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LES DISPARUES-Memories of murders

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Entre 1995 et 2001, quatre jeunes femmes disparaissent dans le secteur de la gare, à Perpignan. Elles s’appelaient Tatiana, Mokhtaria, Marie-Hélène et Fatima. Si Tatiana ne sera jamais retrouvée, les trois autres le seront. On retrouvera leurs cadavres mutilés, en 1997, 1998 et 2001. Cette affaire, dite des « disparues de la gare » ou « disparues de Perpignan », est restée un mystère pendant plus d’une quinzaine d’années. Si un suspect est désormais sous les verrous, confondu par son ADN, il reste des zones d’ombre…

Ce livre n’est pas une fiction, ce fait divers est réel, il a défrayé la chronique à la fin des années 1990. L’affaire des disparues de la gare a crée une véritable psychose à Perpignan. Elle a même généré des légendes urbaines toutes aussi folles les unes que les autres. Les légendes urbaines justement, c’est par ce biais que le journaliste Thibaut Solano s’intéresse à l’affaire. Ce jeune journaliste corrézien, qui a travaillé au journal La Montagne à la rubrique Faits Divers, est un passionné de légendes urbaines, ces récits complètement faux qui s’enracinent dans l’opinion publique et finissent par devenir vrai aux yeux des gens. En écrivant un article dessus, il tombe sur une de ces légendes qui l’intrigue: un tueur déguisé en grand-mère et qui assassine des jeunes filles. L’analogie avec le petit chaperon rouge est flagrante. Mais cette légende urbaine est particulièrement vivace, depuis plus d’une décennie, du côté de Perpignan. Pourquoi? En cherchant, Thibaut Solano découvre qu’elle est apparue juste au moment de l’affaire des disparues de la gare. Elle en est l’émanation et a contribué à la psychose générale. Solano se documente sur l’affaire. Celle-ci finit par l’accrocher. Il décide de faire son enquête et d’écrire un livre dessus.

Le travail du journaliste/enquêteur est remarquable. Son récit est minutieux, précis et documenté. Solano est allé sur les lieux du drame, a interrogé presque tous les témoins et livre un travail remarquable. On a presque l’impression de lire un roman. Le style de l’auteur est parfait. Il retranscrit tous les détails avec talent. Tout sonne juste: chaque personnage croisé, chaque lieu visité, chaque relation de meurtre, chaque détail de l’enquête. Même le portrait psychologique des victimes et des assassins, véritables ou potentiels, est d’une parfaite exactitude. Solano aère son récit de chapitres à la première personne où il nous raconte son enquête sur les lieux, en 2013, 2014 et 2015. Il s’autorise alors des passages où il nous livre son état d’esprit, où les descriptions se font plus romanesques, où les références à la culture populaire viennent ponctuer le récit.

A la glaçante reconstitution des faits, Solano ajoute la chronique de l’obsession. Car il finit par devenir hanté par cette histoire et par le visage des victimes. N’importe qui ayant écrit un livre sur ce genre d’affaire ressent la même chose. Et cette obsession croise celle des enquêteurs. Ces policiers qui enquêtent sans relâche sur les crimes de sang et qui ne baissent jamais les bras, même après dix ou quinze ans. Cette obsession ils la transmettent même à leurs successeurs quand l’heure de la retraite sonne. Ce livre est le leur aussi. C’est l’histoire de ces hommes qui traquent les monstres et qui perpétuent la mémoire des victimes. Grâce à l’auteur, nous pénétrons leur travail et leur état d’esprit. Nous enquêtons avec eux, nous réfléchissons avec eux. L’affaire des disparues a généré son lot d’indices (pertinents ou non) et son lot de faux coupables. Tout est là, du portrait pathétique de suspects minables et/ou inquiétants au moindre témoignage qui pourrait faire basculer l’enquête.

Mais ce livre, c’est surtout celui des victimes, ces jeunes filles assassinées (ou disparue pour l’une d’entre elles) qui réclament justice. Elles avaient toutes un point en commun: elle voulait fuir leur quotidien morose. C’étaient des jeunes filles indépendantes d’esprit et qui voulaient vivre selon leurs désirs. C’est l’éternelle histoire des jeunes filles insoumises et qui rencontrent un monstre qui leur coupe les ailes. C’est l’éternelle histoire des hommes violents qui détestent les femmes. C’est l’éternelle histoire des pulsions malsaines masculines incontrôlées. L’éternelle histoire de l’innocence martyrisée. L’éternelle histoire de femmes assassinées par des hommes violents ou simplement perturbés.

A y réfléchir, il y a deux affaires dans l’affaire, deux meurtriers différents (un tueur occasionnel et un meurtrier en série). Une première arrestation en 2001 et une autre en 2014 semblent tout régler. « Semblent », car il reste des questions sur l’homme arrêté en 2014 et sur son parcours avant les meurtres de Perpignan, notamment. Et surtout, il reste Tatiana, disparue en 1995 et jamais retrouvée. Les deux suspects arrêtés semblent n’y être pour rien (l’un était incarcéré en 1995, l’autre nie farouchement). Alors, l’épilogue n’est toujours pas écrit. Et même le futur procès ne risque pas de l’écrire définitivement…

Ce livre est avant tout celui de Tatiana, Mokhtaria, Marie-Hélène et Fatima ainsi que de toutes les victimes de monstres.

Note: 4,5/5

Les Disparues de Thibaut Solano, 425 pages, éditions Les Arènes, 2016

L’ULTIME DEFI DE SHERLOCK HOLMES- Etude en rouge sang

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1922. Le docteur Watson se décide à mettre par écrit une enquête de  Sherlock Holmes  qu’il avait soigneusement cachée jusque là. Watson enferme son manuscrit dans un coffre à la banque et précise par une lettre que ce dernier ne devra être rendu publique que…50 ans plus tard!

1972. Le fameux manuscrit est enfin ouvert, lu et rendu publique. Mais son contenu est tellement scandaleux qu’il provoque une vive polémique. Ce fameux manuscrit narre l’affrontement, en 1888, de Sherlock Holmes et de Jack l’Eventreur. Mais la solution apportée à l’énigme de l’éventreur est si choquante qu’elle risque de perturber l’ordre et l’opinion publique.

Ce roman n’est pas une nouveauté. Il date de 1978 et il avait fait sensation dans le milieu holmésien de l’époque. Il est ici réédité par Rivages-Fleuve Noir, qui l’avait déjà édité au début des années 1990. Un plus large public, holmésien ou non, va pouvoir le (re)découvrir. Et ce n’est que justice vu la qualité du bouquin en question!

Certes, Michael Dibdin n’est pas le premier, ni le dernier, à confronter Sherlock Holmes à Jack l’Eventreur. L’année dernière encore, paraissait « Nous ne sommes qu’ombre et poussière » de Lyndsay Faye (Pocket éditions), un sympathique pastiche holmésien à l’atmosphère et au personnages bien dessinés mais dont le dénouement (largement prévisible) demeure assez galvaudé. La solution apportée par Dibdin est, elle, surprenante. Il serait criminel d’en dire plus mais dans ce roman, Holmes trouve un adversaire à sa taille, beaucoup plus diabolique et retors que ses crimes sauvages ne le laissaient présager. Ainsi le roman, et fait assez rare dans le cadre dans le cadre de la « sherlockerie », est avant tout le portrait saisissant d’un psychopathe perturbé. Tout ce qui touche à la personnalité du tueur de Whitechapel est empreint d’un grand réalisme et fait froid dans le dos. Tout ceci est digne du profilage d’un expert criminologue et nous offre une perturbante description d’un sociopathe ordinaire. Mais chut, laissons le lecteur le découvrir!

Mais le roman possède un autre intérêt. C’est un formidable jeu d’esprit entre la fiction et la réalité. Ainsi, le livre que nous tenons entre nos mains est bien un écrit de Watson. Car Holmes et Watson sont bien des personnages réels. Ils ont simplement croisé la route d’un médecin-écrivain, A.C.D, collègue et ami de Watson qui s’est offert de romancer les écrits de Watson sur les affaires traitées par Holmes pour les faire connaître du grand public. Revers de la médaille: suite à leur immense succès, ces nouvelles ont fini par rendre, au fil des années, Holmes et Watson complètement fictifs aux yeux d’un public qui les prend pour des personnages littéraires! Les crimes de l’éventreur étant bien réels, on finit par se demander où commence vraiment la fiction…ou la réalité! Mais bon, nous tenons bien entre nos mains un récit de Watson et non de A.C.D. A moins que…allez savoir!

Le portrait de Holmes est irrésistible. C’est bien le Sherlock que l’on connaît, intelligent, cocaïnomane, sarcastique et méprisant mais là, ses défauts sont accentués et le personnage (qui passe son temps à brimer méchamment Watson et Lestrade) apparaît un tantinet insupportable mais c’est un génie et il est le seul à pouvoir stopper le monstre de Whitechapel. Il y a donc beaucoup d’humour et de malice dans ce roman. Mais ceci tranche avec l’atmosphère pesante qui règne à Whitechapel et avec l’horreur des crimes de l’éventreur, qui sont ici décrits dans leur exacte réalité. L’écriture de Dibdin est précise, concise et l’auteur possède un sens du suspense efficace et redoutable. Tout au plus, pourra-t-on regretter que Dibdin ne s’attarde pas un peu plus sur la vie des habitants des bas-fonds londoniens.

Que dire de plus? Les fans de Sherlock Holmes y retrouveront leurs héros préférés ainsi que moultes références au Canon Holmésien de A.C.D. On a même droit au récit, par Holmes lui-même, d’une affaire inédite et qui n’a aucun rapport avec l’éventreur. Et enfin, le jeu de piste bascule, dans son dernier tiers dans des évolutions narratives insoupçonnées où la paranoïa côtoie l’émotion la plus intense. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de fermer ce livre avec un léger doute….Brillant!

L’ultime défi de Sherlock Holmes (The last Sherlock Holmes story) de Michael Dibdin, 285 pages, Rivages-Fleuve Noir, 2016

 

CARNETS NOIRS-On reading

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1978. John Rothstein, écrivain célèbre de 80 ans qui vit désormais en reclus, est assassiné par l’un de ses fans, Morris Bellamy. Le jeune homme est en colère contre l’écrivain car, à ses yeux, ce dernier a trahi son personnage-culte, Jimmy Gold, dans le dernier tome de ses aventures. Bellamy vole l’argent de l’écrivain et ses carnets de notes.

2010. Un adolescent de 13 ans, Peter Saubers, va faire une découverte qui va changer sa vie et surtout celle de sa famille, au bord de l’implosion.

2014. Bill Hodges, ancien flic à la retraite, est contacté par une jeune adolescente inquiète pour son grand frère.

 

Après Mr Mercedes, voici le deuxième tome de la trilogie Bill Hodges. Ce dernier a monté une agence d’enquêtes privées centrée sur la recherche de personnes ou d’objets disparus et baptisée Finders Keepers (« qui trouve gagne », titre original du roman par ailleurs). Il est secondée par Holly, jeune femme Asperger courageuse et têtue, qu’il avait rencontrée lors de l’affaire du Tueur à la Mercedes. Nous retrouvons avec plaisir nos vieilles connaissances. Mais Bill Hodges est un peu en retrait sur cette affaire. Il n’est pas impliqué personnellement et il n’est qu’une composante d’une histoire débutée 35 ans plus tôt.

Les deux personnages principaux de cette histoire sont Peter Saubers et Morris Bellamy. Le premier est un adolescent responsable et grand dévoreur de romans. Il aime tout particulièrement John Rothstein et sa série sur Jimmy Gold. Avec ce personnage, King convoque Stevenson et nous embarque dans une histoire de trésor perdu et retrouvé. Mais l’esprit aventureux du jeune garçon doit céder la place au sens des responsabilités. Cette partie est un roman initiatique subtil et émouvant sur un jeune garçon qui veut aider sa famille, une famille dévastée par la crise économique. Après Mr Mercedes, King enracine encore plus fort son roman dans l’Amérique en récession et nous peint le portrait de personnages qui luttent pour leur survie mais sont au bord du renoncement. Simple, sans pathos et terriblement réel. Il ne faut pas longtemps à King pour nous attacher à cette famille. D’autant qu’il fait le lien avec Mr Mercedes, via la répétition d’une scène traumatique…

Avec Morris Bellamy, King, après Misery, semble renouer avec la thématique du fan cinglé qui harcèle l’écrivain célèbre (situation que l’auteur a vécu personnellement). Ceci est pourtant évacué avec le premier chapitre, confrontation terrible et mordante entre Bellamy et Rothstein. King va plutôt s’attarder à brosser le portrait et la trajectoire de son personnage. Bellamy est-il une ordure? Pas vraiment, c’est juste un pauvre loser minable qui confond fiction et réalité et fait des conneries sous l’emprise de l’alcool. Nous sommes ici dans un roman noir à la Westlake/Stark. Tout ceci est désespérant (King arrive à créer de l’empathie avec ce pauvre Morris) et bardé d’humour noir. Tous les malheurs de Morris nous le font plaindre (viols carcéraux, officier de probation vicelard, mère peu aimante,…) mais il y a un commentaire acerbe et ironique où King se livre à son sport favori: gratter le vernis du rêve américain et en montrer les disfonctionnements.

Enfin, le roman est une déclaration d’amour à la lecture. La lecture nous aide à mieux appréhender le monde et à nous adoucir la vie quand celle-ci est trop dure. Mais à qui appartient un livre? A son auteur? Ou à son lecteur? Et chaque lecteur a-t-il le droit de s’arroger ce titre de propriété par rapport aux autres? Bellamy est un égoïste qui est capable de priver les autres de manuscrits inédits juste pour pouvoir les lire seul. King fustige les collectionneurs privés qui privent les autres d’œuvres inestimables. La lecture se doit d’être un partage et l’histoire appartient à la fois à l’auteur et à TOUS ses lecteurs. A travers ce roman tour à tour drôle, ironique, émouvant et trépidant, King fait encore étalage de son savoir-faire narratif en liant les destins et les actes de ses « héros » avec fluidité. A ce titre, la dernière partie est d’une précision chirurgicale au niveau du suspense. On lui pardonnera aisément quelques facilités (comme le portrait un peu caricatural de la sœur de Peter). Et au dernier chapitre, nous entrevoyons les prémices du dernier opus de la trilogie Bill Hodges, qui risque de prendre un tournant pour le moins inattendu…

Note: 4/5

Carnets Noirs (Finders Keepers), de Stephen King, 430 pages, éditions Albin Michel

REVIVAL-La menace fantôme

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Jamie Morton, un guitariste/ingénieur du son sexagénaire, se souvient de son enfance dans le Maine, de sa vie de musicien drogué…et du révérend Charles Jacobs, un homme qu’il croisera à quatre reprises dans sa vie et qui le conduira aux portes de l’Enfer.

Le nouveau roman de Stephen King ressemble à un best of de ses figures imposées: un artiste (mais pas un écrivain, cette fois!) nous raconte sa vie, une enfance dans le Maine rural des années 1960, l’addiction à la drogue puis la rédemption, une critique de la religion et de ses abus, la volonté de regarder la mort en face, la fragilité de la vie, etc. On aurait pu craindre une baisse de son inspiration. Même pas! Sur un sujet qu’on croyait connaître, King nous surprend et nous livre un roman à la fois émouvant et terrifiant.

Il y a deux romans dans ce Revival: l’un « naturaliste » et l’autre « fantastique ».  Nous avons d’abord l’autobiographie fictive d’un petit guitariste du Maine. Ce Jamie Morton nous apparait vite comme un vieil ami. On a l’impression de le connaître depuis toujours. Comme d’habitude, King nous fait croire avec talent à un personnage de fiction. D’autant que l’histoire de Jamie est attachante. Banale mais terriblement humaine. Une fois de plus, l’enfance dans le Maine (que King a vécu) est admirablement retranscrite. Le moindre petit détail sonne juste. Tout un monde disparu renait sous nos yeux. Imparable. Puis Jamie grandit: l’amour, la musique, la drogue. Tout s’enchaîne assez vite. Mais le parcours du personnage reste toujours intéressant. Les relations professionnelles et personnelles de Jamie évoluent. Chaque personnage secondaire existe sous nos yeux et joue sa partition jusqu’au bout. Même un cliché comme la relation intime entre un quinquagénaire et une jeune étudiante de vingt ans est traité avec délicatesse et humour. C’est un donc un roman américain par excellence. Mais ce n’est pas une success story pour autant. Jamie nous apparait au final, derrière l’autodérision, comme rempli de nostalgie, d’amertume…et de peur.

Car une ombre plane sur sa vie: celle du révérend Charles Jacobs. La première fois que Jamie le rencontre, c’est en 1962 et il a huit ans. Et la première chose qu’il perçoit de cet homme, c’est son ombre qui s’abat sur lui alors qu’il joue aux soldats de plomb. La menace était déjà là. Mais Jamie voit d’abord cet homme comme un ami, ce qu’il était peut-être au début. A travers Charles Jacobs, King interroge la foi des croyants et livre un discours pessimiste et résolument athée, même si l’élément surnaturel final nous montre qu’il y a quelque chose…mais quelque chose qui ridiculise la ferveur religieuse d’une bien sinistre façon. King égratigne aussi, au passage, les pasteurs fous qui font des spectacles avec des pseudo-miracles et les gogos qui y croient. L’exploitation de la misère humaine par la bigoterie l’a toujours dégoûté.

Charles Jacobs est un personnage complexe. Ce n’est pas un fanatique religieux mais un fanatique de sa propre obsession: la foudre et l’électricité. Au début, il est normal et équilibré: bon époux, bon père, jeune pasteur aimé de ses fidèles. Mais un terrible drame va l’amener vers l’obscurité. Jacobs devient alors l’une des meilleures figures maléfiques inventées par King. Un homme qui veut percer les secrets de la vie et de la mort, à n’importe quel prix, même celui de la vie humaine. Charismatique, exerçant une influence néfaste sur les gens qu’il « aide » (y compris Jamie), cet homme bon devient, au fil des décennies, un monstre. Il y a bien sûr du docteur Frankenstein en lui. Mais King cite aussi les écrits de Lovecraft. Et il conclut son roman sur une conclusion horrible, pessimiste et traumatisante. Alors, comme King semble nous le dire, profitons à fond de la vie, avant de serrer la poigne de la camarde… Note: 17/20

Revival, 440 pages, éditions Albin Michel

LE TEMPS D’UN AUTRE-Brève rencontre

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Juillet 1990. Robin Trimariot, fonctionnaire européen à Bruxelles, revient en Angleterre pour une affaire de famille. Son frère aîné Hugh est brutalement décédé d’une crise cardiaque. Il était le PDG de la firme familiale qui fabrique des battes de cricket. Lors d’une randonnée, Robin croise, durant quelques minutes, une femme dont le charme emprunt de tristesse l’impressionne. Ils échangent quelques mots et se séparent. Trois jours plus tard, il apprend que cette femme, Louise Paxton, a été violée et assassinée dans la maison d’un peintre, lui aussi tué. Tout cela s’est passé quelques heures après que Robin l’ait rencontrée. Ne pouvant se détacher du souvenir bouleversant de cette femme, Robin décide de témoigner à la police. Il va aussi rentrer en contact avec la famille de la morte et mettre le pied dans un engrenage fatal.

Né en 1954, le britannique Robert Goddard fut journaliste, enseignant puis proviseur. Au milieu des années 1980, il décide de se consacrer entièrement à l’écriture de romans. Il publie bon nombre de livres, assez populaires en Angleterre. Mais il faudra attendre le début des années 2010 pour que son œuvre soit redécouverte et connaisse enfin le succès qu’elle mérite, au niveau mondial. En France, on a pu découvrir ainsi Par Un Matin d’Automne (chef d’œuvre!), Heather Mallender A Disparu, Le Secret d’Edwin Strafford ou Le Retour. Des romans puissants où le passé ne meurt jamais et où ses conséquences, parfois terribles, sont toujours présentes. La plupart de ces histoires présentent un héros qui enquête sur une tragédie passée ou un évènement qui prend ses racines dans le passé. Il y a souvent de nombreux allers-retours en arrière. Les romans de Goddard sont addictifs. Impossible de s’arrêter avant la fin. Si vous n’avez encore pas découvert cet auteur, faites-le toutes affaires cessantes!

Le Temps D’Un Autre (qui date de 1995) est légèrement différent. Le héros ne remonte pas le temps pour son enquête ou alors sur une très courte période. Le point de départ est le meurtre sauvage de Louise Paxton. L’action va s’étirer sur trois ans, de 1990 à 1993. Cette fois, Goddard nous dépeint la tragédie d’un homme qui a connu très brièvement une femme (moins de cinq minutes). Il en est tombé amoureux mais a préféré la laisser. Ce qui explique son sentiment de culpabilité. Il va vivre une véritable obsession pour cette morte, allant jusqu’à éprouver une affection un peu excessive (mais bienveillante) pour ses deux filles. Il sera aux côtés de cette famille lors du procès du présumé assassin. C’est un roman mélancolique que nous écrit son auteur. Il y a des choses infimes que le temps n’efface pas, des petits riens que l’on n’oublie pas. Le passé ne meurt jamais, ni certains êtres. A travers cet amour d’un homme pour une morte idéalisée, Goddard nous ramène à l’essentiel de notre vie sur Terre. La mort frappe n’importe quand. Bien sûr, il y aura des rebondissements et Robin va découvrir des choses sur Louise et sa famille, qui vont le faire vaciller dans ses certitudes. Goddard possède un art consommé et précis du suspense. Robin Trimariot court à sa perte, sans le savoir. Quelquefois, il vaut mieux savoir faire son deuil…

Le deuil est au cœur du roman. Le portrait bouleversant que fait Goddard des deux filles de Louise est magnifique. Très proches de leur mère, comment ces deux jeunes femmes vont-elles survivre? L’une est plus forte, l’autre s’avèrera plus fragile. Le mari de Louise est aussi décrit comme un être brisé par la tragédie mais capable de se battre pour la mémoire de sa femme. Goddard a une écriture à la limite de la poésie. Ecrit à la première personne (Robin), son style possède une vraie mélancolie et une tristesse profonde. Les paysages d’été y sont aussi tristes que ceux d’hiver. Et comment oublier l’image de ce pont hanté par une tragédie? Les personnages sont admirablement décrits tout comme les états d’âme de Robin, qui nous est très proche. Que ce soit sur le plan du suspense ou des sentiments, Goddard gagne sur tous les tableaux.

Il faut aussi mentionner les problèmes familiaux de Robin, avec la firme Trimariot and Co. Les problèmes d’administration de cette entreprise auront une conséquence sur l’autre affaire. Comme toujours chez Goddard, il y a cette fascination pour les histoires de famille et tout ce qu’elles renferment: jalousie, passion, haine, amour, secrets….Voilà, il ne faut pas en dire plus. Juste qu’il faut lire ce roman et tous les autres de son auteur. Ce sont des histoires que l’on n’oublie pas, une fois le livre refermé.  Note: 18/20

Le Temps d’Un Autre (Borrowed Time) de Robert Goddard, Le Livre de Poche (inédit), 590 pages

 

Mr MERCEDES-Seconde chance

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2010. Bill Hodges est un inspecteur de police à la retraite. Divorcé, ayant une fille qu’il n’a pas vu depuis deux ans, il vit seul dans son petit pavillon de banlieue. Hodges semble fatigué. Il passe ses journées sur son canapé, devant sa télé, à se gaver de cochonneries (aussi bien alimentaires que télévisuelles). Parfois, il prend son revolver avec lui et en caresse le manche, tout en ayant des humeurs mélancoliques. Mais un jour, il reçoit une étrange lettre. Elle est signée Le Tueur à la Mercedes. Ce dernier est un tueur de masse. Un an plus tôt, au volant d’une Mercedes, il a tué 8 personnes et en blessé d’autres, lors d’une foire à l’emploi, en leur fonçant dessus. Ce fut la dernière affaire de Bill Hodges. Le tueur ne fut jamais identifié et arrêté. Aujourd’hui, le Tueur à la Mercedes nargue Bill Hodges. Il semble vouloir le pousser au suicide, en le manipulant. Seulement, il a sous-estimé la force de caractère et la détermination de Bill Hodges qui va se mettre en chasse et retrouver plus qu’une rédemption,: une nouvelle raison de vivre.

Le nouveau roman de Stephen King est un roman noir. On y retrouve le style que King avait quand il signait les romans de son alter-ego Richard Bachman. On est ici en terrain connu: un vieux flic à la retraite pugnace, un psychopathe complètement taré, des flics dépassés et une noirceur à toute épreuve. Mr Mercedes n’est pas à ranger dans la catégorie des chefs-d’œuvre de King. Il lui manque un petit quelque chose par rapport à ceux-ci. Néanmoins, c’est un très bon roman qui se lit d’une traite.

Le prologue est, sans conteste, l’une des plus brillantes entrées en matière du romancier. A la fois terriblement émouvant et poignant et profondément horrible quant à sa conclusion. Lors d’une foire à l’emploi, un homme d’âge mûr se lie d’amitié avec une jeune mère célibataire accompagnée de son bébé. Ils recherchent tous les deux un emploi. Ils sont venus, ainsi que d’autres, dans la nuit pour être bien placés le lendemain matin. Il fait froid, il bruine. King nous montre, sans pathos, les effets dévastateurs de la crise. Il nous décrit avec humanité et bienveillance les espoirs et les craintes des sans-emplois. On est là avec eux….jusqu’à ce que l’horreur s’invite au bal. King n’ira pas jusqu’au bout, il préfère arrêter avant. Mais le choc est là. La tristesse aussi. Un petit coup de maître!

L’Amérique post-crise et de l’ère Obama est au cœur de ce roman. On y voit les effets dévastateurs de la crise en arrière plan: entreprises et emplois menacés, désespoir et pauvreté, contraste entre quartiers pauvres et riches. Ce petit air en sourdine reste présent tout du long.  King va choisir comme héros un homme simple mais usé. Cet homme est un petit retraité qui regarde la télé-réalité tout en la fustigeant. C’est le dernier divertissement pour les pauvres. En quelques pages, King enfonce cette abomination télévisuelle avec férocité et nous montre un esprit brillant complètement anesthésié par ces programmes. C’est une métaphore évidente de la classe populaire américaine. Le personnage de Bill Hodges est remarquable. Il nous est proche. C’est un excellent enquêteur mais aussi un homme bon et juste. Ce roman est l’histoire d’un homme au fond du trou qui se relève et se bat. Il rencontrera même l’amour en chemin! Il y aussi sa relation avec son jeune voisin noir de 17 ans, Jérôme Robinson. C’est une véritable amitié et une profonde estime qui les réunit. Seulement, faut pas trop pousser Bill Hodges comme le Tueur à la Mercedes va l’apprendre! Bon sang, on a même droit à une scène où le vieux flic corrige deux racketteurs qui emmerdaient un gamin. Jouissif!

Le portrait du Tueur à la Mercedes est glaçant car terriblement troublant et réaliste. King nous balance son identité au début du roman. On va suivre son parcours en parallèle de celui du héros. Il est issu d’un milieu populaire. Suite à une enfance traumatisante, il se met à haïr l’humanité en général. King ne lui donne aucune excuse. Il nous décrit son comportement et ses névroses avec un grand talent. C’est une plongée dans la folie totale. Cet homme est terriblement banal mais dangereux. C’est une bombe à retardement. Le suspense du livre va crescendo jusqu’à la fin, qui devient carrément stressante. Mais le pire, c’est qu’à un moment, King nous livre les pensées du tueur sur un évènement « culturel ». Le plus troublant….c’est qu’on pense la même chose que lui! King manie l’humour noir avec une grande habileté. Comme jamais, il sait magnifiquement retranscrire toutes les contradictions de la société américaine.

Alors oui, certains rebondissements sont attendus et la deuxième partie fait légèrement du surplace. Mais les personnages secondaires emportent l’adhésion. Janey est une femme quadragénaire qui va séduire Bill…et le lecteur. La romance entre deux personnes d’âge mûr est formidable. Le personnage de Jérôme est irrésistible et très drôle. La mère alcoolique du tueur est presque aussi effrayante que son fils. Et puis il y a Holly, une femme dépressive et limite aliénée, qui va devenir une héroïne en aidant Bill dans son enquête. Elle aussi a une revanche à prendre sur la vie. L’émotion tient une grande place dans ce roman.

A signaler que Mr Mercedes est le premier volet d’une trilogie. Vivement la suite!

Note: 15/20

Mr Mercedes, de Stephen King, 2014, 475 pages, Albin Michel

WHITECHAPEL-Du sang sur la Tamise

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Entre la fin août et la fin novembre 1888, cinq prostituées furent les malheureuses victimes de celui que la presse baptisa Jack l’Eventreur (Jack The Ripper). Toutes les cinq furent assassinées dans le quartier pauvre de Whitechapel, à Londres. D’autres crimes furent imputés à l’Eventreur mais ces cinq-là sont les seuls dont on soit sûr qu’ils étaient commis par le même assassin. Pourtant, il y eut peut-être un deuxième tueur en série, à la même époque, à Whitechapel. Il s’agit du Tueur au Torse (The Torso Killer). Il a fait au moins deux victimes, deux femmes dont on a retrouvé seulement les torses, amputés de tous leurs membres. L’une d’elles fut même retrouvée sur le chantier des nouveaux locaux de Scotland Yard. Comme Jack, il ne fut jamais attrapé. Mais son modus operandi était différent, ce qui fait dire aux spécialistes qu’il y avait bien deux tueurs.

La romancière Sarah Pinborough a choisi de se pencher sur le Tueur au Torse pour ce roman. Pendant qu’il enquête sur les meurtres de Jack l’Eventreur, le médecin légiste Thomas Bond va autopsier le corps de la première victime du Tueur au Torse. Il découvre, horrifié, l’existence d’un deuxième tueur. Veuf et insomniaque, le docteur Bond s’adonne à l’opium dans des fumeries de Whitechapel. C’est là qu’il va croiser le chemin d’un étrange homme en noir qui épie les drogués pendant qu’ils dérivent. Le docteur Bond va alors entamer un voyage vers l’horreur la plus totale…

Ce roman est un voyage au bout de la nuit. Sans retour. Il nous donne à contempler l’humanité dans de qu’elle peut avoir de plus effrayant. Sarah Pinborough donne vie au quartier de Whitechapel avec un réalisme saisissant. Tout sonne juste, que ce soit au niveau des décors ou des personnages. Son style est vif mais aussi lyrique et poétique par moments. Elle ne nous épargne aucune vision d’horreur. Tout cela sent la violence, le meurtre et le sexe facile dans les fragrances d’opium. La misère de Whitechapel est ici rendue avec une grande précision et une foule de détails. Et puis, il y a les descriptions des victimes des meurtres. Elles sont froides et ultra-réalistes. On ressent du dégoût et de la pitié. Et le pire c’est que l’auteur s’est basée sur la description de crimes réels. Elle n’a rien inventé. Glaçant…

C’est un roman écrit dans un style parfait. Et l’histoire? Tout simplement magistrale! Remarquablement construite, elle est très originale et on tourne les pages avec délectation. Le roman nous donne plusieurs points de vue: celui du docteur Bond (qui a réellement existé et enquêté sur l’Eventreur), l’inspecteur Moore, un étrange coiffeur polonais (que les ripperologues connaissent bien) souffrant d’hallucinations, une jeune servante dissimulant un lourd secret, et, via un journal intime datant de 1886, un jeune dandy anglais parti en Europe pour fuir un chagrin d’amour. Sans oublier, l’étrange homme en noir des fumeries d’opium… Tout ces gens se croisent dans une danse macabre des plus terribles. La mort semble suivre tous les protagonistes de ce roman. L’ambiance est gorgée de suspense. Mais elle est aussi poisseuse, sombre, sans aucun espoir. Le portrait du docteur Bond est remarquable. Traumatisé par la mort de son épouse, c’est une âme en peine qui se perd dans l’ombre de l’opium. Hanté et obsédé par toutes ces femmes assassinées, il se met en chasse pour leur rendre justice. Il va croiser le Mal absolu sur sa route. Le docteur Bond est un personnage complexe et terriblement attachant. Faillible et humain, tout simplement. C’est un témoin du mal. Bravo à Sarah Pinborough de l’avoir pris comme héros et de nous l’avoir fait si proche de nous.

Whitechapel est certes un thriller qui démarre comme une enquête classique. Mais il bascule dans le surnaturel en cours de route. En dire plus serait criminel mais vous serez surpris et effrayé. Jack l’Eventreur n’est qu’une ombre dans ce roman. On sent sa présence mais on ne le verra jamais. Sarah Pinborough s’intéresse au Tueur au Torse et à l’horreur sans nom qu’il cache. Ce livre n’est donc pas une énième thèse sur l’identité de Jack. Ce dernier n’est qu’une conséquence d’un mal beaucoup plus terrible….

Bref, un roman diabolique, original et sans concessions! Sarah Pinborough s’impose comme un auteur de grand talent. Sachez enfin qu’un deuxième tome sur cette histoire paraîtra bientôt. Les nuits seront longues et sans sommeil, blanches mais teintées de rouge sang… Note: 18/20

Whitechapel (Mayhem en anglais), 2013, de Sarah Pinborouh, l’Ombre de Bragelonne, 2014, 359 pages.

MORIARTY- L’ennemi invisible

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Près de trois ans après l’excellent « La Maison De Soie », Anthony Horowitz, toujours avec l’aval des ayants-droits de Conan Doyle, publie un nouveau roman sur Sherlock Holmes. Cette nouvelle histoire commence juste après la confrontation entre Holmes et Moriarty aux chutes du Reichenbach, confrontation qui se solde par la mort des deux antagonistes. Du moins selon la version officielle, car on sait que Holmes a survécu mais qu’il a choisi de se faire passer pour mort durant trois ans, de 1891 à 1894, période que les holmésiens appellent le Grand Hiatus. Le roman de Horowitz commence cinq jours après le drame du Reichenbach, avec la rencontre entre l’inspecteur principal de Scotland Yard Athelney Jones et un détective de l’agence américaine Pinkerton, Frederick Chase. Tous deux se lancent à la poursuite d’un mystérieux criminel américain, Clarence Devereux, qui semble vouloir prendre la place laissée vacante par Moriarty à Londres. La partie commence…

Il faut tout de suite évoquer le principal défaut du roman. En soi, c’est très couillu de la part d’Horowitz et c’est d’une grande originalité mais la frustration est quand même grande chez le lecteur. On ne verra jamais Sherlock Holmes et le docteur Watson de tout le roman! Du coup, ce n’est pas vraiment une enquête de Sherlock Holmes. Ici, c’est une enquête de l’inspecteur Jones de Scotland Yard. Mais l’ombre de Holmes est omniprésente. Jones applique les méthodes de Holmes et s’avère aussi doué (plus?) que lui. Du coup, on a un Holmes bis. On voit que les méthodes de Holmes ont fait école et influencent désormais la police. C’est une forme d’héritage. Néanmoins, à ce compte, on aurait préféré voir le vrai Holmes. Mais Athelney Jones est un personnage intéressant et terriblement humain: il est marié, père d’une petite fille de six ans, handicapé (il boite et marche avec une canne) et demeure obsédé par Holmes. Quant à Frederick Chase, il est intuitif, porté sur l’action et admire les méthodes de Jones, pour qui il se prend d’amitié et de loyauté. C’est lui qui raconte l’histoire à la première personne. Bref, c’est un nouveau Watson. Au final, nous avons bien une aventure de Holmes et Watson, mais de façon déguisée. Original mais frustrant. Frustrant mais original.

Concernant l’intrigue et le style de l’auteur, on retrouve ici intact le talent dont Horowitz faisait preuve sur La Maison De Soie. L’histoire est diabolique à souhait, pleine de chausse-trappes et de fausses pistes, émaillée de nombreuses péripéties. Le rythme est soutenu et on ne s’ennuie jamais. Horowitz, une fois de plus, restitue brillamment l’Angleterre victorienne: les bas-fonds, les docks, les clubs populaires, les ambassades et leurs soirées mondaines,…Son récit est parsemé de trouvailles qui font mouche: la réunion des inspecteurs de Scotland Yard,  une scène de crime particulièrement barbare, un jeune adolescent inquiétant, un méchant insaisissable et atteint d’une grave phobie, l’officine très particulière d’un étrange barbier, un attentat spectaculaire, etc. Bref, c’est du grand art, écrit de main de maître dans un style digne de Conan Doyle! Et il y a quelques références au Canon holmésien que les fans apprécieront.

Moriarty demeure un roman passionnant mais aussi un roman sombre, désespéré et très cruel. L’enquête de nos deux héros ne se fera pas sans mal et les mènera à affronter un ennemi bien plus retors qu’il n’y parait. L’inspecteur Jones (qui avait croisé Holmes sur l’affaire du Signe des Quatre) a une revanche à prendre, à la fois sur Holmes (il s’est senti humilié par ce dernier) et sur la vie (son handicap). Il se sent diminué et fait tout pour exister aux yeux des autres et que son travail soit reconnu. Chase est lui déterminé à venger la mort d’un de ses collègues, quelque en soit le prix.  Mais si l’ombre de Holmes plane sur cette histoire, celle de son machiavélique ennemi est aussi présente. Et l’on se pose une question tout du long: le professeur Moriarty a-t-il survécu aux chutes du Reichenbach? Jones et Chase vont-ils devoir se mesurer à deux criminels d’exception: Moriarty et Clarence Devereux?

A noter que le roman est suivi d’une courte nouvelle, Les Trois Reines, une enquête antérieure au récit qui précède et qui met en scène une enquête de Holmes, relatée par le fidèle Watson. Une nouvelle bien dans la mouvance de Conan Doyle mais qui laisse un goût amer…

Note: 16/20

Moriarty, de Anthony Horowitz, 360 pages, Calmann-Lévy.

JOYLAND-La grande roue de la vie

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1973. Un jeune étudiant de 21 ans, Devin Jones, rêvant de devenir écrivain, est victime d’une cruelle déception sentimentale. Pour tenter de fuir son mal-être, il prend un job saisonnier dans un parc d’attractions, Joyland. Il y rencontrera des amis pour la vie, un amour bref mais fort et sincère, ainsi qu’un petit garçon handicapé qui changera son regard sur le monde. Mais il croisera aussi un fantôme et l’ombre menaçante d’un tueur en série…

Depuis quelques temps, Stephen King enquille les romans à une assez grande vitesse: trois (22/11/63, Doctor Sleep et Joyland) en moins de deux ans, plus un recueil de quatre grandes nouvelles! Si encore on pouvait noter une baisse de qualité chez lui, mais non! Son plaisir de raconter des histoires est toujours intact et son talent n’a pas baissé d’un iota. Joyland est un « petit » roman ( 320 pages), qui semble beaucoup moins ambitieux que d’autres de ses livres. Ce n’est pas la première fois que King écrit ce genre de court roman (cf La Petite Fille Qui Aimait Tom Gordon) et généralement, ils sont moins populaires que les autres. Et c’est bien dommage!

Le quatrième de couverture français de Joyland est assez mensonger.  Si Joyland propose un élément fantastique, il est discret et presque en arrière-fond de l’histoire. Joyland n’est pas un roman de terreur. C’est une chronique douce-amère sur le passage à l’âge adulte d’un petit con de 21 ans, assez égoïste, et qui devient un homme bon et juste. Le livre est écrit à la première personne par ce personnage. Devin Jones nous raconte son histoire maintenant, alors qu’il est devenu sexagénaire depuis peu. Il revient avec nostalgie, mais sans complaisance, sur cet été 73 qui a changé sa vie. L’empathie du lecteur fonctionne parfaitement pour Devin Jones. Il nous paraît proche. Le style de King est toujours aussi bon mais son propos n’est pas bêtement « nostalgique mélancolique ». Devin Jones ne nous cache rien des défauts qu’il avait à cette époque. Le personnage est lucide. Sa métamorphose n’en est que plus réussie au fil du récit. Le jeune homme se découvre un don pour amuser les enfants et y trouve beaucoup de plaisir. Sa rencontre avec le jeune Michael sonne comme une évidence. Lourdement handicapé, le petit garçon sait qu’il va mourir. Il l’accepte avec une résignation quasi-adulte…et un solide sens de l’humour. Lui et Devin deviennent amis.  A son contact (et à celui de sa jolie maman), Devin reprend goût et foi dans la vie. Sans pathos, mais avec une justesse incroyable, King nous émeut aux larmes avec le personnage de Michael et de sa mère, une femme en apparence dure mais terriblement fragile sous la surface.

Stephen King nous parle du temps qui passe (le narrateur revient sur les faits, quarante ans après) et des souvenirs qui ne meurent pas. Certains sont lumineux, d’autres douloureux. Mais l’atmosphère reste triste, par moments. Alors oui, il faut vivre et profiter de tous les petits instants de joie mais le destin est cruel et frappe autour de nous. Quand un ami de trente ans meurt subitement d’un cancer, par exemple… La vie est belle mais elle demeure parfois cruelle. En cela, Joyland nous laisse une petite impression de chagrin quand on le referme.

Le livre est aussi une formidable description, haute en couleurs du milieu des parcs d’attractions et des forains. Joyland est un petit parc indépendant mais c’est un paradis pour les enfants. Aujourd’hui, Disney a tout bouffé et des parcs comme Joyland ont disparu. C’est une époque bénie qui prend fin sous nos yeux. Mais les forains, les manèges, le public, tout est décrit à la perfection et on s’y croirait. King réussit une brillante évocation de ce milieu.

Au récit d’initiation de Devin Jones, vient se greffer, en arrière-fond, une histoire de fantôme et de meurtres de jeunes femmes. Loin d’être inintéressant, cet aspect est un plus conventionnel mais reste prenant. Derrière le bien-être de façade, il y a toujours quelque chose de pourri dans le Rêve Américain version King… comme dans la vraie vie d’ailleurs! King tricote une petite sous-intrigue inquiétante dont la résolution culmine dans un climax bourré de suspense!

Au final, Joyland est un grand « petit » livre, qu’on ne lâche pas avant la fin et que l’on referme sur une scène bouleversante et apaisante. Note: 17/20

Joyland, de Stephen King, 324 pages, éditions Albin Michel, 2014

 

LA FILLE DERRIERE LE RIDEAU DE DOUCHE-Pulsions

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En 1988, Marli Renfro, la femme qui avait servi de doublure à Janet Leigh pour la célèbre scène de la douche du Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock, est brutalement assassinée. Simple coïncidence? A l’époque de la sortie du film, déjà, la police de Los Angeles avait suspecté du meurtre de plusieurs femmes un certain Sonny Bush, jeune homme qui avait vu Psychose et ressemblait étonnamment au personnage de Norman Bates…

Ce livre n’est pas un roman. C’est une histoire vraie. Il est écrit par le journaliste Robert Graysmith, auteur de deux livres références sur le Tueur du Zodiaque, qui ont permis de mettre un nom et un visage sur ce terrible serial-killer resté impuni. Ses deux livres ont été adaptés à l’écran, en 2007, par David Fincher via son remarquable Zodiac. Dans le film, Robert Graysmith était interprété par Jake Gyllenhaal (vu récemment dans Prisoners). Graysmith s’est spécialisé dans l’histoire criminelle des Etats-Unis. Cette fois, il s’attache à dépeindre le destin d’une pin-up qui l’obsède depuis l’adolescence: Marli Renfro. Mais son livre est bien plus que ça.

Tout d’abord, c’est une formidable évocation du cinéma de la fin des 50′s et du début des 60′s. Nous assistons au tournage de Psychose et de la mythique scène de la douche, nous croisons Alfred Hitchcock, Janet Leigh, Tony Curtis mais aussi Francis Ford Coppola et Russ Meyer. Car Psychose a changé la face du cinéma, et a ouvert la voie à un cinéma plus frondeur et plus transgressif. Ce sera d’abord les Nudie Cutie, ces films où des pin-up dans le plus simple appareil, et aux formes généreuses, s’ébattent joyeusement à chaque scène.  Mais Graysmith évoque aussi le magazine Playboy, Las Vegas, ses casinos, ses strip-teaseuses et ses gangsters. Le monde du spectacle est varié et complexe à l’époque! Et des liens se tissent parfois entre Hollywood et Vegas. Le tableau est précis et passionnant. C’est tout un monde disparu que Graysmith ressuscite sous nos yeux. Comme dans un film, on s’y croirait!

Ensuite, le livre évoque une affaire criminelle qui avait défrayé la chronique dans le Los Angeles de 1960: les crimes de l’Etrangleur à la Balle. Au milieu de l’histoire de Marli Renfro et de Psychose, nous est contée l’itinéraire d’un jeune homme frustre, qui vit avec sa mère et qui tue des femmes âgées: Sonny Busch. Le type est schyzophrène et a des absences. Est-il aussi l’Etrangleur à la Balle? Le chef des inspecteurs Thad Brown (que James Ellroy a utilisé dans ses romans) enquête. Busch sera arrêté pour trois meurtres. Mais il n’a jamais avoué les autres. Et personne n’a jamais été pris pour les crimes de l’étrangleur….Le parallèle Sonny Busch/ Norman Bates est fascinant. Pour le personnage de Bates, le romancier Robert Bloch s’était inspiré d’un véritable tueur en série: l’horrible Ed Gein, de sinistre mémoire. La réalité s’est inspirée de la fiction…qui s’était inspirée de la réalité! Pour être juste, Bush n’a pas été inspiré par Bates (il a commencé à tuer quelques mois avant d’avoir vu Psychose) mais le film de Hitchcock a été une révélation pour lui et le personnage de Bates l’a fasciné. Graysmith pointe du doigt ce qui n’allait pas dans la société américaine de 1960: le puritanisme et le refoulement sexuel. Les hommes étaient obsédés par les femmes….qu’il ne pouvaient pas toucher hormis dans les liens du mariage. Le sexe était honteux. L’Amérique était une nation de voyeurs et de pervers en puissance. Hugh Heffner l’avait compris en créant Playboy et ses photos de filles nues. Les producteurs de casinos et de films érotiques l’avaient aussi compris. Hitchcock l’avait compris, à un degré supérieur. Psychose parle de pulsions sexuelles réfrénées qui deviennent des pulsions meurtrières. Exactement le cas des meurtres de Sonny Busch et de l’Etrangleur à la Balle.

Enfin, il y a Marli. Le livre en entier est une gigantesque déclaration d’amour à Marli Renfro. Comme dans le film Laura, l’enquêteur-écrivain tombe amoureux de l’objet de son enquête: une femme assassinée. Ce livre est l’histoire de Marli, une femme belle, intelligente, sympathique, déterminée et farouchement libre. Le lecteur tombe amoureux d’elle à son tour. On a l’impression de bien la connaître. A travers son parcours, Graysmith rend hommage à toutes ces jeunes filles des 60′s, éprises de liberté et de réussite. Des femmes comme Marli Renfro ont beaucoup fait pour la libération sexuelle des années 60 et 70. Mais le chemin de Marli est aussi marqué par le crime. Elle est (faussement) assassinée dans une douche; sans le savoir, elle vit à deux pas d’un tueur qu’elle ne rencontrera jamais et 28 ans plus tard, elle mourra assassinée par un simple réparateur de 44 ans, lui aussi tueur en série. Malgré la libération des mœurs, la violence des hommes envers les femmes est toujours présente. Le fantôme de Norman Bates rode encore. Graysmith rend un autre hommage: un hommage à toutes ces femmes assassinées et dont, pour certaines, les crimes sont restés impunis. C’est la voix de ses femmes qui obsèdent Graysmith, tout comme elle a obsédé l’écrivain James Ellroy avant lui (le livre lui est dédié), dont la mère avait assassinée en 1959.

Précis, passionnant, romanesque, parfois drôle, parfois tragique, La Fille Derrière Le Rideau De Douche est un livre qu’on ne lâche pas avant sa conclusion. D’autant que l’auteur y fait une surprenante découverte…. Note: 18/20

The Girl In Alfred Hitchcock’s Shower (2010), de Robert Graysmith, éditions Denoël (2014), 373 pages

 

Marli Renfro

Marli Renfro

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