font que survoler tout ça pour tout boucler en 2 heures chrono. Pire, pour arriver à leur fin, ils se vautrent parfois dans le ridicule et bâclent des séquences entières. Au début du film, on est complètement largué. Il faut attendre près de trois quarts d’heure pour avoir des explications sur les forces en présence. Tout cela est bien nébuleux. On est censé trembler pour des personnages dont on ne sait rien (cf la scène où Channing Tatum échappe aux autres chasseurs de prime). Et puis, tant qu’on y est, certains personnages sont abandonnés en cours de route (cf les fameux chasseurs de prime qui retournent leurs vestes on ne sait pourquoi) voire inutiles (Sean Bean dont le personnage ne sert à RIEN). Des idées comme l’effacement de la mémoire et la reconstruction instantanée du décor passent pour des facilités scénaristiques vraiment embarrassantes…et ridicules!
Le film se déroule sur le schéma « héroïne en danger/beau gosse à la rescousse » sur toute sa durée! A chaque fois, on a l’impression de voir la même scène d’action! Bon, ces scènes d’action sont trépidantes mais elles souffrent d’un montage pas toujours très heureux (trop cut parfois) et finissent trop souvent dans un trop-plein numérique qui fatigue les yeux. Mais, il faut reconnaître qu’on ne s’y ennuie pas et qu’on y prend un certain plaisir. Malheureusement le film accumule les détails risibles comme ce pilote à tête d’éléphant ou cette jolie jeune femme aux grandes oreilles de lapin. On a envie de rire à chaque fois qu’on les voit! L’esprit de Mel Brooks n’est pas loin!
Et que dire des personnages principaux ? Une Mila Kunis qui balance entre étonnement et second degré assez lourd et un Channing Tatum pas super expressif qui peine à donner corps à un personnage déjà mal défini sur le papier (son côté loup? On va le faire renifler deux fois, lui coller des oreilles pointues et un bouc et basta!). Leur romance ressemble à du Twilight dans l’espace, c’est dire si on rigole. Dommage car les Wachowski nous livrent des plans magnifiques (les scènes de vol de Mila et Channing, la scène des abeilles).
Quant à la trame principale et au méchant, c’est foiré. Le méchant est tout raide, murmure quand il parle aux autres et semble se désintéresser de ce qui se passe. Cela tombe bien, nous aussi! Les rivalités entre les trois héritiers, l’Egide, l’impact sur les populations, tout cela est survolé et n’est jamais développé. Certaines scènes apparaissent comme ampoulées et donnent dans la parodie de péplum. Le face à face final entre l’héroïne et le bad guy est ennuyeux et devient lassant. Tout explose à l’écran et c’est tout. Quant à l’épilogue, c’est très joli, le dernier plan est magnifique; mais qui se contenterait de laver les chiottes alors qu’il règne sur une partie de l’univers, franchement?!!
En résumé, un spectacle parfois fun et débridé, mais vain, terriblement vain. 09/20 quand même. A noter, un superbe score de Michael Giacchino.
Jupiter Ascending, de Andy et Lana Waschowski, avec Channing Tatum, Mila Kunis et Sean Bean, en salles depuis le 4 février.
IMITATION GAME-Un homme d’exception
Commentaires » 0Connaissez-vous Alan Turing? Non? Bon, c’est normal, il est sorti de l’ombre il y a seulement quelques années, plus de 50 ans après sa mort. Ce mathématicien anglais est l’homme qui a cassé le code Enigma des nazis durant la Seconde Guerre Mondiale et qui a inventé, pour ce faire, une machine précurseur des futurs ordinateurs. Alan Turing a donc sauvé des vies et bouleversé nos vies. Pourtant, sa mort fut solitaire (suicide) et il fut mis au banc de la société car il était homosexuel, chose très mal vue dans l’Angleterre de l’Après-Guerre.
Il y avait quelque chose d’excitant dans le projet de ce film: rendre hommage à un homme injustement calomnié et à qui notre civilisation est redevable. On était en droit d’attendre un grand film. Ce n’est pas le cas. Le film est bon, mais pas excellent. Il faut dire qu’il est parfois trop classique et sage dans sa mise en scène. Le réalisateur n’y injecte peut-être pas assez de mystère et de nuances. Néanmoins, le film est bien réalisé et agréable à l’œil. Bref, du cinéma classique et classieux. Du point de vue du scénario, certaines zones d’ombre du personnage sont laissées de côté et quelques libertés semblent avoir été prises. Bon, globalement, l’histoire est bien écrite. Elle est surtout remarquablement structurée, ce qui la rend passionnante à suivre.
Le film se déroule sur trois époques entre lesquelles il fait le va et vient: 1928 où l’on suit un jeune Alan Turing dans son pensionnat, la période 1939-1945 où il est engagé par l’Amirauté pour casser le code Enigma et 1951 où l’on suit la déchéance du personnage. Cette façon de raconter l’histoire est astucieuse car elle permet de mieux caractériser le personnage principal et de mieux le comprendre. Au début du film, on a affaire au petit génie arrogant et sociopathe de service, limite autiste. Et puis on se rend compte de la carapace que le personnage a bâtie pour se protéger du monde et de lui-même. Victime de brimades, hanté par un premier amour tragique, obligé de cacher sa sexualité (contre laquelle il essaye de lutter), le personnage devient vite une figure tragique. Il faut saluer l’extraordinaire performance de Benedict Cumberbatch qui incarne les différentes facettes de ce personnage avec talent et précision. Tour à tour agaçant et fragile, il prouve qu’il est l’un des meilleurs acteurs de sa génération. Son duo avec l’émouvante Keira Knightley est prodigieux. On assiste à une belle histoire d’amour/amitié entre deux personnes partageant la même sensibilité et…le même amour des mots croisés.
Le film est prenant dans sa partie Enigma. On doute constamment que Turing et son équipe arrivent à leurs fins. Il y a beaucoup d’humour dans les échanges entre les personnages. Mais le film délaisse parfois cette légèreté pour montrer des aspects plus sombres de cette recherche comme la manipulation du MI6 (avec un Mark Strong froid comme la mort) qui cherche à tromper les bolchéviques même si ce sont des alliés. Et puis, il y a le fait de devoir sacrifier quelques vies pour en sauver le plus grand nombre ou comment des mathématiciens et des cryptologues sont amenés à prendre une décision trop lourde pour eux lors d’une scène très forte sur le plan dramatique.
La dernière partie nous montre la vie honteuse et solitaire que mène un homme qui a pourtant conduit à la victoire de son pays. Alan Turing paye le fait d’être homosexuel. Cette fin est bouleversante et on se demande comment le gouvernement de Sa Majesté a pu faire une chose aussi abominable. Alan Turing n’a été gracié qu’en 2013 par la Reine, près de 60 ans après sa mort tragique. Mieux vaut tard que jamais…
Note: 14/20
The Imitation Game, de Morten Tyldum, avec Benedict Cumberbacht, Keira Knightley, Matthew Goode, Charles Dance et Mark Strong, en salles depuis le 28 janvier.
MES 10 FILMS DE 2014
Commentaires » 2LE HOBBIT: LA BATAILLE DES CINQ ARMEES-The dwarf knight rises
Commentaires » 0(ATTENTION! Cet article contient, dans son quatrième paragraphe, un léger spoilier sur quelque chose qui arrive en début de film.)
Voici enfin le troisième et ultime volet de la trilogie Le Hobbit. Voici enfin l’ultime adaptation de l’œuvre de Tolkien par le cinéaste néo-zélandais Peter Jackson. Commencée en 1997, cette aventure cinématographique aura duré une douzaine d’années pour le réalisateur et son équipe (si on prend en compte les années de préparation et si on exclut la coupure entre 2004 et 2009). Cette incursion en Terre du Milieu aura marqué le cinéma d’Heroic Fantasy (à sa suite, on a eu beaucoup de tentatives, certaines réussies, d’autres non) et le cinéma tout court. Jackson aura réconcilié les cinéphiles amateurs de grand cinéma et le grand spectacle hollywoodien où les effets spéciaux servent l’histoire et non l’inverse. A la fin de cette Bataille des Cinq Armées, on sait que c’est fini….et que cela recommence. L’émotion est palpable pour le spectateur. Oui, il faudra remercier Jackson de ce qu’il a accompli.
Mais entre les deux trilogies, et malgré leur succès, certains ont retourné leur veste et ont voué le réalisateur aux pires gémonies. Quant bien même le cinéaste n’a pas changé grand-chose à sa méthode de travail et à son style, une partie de ceux qui l’ont encensé hier, le descendent en flèche aujourd’hui, quitte à tomber dans la caricature et la mauvaise foi. Quant aux fans purs et durs (voire extrémistes) de Tolkien (qui ne constituent en aucun cas la majorité des fans de l’écrivain), ils étaient déjà durs avec la première trilogie, ils sont carrément devenus odieux et insupportables pour la plupart. A force de lire certains commentaires sur le web, on hallucine grave. Ils n’ont toujours pas compris qu’une adaptation filmique n’est pas un livre animé, que cinéma et littérature sont deux façons différentes de raconter une histoire et que le réalisateur n’est pas tenu d’accéder au moindre de leur désir (caprice?). Alors oui, pressé par le studio, Jackson a fait trois nouveaux films au lieu des deux initialement prévus. Alors oui, il y a des longueurs dans l’acte central (La Désolation de Smaug), mais on ne pourra jamais savoir ce que deux parties auraient donné, alors autant l’accepter. Jackson arrive, in fine, à livrer un tout cohérent. C’est le principal, non?
Cette troisième partie balaie les quelques doutes émis sur le rythme de la deuxième. La séquence d’introduction est prodigieuse. Smaug y montre toute sa puissance de feu. On assiste médusé à sa chorégraphie mortelle où une ville et ses habitants brûlent et sont détruits. Tétanisant. Le face à face entre le dragon et Bor est intense. Cette introduction nous plonge directement dans le bain de l’action, sans temps mort. L’heure n’est plus à une longue introduction. Ceux qui trouvent cela précipité sont certainement des personnes qui arrivent en retard à la projection et ratent le début…
Et le reste du film? Grandiose, épique, spectaculaire. Que dire de plus sans tout dévoiler? Ce film est une lente montée vers la bataille finale. Et quand celle-ci éclate, les affrontements sont barbares. On ne fait pas semblant! Il y a même beaucoup de cruauté, les Orques massacrant femmes et enfants sans faire de détails (quelques plans suffisent pour cela). Les Nains et les Elfes y montrent tout leur talent de guerriers aguerris. Oui, le spectacle est total. La réalisation de Jackson est ample, lyrique et romanesque. Le découpage est parfait. Les sfx sont réussis. En bref, on y est totalement. Il y a des plans et des séquences qui impriment la rétine: Legolas courant au ralenti sur des pierres qui tombent dans un ravin (très hong-kongais dans l’âme!), un fantastique duel sur la glace, la mort de Smaug (et le râle de Benedict Cumberbatch en VO!), une Galadriel transfigurée qui affronte Sauron, une cloche brisant une muraille et qui lance la bataille…Bref, on ressent un vrai enthousiasme devant ce spectacle. Tout simplement magique!
Jackson retombe aussi très bien sur ses pattes côté scénar. Les ajouts par rapport au roman d’origine (mais issus de Tolkien, Cf. Le Silmarillion ou les appendices du Seigneur des Anneaux) s’intègrent bien à l’ensemble et l’intrigue reste cohérente. Tout sert le récit final. Et l’émotion est grandement présente. Que ce soit dans une histoire d’amour impossible, dans l’amitié et l’estime que se portent certains personnages, dans l’amour d’un père pour sa famille ou dans le deuil, on ressent terriblement ce que les personnages ressentent également. Le film a une grande noblesse de cœur, à l’image de ce petit Hobbit (formidable Martin Freeman) qui masque son courage et son altruisme derrière son sens de l’humour et son physique pas très imposant.
Mais le personnage le plus important de ce film, et de cette trilogie, demeure Thorin, le Roi sous la Montagne. Le leader des nains doit combattre son côté obscur et le Mal du Dragon, à savoir son obsession pour son trésor et sa paranoïa qui le poussent à l’égoïsme, à l’indifférence voire au meurtre. Sourd au monde qui l’entoure et à ses souffrances, soupçonnant ses amis, Thorin doit défaire son propre ennemi: lui-même. C’est un héros noble et courageux qui ressortira de la montagne. Thorin montrera ce qu’est un grand roi. Et c’est dans le froid et sur la glace, qu’il s’accomplira comme héros. Richard Armitage livre une prestation époustouflante dans ce rôle: tour à tour lâche, au bord de la folie, méprisable puis capable d’une grande douceur, d’une grande force et d’un grand courage. C’est un personnage que l’on n’oublie pas. A l’image de toute cette formidable saga qui nous aura fait rêver et qui aura fait souffler l’esprit de Tolkien sur grand écran…
The Hobbit: The Battle Of Five Armies, de Peter Jackson, avec Ian McKellen, Martin Freeman, Richard Armitage , Evangeline Lilly et Orlando Bloom, en salles depuis le 10 décembre.
Note globale de la trilogie: 17/20
RESPIRE-A bout de souffle
Commentaires » 0Charlie, jeune lycéenne de 17 ans, vit une vie plutôt calme. Elle semble un peu distante et rêveuse, mais malgré sa discrétion, elle est bien intégrée dans son lycée et fait partie d’une joyeuse bande d’amis. Un jour, débarque une nouvelle élève dans sa classe: Sarah. Les deux jeunes filles deviennent rapidement les meilleures amies du monde, malgré leur différence de caractère (Sarah étant beaucoup plus extravertie). Mais rapidement, Charlie va tomber dans un piège, celui d’une personne manipulatrice, qui va lui empoisonner doucement son existence: son amie Sarah.
Après le touchant et réussi Les Adoptés (2011), Mélanie Laurent réussit ici un coup de maître pour son deuxième long-métrage. Rares sont les jeunes cinéastes qui transforment et transcendent leur coup d’essai. Et rares sont ceux, dans le cinéma français, à proposer quelque chose qui sort des sentiers battus et qui soit un acte de cinéma. Mélanie Laurent fait partie de ces exceptions. Il va falloir désormais compter avec elle. Avec ces deux films, on voit qu’elle possède un style, une manière de filmer et un regard qui lui sont propres.
Respire est donc un piège, celui qui se referme sur la jeune Charlie. La première partie est filmée en plans larges et moyens, la seconde en plans beaucoup plus serrés, comme pour rendre compte de l’étouffement dont est victime Charlie. Belle idée aussi que d’en faire une asthmatique, ce qui renforce cette idée d’étouffement et nous vaut une séquence assez éprouvante lors d’un cours d’EPS. Mélanie Laurent nous fait ressentir toute la souffrance et le désarroi de Charlie. Elle est bien aidée par la remarquable composition de Camille Japy, à la fois froide, distante mais aussi très fragile et sensible. Plus généralement, Mélanie Laurent a un don pour filmer l’adolescence et sans aucun cliché. Le début est, à ce titre, formidablement filmé. La scène est banale: Charlie se lève alors que ses parents s’engueulent. Mélanie Laurent reste sur son personnage. Elle filme ses pieds, son visage, mais ne dévoile pas entièrement les parents. Comme pour montrer que Charlie souffre de la situation mais qu’elle se barricade en elle-même pour se protéger. Dès les premières images, Mélanie Laurent gagne son pari.
Le traitement réservé au personnage de Sarah est aussi très subtil. Elle est atteinte de perversité narcissique. Mais loin d’en faire une « méchante » caricaturale, Mélanie Laurent complexifie le personnage. Il y a une raison à son comportement, quelque chose qui la pousse à détruire l’autre. C’est un personnage en grande souffrance. Lou de Laâge, son interprète, est elle aussi extraordinaire: à la fois « femme fatale » séductrice et vénéneuse, amie sincère, personnage en manque d’affection puis véritable garce. La jeune actrice est bluffante. On a envie de la gifler, puis de lui pardonner, puis de la gifler…comme Charlie.
Le film recèle quelques belles idées de mise en scène: la révélation du secret de Sarah en un plan séquence élégant, une menace de mort lors d’une fête juste avant un ralenti et un plan final absolument tétanisant. Le travail sur le son est aussi intéressant, comme cette vibration de téléphone portable perçue comme une véritable menace. Mélanie Laurent aime le cinéma. Cela fait bien plaisir de voir quelqu’un qui a un vrai sens de la caméra. On peut trouver quelques défauts au film: la mère de Charlie (bouleversante Isabelle Carré) est elle-même victime et dépendante d’une personne manipulatrice, le père de Charlie. C’est peut-être un peu redondant comme situation. Néanmoins, mère et fille traversent la même épreuve et n’arrivent pas à s’aider mutuellement. Cela éclaire aussi le comportement passif de Charlie devant Sarah, puis sa « rébellion ».
Respire n’est pas un film confortable. C’est un film assez sombre qui inquiète et bouscule le spectateur. C’est une histoire d’amitié qui vire à l’obsession. Ce drame psychologique touche en plein cœur. L’émotion qui découle de ce film n’est pas artificielle. C’est juste et sincère. Mélanie Laurent a mis beaucoup d’elle dans ce film et s’y est investi avec passion. Cela se sent à chaque plan. Elle va jusqu’au bout de sa démarche. C’est un film que l’on n’oublie pas, comme cette respiration finale qui nous hante véritablement… Note: 18/20
Respire, de Mélanie Laurent, avec Camille Japy, Lou de Laâge et Isabelle Carré, en salles depuis le 12 novembre.