» Catégorie : Lecture
LES REVENANTS-A l’ombre des jeunes filles en pleurs
Commentaires » 0Il est des romans assez durs à résumer. C’est le cas des Revenants (The Raising, en anglais) de l’américaine Laura Kasischke. Sachez seulement que l’action se situe dans un campus universitaire de la Nouvelle-Angleterre, aux Etats-Unis, qu’il est question d’un accident de voiture dans lequelle une étudiante, Nicole Werner, est décédée et des conséquences et des répercussions de cet accident sur une poignée de personnages: le petit ami de Nicole et son colocataire, une prof d’anthropologie, une prof de musique, la colocataire et meilleure amie de Nicole,… D’autant que certains affirment voir le fantôme de Nicole, après son accident. Et puis cette université semble posséder de lourds secrets…
Au départ, on s’attend à une ghost story classique. On aurait tort. Le roman s’avère fort différent. La construction est habile: on navigue, d’un chapitre à l’autre, entre deux périodes (avant et après l’accident). Les personnages semblent donc différents d’un chapitre à l’autre. Il y a un décalage subtil qui s’opère dans l’esprit du lecteur et qui renforce le plaisir de la lecture. On est un peu perdu au début, mais on s’habitue vite. Cela sert complètement l’histoire. Le suspens est trés bien entretenu. Kasischke distille de l’étrangeté et de l’inquiétude tout au long de son livre. On sent que quelque chose ne va pas. Et cela entretient le malaise.
L’écriture de Laura Kasischke est précise, juste et, par moments, poétique . Par petites touches subtiles, elle nous dépeint des instants de grâce ou plus sombres avec une utilisation judicieuse de métaphores ou d’images poétiques (Kasischke est aussi une poétesse reconnue) qui nous atteignent en plein coeur. Les personnages sont remarquablements campés. Il se dégage d’eux un sentiment de vérité et d’humanité fort. On ressent (et comprend) pleinement leurs peines, leurs doutes ou leurs joies. A ce niveau-là, c’est du grand art!
La trame de l’histoire est prenante à souhait. Laura Kasischke en profite pour aborder des thèmes intéressants: la place de la femme dans la société, le secret, la rumeur, l’amour, la mort,le deuil, l’absence de l’autre,… C’est assez rare dans un roman mettant en scène de jeunes étudiants. Ici la psychologie des personnages et les thématiques abordées élèvent ce roman au dessus du lot.
Il y a quelque chose qui cloche à l’université de Godwin’s Hall. Cela a peut-être à voir avec cette étrange sororité d’étudiantes, Omega Teta Thau. Ce secret, le lecteur est avide de le connaître, ce qui fait que la lecture est passionnante. Mais c’est là que se niche les deux grandes faiblesses du roman. En premier lieu, l’auteur interrompt trop souvent l’action avec des appartés psychologiques sur l’état d’esprit ou le passé de ses personnages. Au début, ça amène du sens. Mais rapidement, on trépigne pour savoir la suite. Cela ralentit inutilement l’intrigue.
Une intrigue qui connait un dénouement un peu décevant. Sans trop en dire, l’auteur nous laisse entrevoir la vérité mais ne confirme pas. On reste dans le flou. Moi, je veux bien qu’on distille un parfum de paranoïa et de lègende urbaine mais après 589 pages, c’est assez frustrant! En plus, l’auteur se fend d’un épilogue, situé 15 ans après l’intrigue, inutile et franchement mal fichu. Sauf pour les derniers paragraphes, trés émouvants.
En bref, un roman étrange, entêtant et émouvant mais qui décevra un peu les amateurs de suspens et de fantastique. On est passé à deux doigts de l’excellence! Note: 13/20
Les Revenants (The Raising) de Laura Kasischke, Christian Bourgois éditeur, 2011
TOYER-Tuer n’est jouer
Commentaires » 0
Toyer (le Joueur, en français) est un tueur en série qui sévit à Los Angeles. Il a déjà 9 victimes à son actif: 9 jeune femmes qu’il n’a pas violées, qu’il n’a pas tuées mais qu’il a plongées dans le coma, les transformant en légumes pour le reste de leurs jours. Le Docteur Maude Garance est la physiatre (et non pas psychiatre!) qui s’occuppe de ces « patientes » au Centre Kipness. Elle est veuve, séduisante et hait Toyer pour ce qu’il a fait à ses victimes. Sara Smith est journaliste à l’Herald. Elle enquête sur Toyer et cherche LE scoop. Elle va proposer à Maude une association pour stopper le monstre. Pendant ce temps-là, Telen Gacey, une jeune aspirante actrice s’installe à L.A. Le chemin de ces trois femmes va croiser celui de Toyer.
Voilà certainement le roman de « serial-killer » le plus brillant, tordu et dérangeant depuis le Dragon Rouge de Thomas Harris. Il est dû à Gardner McKay. Un type trés éclectique:skipper, éleveur de lions, sculpteur, animateur de radio, acteur ( il a joué le Capitaine Troy dans la série Aventures dans les îles) et écrivain! Toyer a été publié en 1998 aux U.S.A et seulement l’année dernière en France! Un retard fort dommageable vu que McKay est décédé en 2001, à l’âge de 69 ans. Enfin, mieux vaut tard que jamais!
L’histoire est passionnante. Les 760 pages se lisent toutes seules. On ne s’ennuie jamais. Le suspens est constant, pas une seule baisse de rythme. Mais ce n’est pas un thriller traditionnel. Oh, non! Déjà, c’est le portrait le plus intime et fidèle d’un tueur en série qu’on ai lu depuis belle lurette. La plongée directe et totale dans l’esprit d’un détraqué. On saura tout de Toyer. Son trauma (bouleversant) qui le pousse à tuer, ses névroses, ses doutes et…son amour. McKay nous balance son identité à la moitié du livre. Mais le suspens est ailleurs. Et l’histoire emprunte des routes sombres, mal éclairées et originales.
C’est une danse de mort et de séduction entre Toyer et le docteur Garance. Fascination, répulsion, amour, haine. Un combat ou le plus déterminé et retors n’est pas forcement celui qu’on croit. Cela culminera lors du final, hallucinant de tension, qui s’étire sur prés de 200 pages! Un véritable miracle narratif. Et un voyage dont on ne sort pas indemme.
Le style de McKay est hallucinant. On croirait du James Ellroy: rapide, sec, nerveux et précis comme une lame de scalpel. Il rentre dans la psyché de ses personnages et nous livre leurs pensées les plus intimes. Du voyeurisme littéraire. D’ailleurs le voyeurisme est un thème central du roman, Toyer épiant ses futures victimes dans leur intimité. Quand on sait que Brian DePalma, autre grand adepte du voyeurisme, planche sur une adaptation ciné du bouquin, on salive d’avance tant ce bouquin est fait pour lui!
Enfin, c’est un roman trés sexuel. Le sexe y est trés important: fantasmes, passages à l’actes brutaux mais aussi romance et passion. Parfois, c’est trés indécent. Si vous êtes prude, passez votre chemin! Ah oui, le lectorat de Marc Lévy va tirer la tronche, c’est sûr! McKay n’hésite pas à tordre le cou aux clichés, en montrant, par exemple, une héroïne que son veuvage a frustré sexuellement. DePalma étant aussi un obsédé sexuel (dans ses films, hein! Je ne me permettrais pas sinon!), on attend son adaptation de pied ferme!
Toyer est une bombe. Un bouquin monstrueux qui, tel Le Dahlia Noir de James Ellroy, vous ravage le coeur et l’esprit. Note: 17/20
Toyer de Garner McKay, Le Cherche Midi éditeur, 2011
LA MAISON DE SOIE-The game is afoot!
Commentaires » 0
Voici une nouvelle histoire « officielle » de Sherlock Holmes. Oui, on emploie le terme « officielle » car depuis la mort du créateur de Holmes, Sir Arthur Conan Doyle, il y a eu des nouvelles histoires « officieuses ». La différence est que l’auteur de La Maison de Soie, Anthony Horowitz, créateur de la série des Alex Rider, a obtenu l’autorisation et la bénédiction des ayants-droits de Conan Doyle pour écrire ce nouvel opus holmésien. On pourrait donc le classer dans le Canon (c’est à dire les histoires de Sherlock Holmes écrites par Conan Doyle en opposition aux récits apocryphes écrits par d’autres, après sa mort). Mais c’est une hérésie que je ne commettrai pas en tant qu’holmésien amateur! Au passage, il est curieux de voir que les héritiers se décident enfin à « parrainer » et « autoriser » une nouvelle histoire alors que ça fait un demi-siècle que d’autres le font, souvent avec réussite. Mystère, mystère…
Cette histoire inédite, relatée of course par le docteur Watson, se déroule en 1890. Elle commence par l’arrivée d’un marchand d’art au 221b Baker Street, Edmond Carstairs, qui vient consulter Holmes pour une affaire. Mais en révéler plus serait criminel de ma part, d’autant que l’histoire est plus complexe que de prime abord.
Après m’être tartiné depuis quelques temps des pastiches homésiens ratés, tels Le Secrétaire Italien et un autre (écrit par un auteur italien) dont j’ai oublié le titre (c’est dire!), j’ai commencé la lecture de La Maison de Soie avec méfiance. Mais j’avais tort car c’est une réussite complète!
Horowitz gagne sur tous les plans. L’histoire est bien agencée, le suspense omniprésent, les personnages sont tous admirablement dépeints et la révélation finale est à la hauteur de tout ce qui a précédé. Bref, d’un point de vue narratif, c’est réussi! Mais tout cela ne serait rien sans le style. Et avec un certain brio, Horowitz retrouve le style de Conan Doyle mais sans le singer bêtement. C’est toute la force de l’auteur. En plus, l’Angleterre Victorienne est admirablement décrite (on s’y croirait!) et le fond social (tels la misère des bas-fonds londoniens) est trés bien rendu. Encore une fois, félicitations à l’auteur.
Horowitz a parfaitement bien intégré la mythologie holmésienne. Les rapports Holmes/Watson sonnent juste tout comme les déductions et le caractère du détective. On retrouve avec plaisir l’inspecteur Lestrade, Mycroft Holmes (géniale discussion entre lui et son frère où avec leur art de l’observation, chacun déduit ce que l’autre a fait récemment) et les Irréguliers de Baker Street (les gamins des rues employés par Holmes) qui jouent un rôle important dans cette aventure. Et là Horowitz introduit de l’émotion et beaucoup de noirceur. Car il est bien sombre le secret de La Maison de Soie… L’horreur à laquelle feront face Holmes et Watson les traumatisera à jamais.
Enfin, il y a aussi un personnage qui n’apparaît que dans un chapitre, un personnage amené à jouer un rôle important dans le futur de Holmes. Le nouvel éclairage sur ce personnage est trés réussi tout comme la scène où il apparaît: un souper mystérieux et trés tendu. Mais chut!
Bref, les fans de Sherlock Holmes se délecteront de ce roman. En espérant que Horowitz se repenche un jour sur le cas de Holmes (il y a une allusion à Jack l’Eventreur)! Note: 16/20
La Maison de Soie (The Soalk House), éditions Calamnn-Lévy, 2011
P.S: le premier épisode de la saison 2 de Sherlock déchire! Vivement la semaine prochaine!
JUSQU’A LA FOLIE-Liaison fatale
Commentaires » 0En 2009, un nouveau talent du thriller américain nous était révélé. Son nom: Jesse Kellerman. Son crime (parfait): Les Visages. Un bouquin incroyable entre tragédie familiale, rédemption et histoire de serial-killer. Dans l’univers codifié du suspense littéraire, Kellerman apportait du sang neuf. Il est, avec R.J Ellory (un génie), l’un des nouveaux écrivains de polar sur lesquels il va falloir compter. On attendait la suite avec impatience.
La suite? Jusqu’à la Folie (Trouble en anglais). Mais, et c’est là la première surprise, ce roman a été publié 2 ans avant Les Visages. Il a fallu le succès de ce dernier pour que les éditeurs français daignent traduire le reste de son oeuvre. Car Kellerman est un dangereux récidiviste. Il avait déjà frappé.
L’histoire est celle d’un jeune étudiant en médecine, Jonah. Il vit et poursuit des études de médecine à New-York. Il est en stage en chirurgie gastrique. Il est un peu cynique et développe une sorte de calme et de froideur pour endurer ce stage assez éprouvant. Une nuit, il sauve une femme d’une agression, la jolie Eve. Il tue son agresseur, en légitime défense. Eve lui est trés reconnaissante. Ils se reverront, tomberont amoureux…et l’enfer va s’abattre dans la vie de Jonah.
Que ceux qui s’attendent à une histoire similaire à celle des Visages, que ceux qui s’attendent à une histoire avec des rebondissements toutes les pages, que ceux qui s’attendent à croiser un tueur en série, tous ceux-là, passaient votre chemin. Parce que Kellerman nous propose autre chose, preuve de la diversité de son talent: une plongée dans la folie et plus exactement l’étude d’un cas pathologique. Car Jonah, en sauvant Eve, est tombé sur la mauvaise personne. Une cinglée, une vraie.
Et Kellerman va prendre son temps pour faire monter la sauce. Il nous décrit la vie de Jonah avec tellement de justesse qu’on croirait que c’est de lui-même qu’il parle. Jonah, prototype d’une jeunesse cynique, qui s’amendera tout au long du récit et deviendra plus humain au terme de cette histoire. A moins qu’il ne soit trop tard pour lui…Ce qui ont lu Les Visages, verront là une ressemblance entre les héros de ses deux romans (même détachement apparent et même humanisation progressive). On s’attache à Jonah. On lui découvre des fêlures. Sa relation avec son ancienne petite amie Hannah, par exemple. Un personnage et une situation bouleversants. Tous les personnages secondaires sont admirablement décrits et crédibles (le père d’Hannah, la soeur de Jonah, son avocat, son colocataire Lance qui introduit un humour bienvenue). Le style de Kellerman est à la fois alerte, précis, minutieux, parfois lyrique mais toujours juste. On prend le temps de découvrir Jonah et son entourage. Et puis tout se dérègle, progressivement.
La violence n’est pas éludée. Kellerman utilise le gore et sait nous retourner l’estomac. La description du service de chirurgie et son mode de fonctionnement est à la fois repoussante et fascinante. On espère une chose: ne jamais avoir besoin d’y aller. Et toujours ce sens du détail qui fait mouche: le personnel soignant qui se moque de l’anatomie des patients endormis qui passent au bloc, par exemple.
Et puis il y a le service pédopsychiatrie où Jonah poursuivra son stage. Au contact d’enfants malheureux, il fera preuve de plus d’empathie, même si ces rapports avec Hannah abondaient déjà dans ce sens, mais peut-être plus par obligation morale de la part de Jonah. Mais Eve est là et va piétiner sa vie.
Ah, Eve! Je ne dirai rien de plus, je vous laisse faire connaissance avec elle. Mais sa psychose peut aller loin et Kellerman, habile, sait doser les effets à son sujet. On a l’impression, au début, qu’elle est gentiment toquée. C’est bien pire. Et l’angoisse monte progressivement pour Jonah et pour le lecteur. Kellerman frappe toujours quand on ne l’attend pas. Eve est un personnage qu’on n’oublie pas. Un personnage qui confond amour et destruction, inadapté à notre monde, ou alors c’est notre monde qui est inadapté à elle. On pourrait presque l’aimer. C’est un personnage fascinant mais dangereux…pour elle et les autres.
En tout cas, voilà un formidable roman. De part son style, ses personnages, sa description des étas d’âme et de la folie, il rappelle furieusement la façon d’écrire de Stephen King. Vivement le prochain crime littéraire de Jesse Kellerman! Note: 17/20
Jusqu’à la folie de Jesse Kellerman, éditions des Deux Terres, octobre 2011
TOI SEUL-Le complot de la plage
Commentaires » 0Il existe une catégorie de romans spécialement écrits pour les scéances de bronzage à la plage. Ces romans sont généralement écrit dans une langue trés simple et raconte une histoire pas trop « prise de tête ». En lisant le premier roman de David Rosenfelt, Toi Seul, j’ai eu cette sensation, sauf que j’étais pas en train de bronzer à la plage.
L’histoire est celle de Tim Wallace, dont l’épouse disparait en mer dans l’explosion de leur bateau. La police le soupçonne, à tort, mais doit classer l’affaire, faute de preuves. Quelques mois plus tard, lors d’une soirée du Nouvel-An, un inconnu aborde Tim. Il est saoûl (l’inconnu, pas Tim). Il lui déclare avoir tuer une femme, lui indique où il a enterré le cadavre et disparait. Le lendemain, en se réveillant, Tim se demande si on lui a fait une mauvaise blague. Il décide d’enquêter.
Que ceux qui s’attendent à un suspens domestique diabolique ou à une histoire de serial-killer machiavélique passent leur chemin! L’auteur se débarrasse rapidement de tout suspens, en nous présentant la chose comme un complot contre le pauvre Tim, un complot politique car Tim travaille à la sécurité de Bâtiments fédéraux. Voilà, encore du déjà-vu! Le postulat de départ, intéressant, ne tient pas trente pages! Dès lors, l’histoire enquille les clichés et les situations convenues (tueur à gage mystérieux et psychopathe, homme politique corrompu, homme d’affaire sans scrupule, etc) et s’enlise dans la routine d’un thriller bas de gamme, tout en lorgnant du côté d’Harlan Coben.
Les rebondissements sont prévisibles à souhait et le frisson, chez le lecteur, inexistant. Le pire, c’est ce style simpliste et plat qui annule toute tension dramatique. Les personnages sont des clichés ambulants (le flic pugnace, le meilleur ami dévoué, la cruche de service). Rosenfelt essaie de leur donner de l’épaisseur mais échoue lamentablement.
Le pire est atteint lors d’un climax final bâclé et d’un épilogue consternant de 2 pages, évacué à la « va comme je te pousse ». Et puis, il ya cette tournure stylisque du début et de la fin écrite à la première personne quand bien même, tout le roman est écrit à la troisième. Sensée refléter le témoignage d’un témoin-mystère du drame (mais on saura qui c’est à la fin), cette figure de style est hautement improbable car comment ce témoin peut-il décrire les pensées du tueur à gage? Ou nous décrire le big boss du complot sur son yacht?
Mal écrit, peu passionnnant, ne réclamant pas un trés gros effort intellectuel, Toi Seul se lit distraitement. Un vrai roman de page! Note:05/20
Toi Seul de David Rosenfelt, Le Cherche Midi , 2011