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LES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES (1892)-Arthur et Sherlock
Commentaires » 0Sir Arthur Conan Doyle (1859-1930) a consacré quarante années à son personnage fétiche de détective-conseil, le célèbre Sherlock Holmes. De 1887 à 1927, il lui a dédié quatre romans et cinquante-six nouvelles, avec une interruption de prés d’une décennie (1894-1902) et tout en écrivant d’autres romans, tels La Compagnie Blanche, Le Monde Perdu ou La Grande Ombre, ainsi que de nombreuses autres nouvelles. Mais c’est sans nul doute les enquêtes de Sherlock Holmes qui lui valent d’être connu dans le monde entier, et ce pour les siècles des siècles. Rarement personnage de fiction n’aura suscité un tel engouement et un tel phénomène, phénomène qui a même dépassé son auteur lui-même. Le public de l’époque, croyant que Holmes était un personnage réel, envoyait des lettres aux journaux qui publiaient ses aventures, afin de lui réclamer aide et assistance pour des problèmes personnels. Enfin, on ne compte plus les romans, les séries télévisés, les films, les bandes-dessinées, les parodies que Holmes a engendrés, depuis le décès de son créateur. Holmes est même devenu une discipline à part dans la littérature policière: l’holmeséologie. Les holmésiens sont des férus et des passionnés du personnage et pour eux, pas de doute, Holmes a vraiment existé, Conan Doyle n’étant que l’agent littéraire du docteur Watson. Non rassurez-vous, ils ne sont pas fous. Ce sont des gens sérieux qui s’amusent mais qui analysent tout ce qui a trait à leur personnage favori.
On divise couramment les œuvres littéraires sur Sherlock Holmes en deux catégories: le Canon et les apocryphes. Le Canon est l’ensemble des récits écrits par Conan Doyle, les apocryphes sont ceux écrits après sa mort par d’autres auteurs. Parmi les nouvelles du Canon, certaines sont plus connues que d’autres et certaines peuvent paraître un peu plus faibles. Alors quel roman ou quel recueil exprime le mieux ce qu’est l’essence de Sherlock Holmes et ce qui fait le talent de Conan Doyle? Le premier recueil des enquêtes de Holmes, The Adventures of Sherlock Holmes, s’impose d’emblée.
S’il s’agit du premier recueil de nouvelles sur Holmes, ce n’est pas la première apparition du détective consultant. En effet, Holmes est apparu pour la première fois dans Une Etude en Rouge, paru dans le Beeton’s Christmas Annual, en 1887. Doyle, à l’époque jeune marié et jeune médecin ophtalmologiste qui s’installe, tire un peu le diable par la queue. Comme il aime écrire, il propose des récits historiques (l’Histoire est sa grande passion, plus que le crime) aux journaux et aux éditeurs qui les refusent car cela ne se vend pas. Admirateur des romans policiers de Emile Gaboriau mettant en scène l’inspecteur Lecocq de la Sûreté Générale et des trois enquêtes du chevalier Dupin écrites par Edgar Allan Poe, Doyle décide de se lancer dans la littérature policière, plus commerciale et plus rentable que le Moyen-Age des chevaliers. Il crée donc Sherlock Holmes et le docteur John H. Watson, son assistant et biographe. Une Etude Rouge relate donc leur rencontre et propose un meurtre à élucider, sur fond d’une terrible histoire de vengeance vieille de plusieurs années. Les méthodes de Holmes sont neuves et s’appuient sur l’observation minutieuse des faits et des indices et de la déduction logique. Holmes est ainsi capable de déduire toute l’histoire d’un individu en observant simplement ses habits, ses mains, ses chaussures, sa coiffure, etc. Une Etude en Rouge, hélas, ne convainc pas le public et demeure un échec. Toutefois, trois ans plus tard, en 1890, Doyle retente sa chance avec un deuxième roman sur une enquête de Holmes: Le Signe des Quatre. Et là, c’est le succès, inespéré et salvateur sur le plan financier (la carrière médicale de Doyle, qu’il finira par abandonner, piétine et il n’arrive pas à placer ses autres écrits). L’engouement du public est tel que le Strand Magazine commande une série d’histoires de Sherlock Holmes pour ses lecteurs. Elles seront illustrées par Sidney Paget, qui coiffera Holmes du célèbre deerstalker, et seront publiées dans le Strand entre juillet 1891 et juin 1892. Elles paraîtront ensuite en recueil, fin 1892.
Le présent recueil est composé de douze nouvelles: Un Scandale en Bohême, La Ligue des Rouquins, Une affaire d’identité, Le mystère du Val Boscombe, Les cinq pépins d’orange, L’homme à la lèvre tordue, L’escarboucle bleue, Le ruban moucheté, Le pouce de l’ingénieur, Un aristocrate célibataire, Le diadème de béryls, Les Hêtres Rouges. Certaines d’entre elles sont devenues de véritables classiques (Un scandale en Bohême, La Ligue des Rouquins ou Le ruban moucheté). Chez le grand public, comme chez les holmésiens, on cite souvent l’une ou l’autre de ces douze histoires quand on veut lister ses enquêtes préférées de Holmes. Le fait est que Conan Doyle brasse assez large parmi les types de crimes: meurtres, vols, chantage, disparitions, menaces de mort. Seules trois de ces nouvelles concernent des meurtres ou des morts violentes. Certaines ne sont juste que des petits faits divers, à priori sans intérêt, mais qui donne à Holmes l’occasion de faire la démonstration de ses talents. Dans Une Affaire d’identité ou L’homme à la lèvre tordue, aucun crime, au sens juridique, n’est commis mais les problèmes posés et les solutions apportées par Holmes sont astucieux. Doyle montre ici la banalité du quotidien et des faits divers et, bien sûr, l’incroyable banalité des humains soumis à l’envie, à la peur, à la jalousie. Il s’agit avant tout d’une littérature de faits divers. Néanmoins, au détour de certains passages, on y découvre parfois toute la bassesse dont peut faire preuve l’être humain.
La cruauté de l’Homme semble sans limite pour Conan Doyle (Le ruban moucheté, Une affaire d’identité, Les Hêtres Rouges). Certaines machinations criminelles qu’il invente font froid dans le dos. Sur le plan social, Doyle s’interroge aussi sur le triste sort réservé aux femmes par la société anglaise victorienne. L’Angleterre a beau avoir une Reine, elle est affreusement misogyne. Dans Les Hêtres Rouges, il s’interroge même sur l’hérédité et sur l’influence d’un certain milieu sur un enfant. Doyle part toujours de prémices alléchants (un fiancé disparaît le matin de ses noces, une mariée disparaît le jour de ses noces, une jeune femme se sent menacée par quelque chose d’indéfinissable dans sa propre chambre à coucher, un jeune homme reçoit cinq pépins d’orange dans une enveloppe et voit sa vie menacée, une photo compromettante doit être récupérée, un meurtre est commis dans la campagne anglaise, une oie de Noël renferme un bien beau trésor, etc). C’est ce qui fait que ces histoires sont devenues des classiques. Elles débouchent parfois sur un dénouement spectaculaire, parfois sur une résolution plus banale. Mais le point de départ est toujours prenant et addictif et le lecteur est passionné jusqu’à la résolution de l’affaire.
Le style de Conan Doyle, mainte fois imité, est précis et direct. Il a ce don particulier de tout de suite nous faire entrer dans une certaine atmosphère, qu’elle soit tragique ou plus picaresque. Jusque dans les détails, Doyle soigne son récit. Comment oublier la sinistre demeure des Roylott de Stoke Moran? L’attente insupportable dans la chambre à coucher de la même demeure? Comment oublier le piège mortel dont se sort in extrémis le jeune ingénieur Victor Haterley? Comment oublier la mort violente et mystérieuse du colonel Openshaw? Ou les Hêtres Rouges, bâtisse qui dissimule un secret inavouable? Doyle arrive à faire peur et à susciter le malaise chez le lecteur. Et il sait l’attraper dès le début. Chaque commencement de ses nouvelles est inoubliable. L’exemple le plus frappant? Les Cinq pépins d’Orange et sa tempête d’équinoxe synonyme de danger, qui amène la malédiction Openshaw chez Holmes et Watson. Mais l’humour a aussi sa place. Holmes pratique un humour noir salvateur et se moque de la police officielle. Mais derrière le logicien froid et le cocaïnomane invétéré, apparaît parfois un homme beaucoup plus humain et compréhensif qu’il n’y parait. Et même un philosophe existentialiste….mais misanthrope! Curieusement, il se montre beaucoup moins mysogine que sa réputation le laisse croire. Il accorde ainsi beaucoup de crédit à l’intuition féminine. Dans Un Scandale en Bohême, il est battu par une femme, Irene Adler, une femme qu’il ne cessera pas d’admirer (sans être amoureux pour autant).
Les Aventures de Sherlock Holmes est donc un recueil indispensable pour decouvrir ou redécouvrir Sherlock Holmes. On y rit (L’escarboucle bleue avec son atmosphère de conte de Noël à la Dickens)) et on y frissonne (Le Ruban moucheté, histoire proprement effrayante). On y croise aussi des dangers venus de l’autre côté de l’Océan. On peut enfin y réfléchir sur la société et la nature humaine. Les histoires de Conan Doyle sont toujours d’actualité, même maintenant. Car, comme dit Holmes, « tout ce qui est, a été. Il n’y a rien de neuf sous le soleil. » Pour Doyle, ses histoires seront synonymes de consécration et de succés. Néanmoins, on sent poindre l’agacement du romancier historique vis à vis de cette littérature à sensations. Dans Les Hêtres Rouges, Holmes critique la relation écrite de ses enquêtes par Watson. Doyle, visiblement, aspirait à autre chose et commençait à se lasser de son détective. A la fin des Hêtres Rouges, Watson trouve que Holmes a été décevant sur cette enquête. Watson et Doyle ne sont pas très reconnaissants à Holmes qui les a sortis de l’anonymat! Doyle ira encore plus loin dans le recueil suivant….Mais ceci est une autre histoire!
SIGNES (2002)-Le créateur
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Résumé: Graham Hess (Mel Gibson) est un ancien pasteur ayant perdu sa foi en Dieu. Depuis le décès de sa femme, six mois plus tôt, il vit avec ses deux enfants, Morgan (Rory Culkin) et Bo (Abigail Breslin). Son frère cadet Merrill (Joaquin Phoenix) a décidé d’aller habiter avec lui pour l’aider. Un matin, la petite famille découvre stupéfaite qu’une partie de leurs champs de maïs a été vandalisée d’une bien étrange façon: les plants de maïs ont été pliés et semblent former d’étranges signes vus du ciel. En regardant les infos, les Hess découvrent que ce phénomène est mondial. Canular ou réelle menace? Dans sa petite maison de la campagne pennsylvanienne, Graham va devoir protéger sa famille. Il devra aussi faire face à ses propres démons personnels.
ATTENTION, NE LIRE QU’APRES AVOIR VU LE FILM!
Signes est le quatrième long-métrage de M. Night Shyamalan. Après le succès de Sixième Sens (1999)et Incassable (2000), il poursuit dans la veine du thriller fantastique. Jusqu’à La Jeune Fille De L’Eau (2006), les films de ce réalisateur obéissent au même schéma narratif: un twist final révèle que le film que nous regardions était double, qu’il y avait quelque chose que nous ne voyions pas mais qui était là. Le secret principal de Sixième Sens ne concerne pas le gamin mais le personnage de Bruce Willis, celui d’Incassable ne concerne pas le personnage principal mais celui de Samuel L. Jackson, celui du Village (2004) ne concerne pas la nature des créatures mystérieuses mais le village lui-même, celui de La Jeune Fille De L’Eau ne concerne pas la jolie naïade mais les habitants de l’immeuble où elle a atterri. Il y a toujours une autre histoire parallèle à l’intrigue principale. Signes ne fait pas exception à la règle. Son secret ne concerne pas la nature de la menace mais le personnage de Mel Gibson qui détient, sans le savoir, une information capitale pour la survie des siens.
A l’époque de la sortie de Signes, Shyamalan est au zénith de sa popularité, tant vis à vis du public que de la critique. Signes, bien qu’il soit un immense carton mondial et le dernier vrai grand succès de son auteur au box-office, est le film qui va amorcer son « déclin » et va marquer une fracture entre lui et le grand public. C’est le film du divorce. Il y a désormais, après la quasi unanimité autour de Sixième Sens et Incassable, deux camps: les pro et les anti-Shyamalan. Au fil des années, les antis deviennent plus nombreux, bien que le réalisateur conserve un solide socle de fans de la première heure. Pourquoi Signes a t’il marqué une rupture dans la relation que Shyamalan entretenait avec le public? Peut-être parce que le film n’était pas ce qu’il prétendait être, soit un film de trouille sur fond d’invasion extraterrestre? Peut-être que le public attendait un Sixième Sens bis? Ou un twist final aussi surprenant que dans ce dernier ou Incassable? Peut-être un peu de tout ça. Une majorité du grand public a été déçu par Signes. Mais c’est avec Le Village, deux ans plus tard, que les choses se gâteront encore plus pour Shyamalan.
Pourtant du début à la fin, et comme dans Sixième Sens et Incassable, Signes témoigne d’une grande maîtrise formelle et d’un solide talent d’écriture. Shyamalan écrit ses propres scénarios et offre toujours des histoires originales et assez surprenantes. Il est aussi très doué pour nous décrire des personnages forts et terriblement humains. Ici, c’est Graham Hess (Mel Gibson, sobre et bouleversant) auquel le spectateur s’identifie. C’est un homme en colère contre Dieu car ce dernier lui a pris sa femme. Il a quitté son ministère et semble mal à l’aise quand les gens continuent à l’appeler « mon père ». Il refuse de dire les prières avant chaque repas, ce qui nous vaut une magnifique scène juste avant la fin du film où les personnages laissent enfin libre cours à leur chagrin, pour mieux commencer à faire leur deuil. Les relations entre Graham et ses deux enfants sont touchantes. Joaquin Phoenix apporte aussi beaucoup de sensibilité et de gaucherie à son personnage, une ex-star du baseball au chômage qui se sent inutile. Une discussion entre les deux frères, au sujet de la foi et du destin, reste l’une des plus belles séquences écrites par Shyamalan. On y sent beaucoup d’émotion, ainsi qu’une pointe d’humour malicieux dont est coutumier le cinéaste d’origine indienne (ici, l’ « incident » du cinéma relaté par Joaquin Phoenix).
La réalisation de Shyamalan est, une fois de plus, inspirée. Le cinéaste a un véritable don pour faire peur avec trois fois rien: une porte fermée, du vent, des végétaux qui bougent, un chien qui aboie, une ombre sous une porte, une silhouette dans la nuit, etc. Shyamalan s’inscrit ici dans une tradition filmique héritée de réalisateurs tels que Hitchcock ou Spielberg (deux cinéastes qu’il vénère d’ailleurs). Shyamalan ne montre jamais de plein pied, il préfère suggérer. Il utilise, avec talent, tous les ressorts possibles pour cela: reflets, réaction des personnages filmées plutôt que ce qui fait peur, scène peu éclairée (juste une lampe torche dans une des scènes de Signes), mouvement de caméra déplaçant le regard du spectateur pendant que la menace reste en fond sonore, filmer un mur avec un léger travelling latéral pour suggérer les déplacements de quelque chose derrière, les doigts d’une main passant sous une porte, une main passant par un soupirail… Les mouvements de caméra sont fluides et précis. Shyamalan n’oublie pas non plus ses personnages qu’il aime bien filmer en plan serré ou isolés dans le cadre pour accentuer l’angoisse. Bref, la « méthode » Shyamalan marche du tonnerre. La scène de la cave dans ce film est, par exemple, assez anxiogène! Au passage, on peut aussi y voir un clin d’oeil à La Nuit Des Morts-Vivants.
Mais c’est surtout d’un point de vue thématique que le film est surprenant. Bien sûr, comme vous le savez, les signes du titre ne sont pas que ceux laissés par des extraterrestres malintentionnés, mais aussi ceux du destin et du hasard. Lors du twist final, Graham se rend compte que sa femme, à l’agonie, a eu une vision de ce qui attendait sa famille, six mois plus tard. En s’en souvenant et en l’interprétant, Graham sauve la vie de son fils. L’accident de sa femme n’est pas seulement un drame malheureux, c’est aussi un évènement nécessaire dans l’ordre des choses. Graham retrouvera, grâce à cela, sa foi. Car Signes n’est pas l’histoire d’une invasion extraterrestre, c’est l’histoire d’un homme qui retrouve la foi et revit, faisant la paix avec lui-même. Mais il y a quelque chose d’encore plus intriguant dans Signes. Et cela est du à un des personnages secondaires du film.
Ce personnage s’appelle Ray. C’est le vétérinaire de la petite ville où habite Graham. C’est aussi l’homme qui a causé la mort de sa femme. En effet, Ray s’est endormi quelques secondes au volant et a percuté la femme de Graham qui marchait au bord de la route. Lors d’une scène émouvante, il fait part de ses regrets et de son sentiment de culpabilité à Graham qui lui pardonne, très ému. Ray s’accuse d’avoir trop travaillé ce jour-là et de s’être endormi au volant, écrasé de fatigue. Il lui dit aussi que s’il s’était endormi à un autre moment, jamais cela ne serait arrivé. Ray s’endort donc au moment où son chemin va croiser la femme de Graham, du fait de cet accident elle a une vision qui permettra de sauver la vie de son fils, six mois plus tard. Tout était lié, tout semblait écrit. Mais là où Shyamalan fait fort, c’est en interprétant lui-même le personnage de Ray!
Nous avons donc l’auteur de Signes qui intervient lui-même dans son film. Et pour jouer qui? L’instrument du destin, celui qui est à l’origine du happy-end du film. La scène où il se « confesse » à Graham prend alors une autre dimension. Un personnage de fiction rencontre son créateur qui lui avoue avoir tué sa femme, sans le vouloir. « Parce que c’est comme ça que l’histoire m’est venue, je suis désolé. Là, je joue un personnage secondaire qui va te rappeler la mort de ta femme afin que cela entraîne un processus qui t’amène à te souvenir de ce qu’elle t’a dit ». En gros, c’est ça! Mais cela va encore plus loin! Ray lui indique qu’il a enfermé un alien dans son cellier et s’en va. Graham sera amené à lui couper deux doigts. Et cet alien, visiblement revanchard, sera celui qui menace son fils à la fin. En gros, Shyamalan indique à son héros: « Voilà, j’ai enfermé (donc créée) ce personnage uniquement pour qu’il serve à la fin du film, alors vas-y, va le voir. » Shyamalan, dans son propre film, se balade comme le créateur au milieu de sa création. Il se permet de disserter sur son rôle. C’est lui qui a imaginé la mort d’une femme et un alien enfermé pour avoir les éléments de sa fin qui vont mener son personnage principal à une forme de « rédemption ». Culoté! Dès lors, tous les signes du film viennent de son auteur, qui semble prévenir ses héros: « regarde ta fille qui entrepose les verres remplis d’une eau contaminée, regarde la batte de baseball, Merrill t’était plus un cogneur qu’un frappeur, l’asthme de ton fils c’est aussi une idée à moi pour lui sauver la mise, tout comme la mort de ta femme etc ».
Signes peut alors être vu comme une « métafiction », qui nous parle du processus de création chez un artiste. Je vous invite vivement à revoir les films de Shyamalan, et à y chercher tout ce qui parle de fiction et de création, surtout de Sixième Sens à La Jeune Fille de l’Eau. On a accusé Shyamalan, à partir de ce dernier, d’être devenu soudainement prétentieux. Alors oui, il l’était peut-être un peu mais alors, c’était depuis le début. Et surtout personne n’a su voir la portée de son œuvre….
Signes est donc l’un des films fantastiques les plus réussis et singuliers des années 2000. C’est aussi un film de son temps. L’un des premiers de l’ère post 11 septembre à réfléchir sur le rôle des médias et comment nous en devenons dépendants. Dans Signes, les personnages sont scotchés à leur télé et acceptent pour vrai tout ce qu’ils y voient. La première fois qu’on voit un alien en entier, c’est par le biais d’une vidéo amateur diffusée à la télé (la réaction de Joaquin Phoenix est hilarante!). Remarquable aussi de voir comment ce qui était jusque là une créature cathodique prend pied dans la réalité. L’alien final est d’abord révélé par son reflet sur l’écran de la télévision éteinte, avant de nous être dévoilé. Ce n’est pas une invasion extraterrestre, c’est une invasion télévisuelle au sein du foyer!
Enfin, le film s’ouvre sur une vue en trompe l’œil ( à travers une vitre) de la cour d’un jardin. C’est là qu’aura lieu la fin du film. Ensuite, le personnage de Mel Gibson s’éveille en criant. Aurait-il rêvé à la fin de son histoire, avant de l’oublier? A la fin, le même plan est répété mais la vitre est brisée. Manière de dire, pour Shyamalan: « Là aura lieu la fin du film » et « Maintenant, le film est terminé »?
Signs, de M. Night Shyamalan, avec Mel Gibson et Joaquin Phoenix, DVD et Blu-Ray chez Touchstone Entertainment
LE METEORE DE LA NUIT (1953)-L’enfer, c’est les autres
Commentaires » 0Une nuit d’été en Arizona. L’astronome John Putnam (Richard Carlson) et sa fiancée Ellen Fields (Barbara Rush) sont témoins de la chute d’un météore dans le désert. Ils se rendent sur les lieux. En descendant dans le cratère, John manque de périr dans un éboulement. Mais il est sûr d’avoir vu une sorte de vaisseau spatial, juste avant que ce dernier ne soit enseveli sous un amoncellement de pierres et de rochers. Personne ne le croit, sauf Ellen, mais elle le fait plus par fidélité que par conviction. Les jours suivants, d’étranges évènements se déroulent qui amènent John à se demander si des extra-terrestres ne se cacheraient pas aux abords de sa petite ville, voire parmi ses habitants. Passant pour un fou, il décide d’enquêter, aidé d’Ellen.
Attention! Il est conseillé de voir le film avant de lire ce qui suit.
It Came From Outter Space (titre original) est adapté de la nouvelle The Meteor de l’écrivain de SF Ray Bradbury (Fahrenheit 451, Chroniques Martiennes). Il s’agit du premier film fantastique réalisé par Jack Arnold pour le compte du studio Universal. Le réalisateur livrera ensuite des classiques comme Tarantula, L’Etrange Créature du Lac Noir ou L’Homme Qui Rétrécit. A l’origine, ce Météore de la Nuit était exploité en 3D. De nombreux effets de jaillissements divers émaillent le film et les spectateurs de l’époque en étaient impressionnés. Lors d’une projection, pendant la scène de l’éboulement, des fausses pierres en caoutchouc étaient même envoyées en direction du public! Le genre d’effets qu’un réalisateur comme William Castle saura exploiter par la suite. Malheureusement, le spectateur d’aujourd’hui, qui insère son DVD ou son Blu-Ray dans un lecteur, perd tous les effets 3D (jaillissements ou profondeur de champ). Néanmoins, même en version « plate », le film de Jack Arnold est loin d’être plat et s’impose comme l’une des meilleures séries B américaines des années 1950. Quant à Jack Arnold, il devient un modèle dans la catégorie des cinéastes tirant le meilleur parti d’un budget modeste.
Si vous avez vu le film, vous le savez: John Putnam n’est pas fou, il y avait bien des extra-terrestres dans le météore. Le film s’inscrit donc parfaitement dans le cadre d’une série B de l’époque, au sujet qui passionne les spectateurs d’alors: celui de l’invasion extra-terrestre (La Guerre Des Mondes sort la même année). Arnold livre un film certes court (77 minutes) mais redoutablement efficace. Tout y est: le héros idéaliste seul contre tous, sa jolie fiancée, les habitants hostiles de la ville, le shérif inefficace….et les méchants aliens. Tout ce qui fait le charme des séries B de l’époque est donc bien présent. Le style d’Arnold est parfait dans le genre, tout est cadré et monté au millimètre. Le suspense agit sur le spectateur, contrat rempli! Arnold s’autorise aussi des expérimentations réussies comme cette vue subjective de la caméra qui nous fait épouser le point de vue des extra-terrestres; elle renvoie à l’unique œil dont sont pourvus les créatures de l’espace. Les mouvements de caméra sont précis et élégants. Rien ne dépasse. Mais le film n’est pas qu’un film de studio calibré.
Les extra-terrestres peuvent prendre forme humaine et dupliquer les êtres humains qu’ils kidnappent. Inédit pour l’époque, ce gimmick sera repris quantité de fois dans d’autres film. Dans le film qui nous occupe, cela nous vaut des scènes étranges et bizarres. Des personnages sont mis face à leurs propres doubles, par exemple. Et comment oublier ces deux faux employés du téléphone qui déambulent comme des zombies et qui se cachent dans un couloir exigu, derrière une porte d’entrée? Quand le héros leur fait face, un malaise s’installe….Arnold installe une ambiance assez malsaine dans certaines scènes. Nous avons vu au début que le héros est partagé entre sa passion (l’astronomie) et son amour pour sa fiancée. Il n’arrive pas à s’engager avec elle et à lui demander de l’épouser. Il a l’impression que cela prendra sur son temps, sans doute. A la fin, inconsciemment, il fait son choix. Pour se défendre, il tue l’alien qui avait pris la forme de sa fiancée et continue son chemin vers le vaisseau, au fond d’une mine. Symboliquement, il a tué sa fiancée et choisit sa passion: l’astronomie. Mais une passion peut vite devenir un poison, si on s’y enferme et qu’on se coupe des autres. Le chef des extra-terrestres, qui fait face à John, a revêtu sa propre forme. John se retrouve donc face à une version de lui froide et deshumanisée qui ne semble préoccupée que de science et d’exploration spatiale. A la fin du film, John a retrouvé sa fiancée. Il sait qu’il l’aime et tient à elle. Mais il ne renonce pas à sa passion et regarde le ciel , en prédisant qu’ « ils » reviendront. Le dilemme de l’homme moderne partagé entre la vie au foyer et ses rêves secrets….
L’autre aspect intéressant du film, c’est qu’il est complètement à contre-courant de l’idéologie des films SF de l’époque. Nous sommes alors en plein maccarthysme et la chasse aux communistes (véritables ou simples sympathisants) est ouverte. Dans les films, la menace extra-terrestre, c’est le communisme qui veut envahir l’Amérique, c’est l’autre, cet être différent de nous avec ses idées bizarres…Dans le Météore de la Nuit, les extra-terrestres sont finalement pacifiques. Ce sont les humains qui se montrent hostiles face à l’inconnu, face à l’étranger. Tout ce que veulent les extra-terrestres, c’est trouver de quoi réparer leur vaisseau et repartir (une idée dont saura se souvenir J.J Abrams pour Super 8). Ils kidnappent des gens (qu’ils ne tuent pas) pour prendre leur forme et faire leurs petites occupations tranquilles. Leur chef le dit à John: ils sont trop différents et effraieraient les humains sous leur véritable forme. Car ils sont laids, selon nos critères (trapu, visqueux, avec un seul oeil bien globuleux). Et nous détestons ce qui est différent, ce qui ne répond pas à un idéal de beauté. Ce n’est pas tant le communisme qui dérange, à l’époque, que ce qui n’est pas dans la norme, ce qui n’est pas conforme à la société. A la fin du film, John doit empêcher un groupe d’hommes armés d’arriver au vaisseau, sinon, les extra-terrestre sauront obligés de se défendre et vu le niveau de leur technologie…
Jack Arnold était terrifié par le maccarthysme. Sans être lui-même communiste, il parle de « l’une des pires périodes » de son pays quand il l’évoque. Avec ses aliens pacifiques et son shérif benêt, jaloux (il est amoureux d’Ellen, donc jaloux de l’intellectuel et de l’idéaliste qu’est John) et porté sur la gâchette, on voit où va la préférence d’Arnold. Sous les dehors d’une simple bande SF du samedi soir, son film est beaucoup plus subtil qu’il n’y parait…
It Came From Outter Space, de Jack Arnold, Universal Video.
1953, c’est aussi l’année de Invaders From Mars et de La Guerre Des Mondes, sur un sujet similaire. Sauf que là, les extra-terrestres sont bien une menace…
LES DENTS DE LA MER (1975)-Eaux profondes
Commentaires » 0La petite station balnéaire d’Amity, quelque part sur la côte nord-est des Etats-Unis, est victime des attaques d’un grand requin blanc. Le shérif Brody (Roy Scheider) veut faire fermer les plages, ce que se refuse à faire la municipalité de la ville, plus préoccupée par l’argent qu’amène les touristes dans le tiroir-caisse. Il faudra plusieurs drames pour que Brody ait enfin toute latitude pour se débarrasser du squale. Il sera épaulé par l’océanographe Matt Hooper (Richard Dreyfuss), spécialiste des requins, et par Quint (Robert Shaw), un pêcheur qui a un vieux compte à régler avec les requins.
On ne présente plus Jaws (titre original du film, qui signifie « mâchoires » en anglais), immense succès de l’été 1975, premier film à atteindre la barre des 100 millions de dollars de recettes au box-office américain (ce qui en fait le premier blockbuster estival de l’histoire du cinéma), traumatisme mondial qui a terrifié les spectateurs au point de créer une véritable psychose sur les plages, film qui a véritablement lancé la carrière cinématographique de l’un des plus grands cinéastes mondiaux, Steven Spielberg, et qui a donc, bien involontairement, lancé la mode du blockbuster estival aux Etats-Unis, deux ans avant le Star Wars de George Lucas. Le succès sera tel que le film ne cessera jamais d’être copié, pour le meilleur (Pirahnas de Joe Dante) et pour le pire (La Mort au Large de Enzo G. Castellari), et que Universal mettra en chantier trois suites (1978, 1983 et 1987) dont la qualité ira decrescendo jusqu’au catastrophiquement nul (et hilarant) Les Dents de la Mer 4-La Revanche, réalisé par un Joseph Sargent qui s’en est mordu les doigts!
A l’heure où Blake Lively va appâter de ses formes le grand requin blanc, repenchons-nous sur le film culte de Spielberg, film matrice de l’attaque marine et du film de requins, qui, 41 ans après sa sortie, demeure un modèle indétrônable du genre. L’un des plus grands films d’horreur de tous les temps (si, si, j’insiste!) a bien failli boire la tasse lors de son tournage. Il serait long et fastidieux de revenir sur toutes les avanies du tournage (pour ceux qui voudraient en savoir plus, procurez-vous le hors-série Mad Movies sur la saga Jaws, en kiosques depuis début juillet), néanmoins certains points méritent d’être précisés. Tout d’abord, le film est adapté d’un roman de Peter Benchley, Jaws, paru en 1973. Le roman récolte, à sa parution, de mauvaises critiques et ne fait pas de grosses ventes. Mais, le bouche à oreille du public se met à fonctionner petit à petit jusqu’à l’immense carton de l’édition de poche. Universal achète les droits et commande un scénario à Peter Benchley. Peu au fait de l’écriture scénaristique (il l’avoue sans honte), il accepte que le scénario soit révisé par le scénariste Carl Gottlieb (qui officiera aussi sur les épisodes 2 et 3 de la saga Jaws). Universal cherche un réalisateur et jette son dévolu sur le réalisateur du cauchemardesque Duel (1971), téléfilm qui a terrorisé bon nombre d’automobilistes avec son camion fou. Jaws sera donc le deuxième long-métrage de cinéma du jeune Steven Spielberg (26 ans à l’époque) après le méconnu et sublime Sugarland Express (1974) qui a fait un véritable bide au box-office. Pour les effets spéciaux de Jaws, on construit plusieurs requins mécaniques qui semblent marcher à la perfection…jusqu’à ce qu’on les mette dans l’eau où ils sont victimes de pannes à répétitions (l’un d’eux coulera même à pic!). Spielberg, ne pouvant mettre en boîte le schocker horrifique sanglant qu’il envisageait, va devoir complètement changé son fusil d’épaule et adapter sa réalisation en conséquence.
Ne pouvant filmer toutes les attaques du requin de plein pied, Spielberg décide de faire le film « à la Hitchcock ». Il va cultiver la suggestion, l’attente et ne montrer que les conséquences des attaques violentes du squale sur ses victimes. La première scène du film (violente et traumatisante pour l’époque) voit une jeune fille, prenant un bain de minuit, se faire attaquer et tuer par le requin. On la voit juste hors de l’eau criant, se débattant et trainée par le requin qu’on ne voit pas, jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans les eaux sombres de l’océan. Dés lors, il suffira à Spielberg de filmer l’océan pour instiller l’angoisse et la paranoïa chez le spectateur qui sait désormais qu’il y a un monstre tapi sous l’eau. A l’angoisse, vient aussi se mixer une forme d’humour noir. Pour l’attaque qui va précipiter Amity et le shérif Brody dans la terreur, Spielberg s’amuse à filmer, sur la plage bondée, un homme promenant son chien, un enfant qui va à l’eau, un vieillard qui en sort…Qui le requin va t’il attaquer? Une angoisse insidieuse monte et il suffit à Spielberg de montrer une gerbe de sang, une foule paniquée et un collier de chien flottant sur l’eau pour susciter l’effroi, à l’aide de mouvements de caméra précis et d’un montage (due à Verna Fields, monteuse du Psychose de Hitchcock) tranchant. La scène des deux pêcheurs appâtant le requin au clair de lune commence à faire rire avant que la peur (symbolisé par un bout de bois changeant de direction sur l’eau) n’intervienne. Il faudra attendre l’attaque de l’estuaire pour enfin apercevoir, fugacement, le requin, sous l’eau, happant une victime (avec un joli rouge sang qui se répand sur l’eau) mais là encore, Spielberg filme les victimes potentielles pour faire monter la sauce: d’innocents enfants sur un petit voilier. Enfin, la peur dans le film est aussi véhiculée par la musique de John Williams qui, avec seulement deux notes de musique anxiogènes sur le rythme d’un battement de cœur qui s’affole, crée l’un des thèmes les plus efficaces et connus du 7ème art. Williams recevra l’oscar en 1976 pour cette musique, l’un des deux oscars du film avec celui attribué à Verna Fields pour le meilleur montage.
Pendant des années, Spielberg sera mal à l’aise avec Jaws. Sans le renier, il parlera, pour qualifier sa mise en scène, de « trucs et astuces » pour faire réagir le public. Le film ne lui ressemble pas, il n’a rien de personnel, c’est une commande. Bien sûr, Spielberg était frustré de ne pas avoir un vrai film de monstre comme il le voulait. Il faudra attendre près de 20 ans (et Jurassic Park, formidable synthèse entre l’art « hitchcockien » du suspense et l’efficacité du film de monstre spectaculaire) pour que Spielberg reconnaisse que Jaws l’a considérablement fait progressé sur le plan technique. Pourtant, Jaws reste un film « spielbergien » quoique son réalisateur en pense. Le film est loin d’être aussi cynique que Jurassic Park-Le Monde Perdu (monument de cynisme des années 1990, blockbuster très méchant, à l’instar du Starship Troppers de Paul Verhoeven).
C’est dans le traitement des personnages qu’on peut reconnaître Spielberg dans ce film. Bien sûr, le personnage de Matt Hooper (incarné par le facétieux et génial Richard Dreyfuss) fait figure de grand enfant jovial et limite inconscient du danger pour sa propre vie, tout entier dévoré par sa passion pour les requins…qui remonte à un incident de son enfance! Bien sûr, on retrouve les relations père/fils chères à Spielberg à travers Martin Brody et ses deux fils, Michael et Sean et il faudra que ces derniers soient attaqués pour que Brody se mut en homme d’action. Mais c’est bien le personnage de Martin Brody (excellent Roy Scheider) qui intéresse le plus Spielberg. Brody, fuyant la violence de New-York, s’est installé à Amity avec sa famille. Malheureusement, comme plus tard dans la Guerre des Mondes, on ne peut pas éternellement se cacher de la violence du monde, elle vous rattrape…
Brody est aquaphobe. Il a peur de l’eau. Pourquoi s’installer à Amity? Pour affronter sa peur? On ne saura jamais vraiment. Comme le héros de Duel, Brody est un homme faible, visiblement trop materné (castré?) par sa douce et aimante épouse. Il subit. Il ne cherche pas vraiment à dompter sa phobie de l’eau. Le premier plan où on le voit est symbolique. Il se lève de son lit. Il est de dos. Il semble regarder par la fenêtre assis au bord du lit conjugal. Auparavant, nous avons vu ce qu’il y avait derrière cette fenêtre: l’océan. Dès sa première scène, le personnage est face à son antagoniste. L’ennemi de Brody n’est pas le requin, c’est l’eau (le requin est l’ennemi intime de Quint, par contre). Brody est un homme faible de la midle class. Quand sa femme l’accompagne au bateau de Quint, ce dernier, homme viril et divorcé trois frois (donc libre), se moquera d’elle en chantant une chanson paillarde. Place aux hommes, poulette! Sur l’océan, Quint détruit la radio avant que Brody puisse finir un appel. Détache toi de ton confort et sois un homme! Et Brody, petit garçon perdu aux mains du capitaine Crochet Quint, deviendra un homme, domptera sa peur de l’eau et tuera le monstre, lui faisant face. Il poussera le même cri bestial final que le héros de Duel.
Aux deux hommes-enfants Brody et Hooper, est adjointe une figure paternelle: Quint (l’immense, le formidable, l’extraordinaire Robert Shaw). Une figure paternelle un brin dévoyée: buveur, fanfaron mais doté d’un courage frisant la folie furieuse. Et cette deuxième partie de Jaws est à l’image de Quint: furieuse et sauvage. Juste trois hommes sur un vieux rafiot affrontant un monstre puissant et déterminé. Une chasse de près de 55 minutes, palpitante et bourrée de péripéties. Même la musique de John Williams se met au diapason de ces aventures marines, évoquant l’âge d’or du swashbuckler hollywoodien. Mais le réalisateur parvient, dans cette lutte à mort avec le grand blanc, à livrer des moments intimes entre les trois hommes. On pense bien sûr à ce moment où Quint et Hooper comparent leurs cicatrices respectives. Très drôle jusqu’à ce que Quint avoue être un survivant de l’USS Indianapolis et leur en raconte l’histoire. Cinq minutes fascinantes et terrifiantes. Juste le talent de Robert Shaw, sur les violons angoissants de Williams à l’arrière. Incroyable!
Jaws, de Steven Spielberg, en DVD-Blu-Ray chez Universal.
CLOVERFIELD (2008)-Amour monstre
Commentaires » 0Résumé: New-York, mai 2007. Rob, un jeune trentenaire new-yorkais, doit partir s’installer au Japon pour son travail. Ses amis lui organisent une fête d’adieu. La soirée se passe bien jusqu’à ce que Rob se fâche avec son amie Beth, qui quitte la soirée. Malheureux, Rob reste mais demeure meurtri. La soirée continue. Tout à coup, un grondement se fait entendre et la terre tremble. Réfugiés sur le toit de l’immeuble pour voir ce qui se passe, les invités voient soudainement une gigantesque explosion du côté de Manhattan accompagnée du même grondement. New-York vient d’être attaqué…
(Attention, il est préférable d’avoir vu le film avant de lire ce qui suit!)
Origine: Le film est une production Bad Robot. J.J Abrams, le fondateur de cette société, est le créateur des séries Lost, Alias et Fringe. C’est aussi le réalisateur de Mission:Impossible 3 (2006), des deux derniers films Star Trek (2009 et 2013), de Super 8 (2011) et du dernier Star Wars, Le Réveil De La Force (2015). En 2006, pour la promo de M:I 3, il se rend à Tokyo avec son fils. Là-bas, en flânant dans des boutiques, il tombe sur des figurines de Godzilla, le célèbre monstre géant du studio Toho. Il se rend compte que Godzi est toujours immensément populaire au Japon. Abrams se dit alors qu’il serait formidable que les Etats-Unis aient leur propre Godzilla. Il décide alors de produire un film où un monstre géant attaque New-York. Il en confie le scénario à Drew Goddard, vieux complice scénariste sur Lost et Alias, et la réalisation à son ami d’enfance et collaborateur Matt Reeves (réalisateur d’épisodes d’Alias et Lost et futur metteur en scène de La Planète Des Singes-L’Affrontement en 2014). Mais J.J Abrams aura quelques exigences sur la forme du film…
Analyse: Cloverfield appartient donc au genre du « film de monstres géants », comme King Kong ou la série des Godzilla avant lui. Il est vrai qu’à part le singe géant Kong, le genre n’est pas très enraciné aux Etats-Unis. Au Japon, Godzilla est une métaphore directe de la catastrophe nucléaire d’Hiroshima. Dans l’esprit de J.J Abrams, il fallait donc que Cloverfield reflète un évènement traumatisant de l’histoire américaine et soit en prise avec les peurs de son époque. Le choix n’est pas très cornélien: Cloverfield sera une allégorie des attentats du 11 septembre 2001. Et son intrigue se situera à New-York. L’image d’une foule fuyant un nuage de poussière provoqué par l’effondrement d’un immeuble est ici reprise. Mais Abrams va aller encore plus loin.
Son raisonnement le mène à penser, avec justesse, que si un monstre géant attaquait New-York, les civils le filmeraient avec leurs caméscopes, pour balancer les images sur Internet ou les vendre aux chaînes de télé. Les gens voudraient faire une vidéo-témoignage pour les générations futures, chose qui fut impossible à Hiroshima. On a tous en tête les vidéos amateurs filmées par les témoins du 11 septembre. Abrams impose donc un filmage de type found footage, filmé au camescope par un témoin. Un bref encart en début du long-métrage nous montre que cette vidéo, désormais propriété de l’armée, fut retrouvée sur la zone de l’incident Cloverfield, dans la partie anciennement nommée Central Park.
Cloverfield est donc entièrement filmé du point de vue subjectif de Hub, le meilleur ami de Rob. A l’origine, c’est le frère de Rob qui aurait du filmer mais il préfère passer le relais. Il dira à Hub que c’est une grande responsabilité qui lui échoit, tragique ironie quand on sait ce qui va se passer. Pendant tout le film, Hub passe pour un bouffon légèrement lourd et irresponsable, sorte de soupape comique au tragique de la situation (et seul vrai défaut du film, le personnage étant assez énervant par moments). Mais Hub, comme tous les témoins qui filment des catastrophes contemporaines, ne peut s’empêcher de partir dans un délire mégalomaniaque du style « C’est mon film! Les gens voudront savoir! ». Hub représente l’inconscience de l’espèce humaine qui dès lors qu’un écran s’interpose entre elle et une catastrophe pense que tout ceci n’est qu’un film. Néanmoins, le personnage finira par prendre la mesure de ce qui se passe autour de lui. La mort de la fille qu’il aime en secret (et qu’il a filmée) le secouant au point de lui faire poser sa caméra et de le faire pleurer. Son sort final est assez cynique. Le type inconscient qui voulait tout filmer au lieu d’aider les gens qu’ils croisent ou tout simplement de se sauver, le type qui voulait filmer l’indicible, c’est à dire le monstre, se fait tuer par ce dernier. L’indicible ne voulait pas être filmé…
Pendant ses 17 premières minutes, Cloverfield est un film amateur sur une soirée de la jeunesse insouciante de New-York avec blagues, flirts, séquences émotions et engueulades de couples. C’est incroyablement vivant et cela nous rapproche des personnages, qui nous semblent réels. Cette proximité ne sera jamais démentie pendant le film. Les acteurs, quoiqu’en aient dit certains critiques, sont touchants et justes et réagissent avec beaucoup de crédibilité devant la caméra. A partir de sa dix-septième minute, Cloverfield bascule dans l’horreur. Et on se rend compte que filmer d’un point de vue subjectif un tel évènement est assez bien vu. Le monstre n’est jamais filmé en entier. Ses apparitions sont rapides et furtives. Néanmoins, il intrigue et fait peur. Ce sont les conséquences de sa fureur qui intéressent Matt Reeves, le réalisateur. Cloverfield arrive à rendre prégnants l’atmosphère de catastrophe et de chaos urbain que la présence d’une créature géante entraîne dans une grande mégalopole: immeubles éventrés ou effondrés, fuite des civils, présence et riposte de l’armée, destruction d’un pont, Statue de la Liberté décapitée, pillages des magasins, etc. Tout semble pris sur le vif et réel. C’est l’état d’urgence. Néanmoins, tout est bien mis en scène, malgré un filmage guerilla constamment en mouvement: on pense à ce moment où nos héros se retrouvent en plein milieu des tirs de l’armée contre le monstre, à la séquence effrayante du métro, à cet attelage fantôme en pleine rue, à cet immeuble penché,…En 45 minutes, Cloverfield arrive à nous clouer sur notre siège. Le film ne dure que 70 minutes, si on l’ampute de son générique de fin qui fait 10 minutes. Le monstre nous est plus dévoilé sur la fin. Désigné par Neville Page, il est magnifique et intrigant. Dans l’esprit de ses géniteurs, c’est un « bébé » sorti de l’océan où il dormait depuis des siècles. Il est désorienté et agressif. La scène où il se fait bombarder par l’armée, nous le montre hurlant sa douleur et s’effondrer. On finit par le plaindre. On finit par avoir de l’empathie pour cette chose perdue dans un environnement hostile qu’elle ne comprend pas.
Mais Cloverfield n’est pas qu’un film de monstres géants. C’est aussi une histoire d’amour. Au lieu de fuir, Rob décide d’aller chercher chez elle son amie Beth, avec qui il s’est disputé quelques heures plus tôt. Il entraîne avec lui ses amis au cœur du chaos. L’amour déplace des montagnes. Et c’est là qu’on se rend compte que Cloverfield est plus un projet intimiste qu’un blockbuster spectaculaire. Rob est un personnage indécis tiraillé entre le fait de partir bosser au Japon et sa liaison naissante avec son amie d’enfance, qui s’avère être la femme de sa vie. Rob n’arrive pas à s’engager auprès d’elle. Dès lors, le monstre représente son dilemme intérieur et le pousse à se décider: rejoindre Beth. Il est remarquable de constater que la première manifestation du monstre a lieu quand Rob pleure sur son sort sur le balcon de l’appartement, en compagnie de son frère et de Hub. Ce n’est pas la créature que doit combattre Rob mais son propre monstre intérieur.
Matt Reeves a, enfin, eu une idée de génie. Hub filme avec le caméscope de Rob, effaçant un film que Rob avait fait. Un mois auparavant, il s’était filmé avec Beth, au début de leur relation. Il étaient heureux et passaient une journée formidable à Cosney Island. Par intermittences, on peut en voir des extraits pendant le film. C’est très troublant. Cet amour a failli être effacé, au propre comme au figuré: par le nouveau filmage de Hub et par le départ de Rob au Japon. Néanmoins, l’amour finit par s’imposer. Il ne disparait pas et clôt même le film. Et c’est ce qui va rester de l’incident Cloverfield: une histoire d’amour. Car derrière chaque catastrophe, il y a des vies humaines, il y a des morts. Et leur souvenir reste.
Cloverfield, en DVD Zone 2 chez Paramount.
L’ANTRE DE LA FOLIE (1994)-Ghost writer
Commentaires » 0Résumé : John Trent (Sam Neill) est enquêteur pour une compagnie d’assurances. Il est chargé de retrouver l’écrivain Sutter Cane, mystérieusement disparu avant de rendre son dernier roman. Sutter Cane écrit des livres d’horreur très populaires. Flanqué de Linda Styles (Julie Carmen), la seule personne de sa maison d’édition à qui Cane fait lire chacun de ses romans avant publication, Trent commence sa recherche qui le mène bientôt dans la mystérieuse ville de Hobb’s End…
ATTENTION! IL EST PREFERABLE D’AVOIR VU LE FILM AVANT DE LIRE CET ARTICLE!!!!!!
Décryptage : John Carpenter, à travers beaucoup de ses films (Halloween, Fog, Prince des Ténèbres, Invasion Los Angeles), n’a cessé de traiter de la contamination du monde par le Mal. C’est même un thème qu’il a complétement intégré à sa mise en scène (cf Halloween où le psychopathe Michael Myers cherche toujours à envahir le cadre jusqu’à fusionner complétement avec lui dans les dernières images du film). L’Antre De La Folie ne fait pas exception à la règle. Carpenter n’est pas l’auteur du scénario (au contraire d’Assault, Halloween ou Fog entre autres) mais celui-ci épouse complètement ses thématiques. Le script est du à Michael DeLuca, jeune scénariste à l’époque, qui deviendra par la suite l’un des dirigeants de New Line (distributeur de L’Antre De La Folie), avant de partir travailler chez Dreamworks. Carpenter avait d’abord refusé (5 fois!) son scénario. En fait, il était excité par l’idée de départ mais jugeait le scénario inabouti et poussait constamment DeLuca à le réécrire pour atteindre la perfection. Méthode qui va s’avérer payante! L’Antre De La Folie s’avérant être le dernier grand film de Big John, son dernier chef d’oeuvre qui va lui permettre de s’amuser avec la frontière fiction/réalité, chose qu’il n’avait jamais fait avant de manière aussi frontale (sauf peut-être Invasion Los Angeles mais d’une façon subtile…et trés politique!).
La contamination de notre monde par le Mal est bien présente. Sauf que cette fois, c’est l’Humanité toute entière qui risque d’être contaminée. Ici, le Mal, c’est l’imaginaire diabolique de l’écrivain Sutter Cane, qui corrompt ses lecteurs et les fait basculer dans la folie. Une folie qui ménera à une sorte d’apocalypse, la fin de l’Humanité! Pour reprendre une analogie empruntée à Stephen King, la folie est une balle élastique, elle rebondit et finit par toucher beaucoup de monde. La fin de l’Humanité… En fait, ce rebondissemnt final était largement prévisible dès le début du film. Le héros, John Trent, est clairement l’alter-ego de Carpenter. Il est cynique, misanthrope à l’excés et professe tout haut son mépris pour le reste du monde. On dirait vraiment Carpenter, lorsque celui-ci nous livre des films méchants et terriblement lucides sur notre société….Le film offrira à John Trent la fin du monde sur un plateau. Et 2 ans plus tard, Carpenter autorisera Snake Plissken à « éteindre » le monde….
Mais le nihilisme n’est pas une fin en soi chez Carpenter. Heureusement, L’Antre De La Folie n’est pas que ça! La folie est bien présente. Dès le début, Trent est enfermé dans un asile d’aliénés. Le ton est d’emblée donné. On peut choisir de croire Trent…ou non! Mais nous y reviendrons plus tard, tant le cas Trent est trés complexe! L’Antre De La Folie va permettre à John Carpenter de se lâcher et d’aller trés loin dans le délire. Le film ne cesse de nous interroger constamment sur notre rapport à la réalité. Qu’est-ce que la réalité? Ou s’arrête-t-elle? Ou commence la fiction? Sommes-nous fou de croire tout ce que nous voyons? John Trent ne cesse de dire à Styles: « C’est la réalité » en désignant ce qui les entoure, par opposition aux écrits de Sutter Cane. Mais lui-même voit ses repères brouillés. Lorsque le fantastique débarque sous ses yeux, il affirme le contraire: « Ce n’est pas la réalité! ». Peut-être a-t-il raison, nous sommes dans un film, après tout….Mais allons doucement sur ce terrain! Avant d’aller plus loin, soulignons juste la grande qualité visuelle du film, qui n’a coûté….que 12millions de dollars! Carpenter n’est jamais meilleur que dans les petits budgets de série B. Ici, son sens parfait (et maniaque) du cadre s’allie à des décors, une lumière et des effets spéciaux de toute beauté! Le film baigne dans un climat étrange, à la limite du cauchemar éveillé et Carpenter nous livre des visions d’horreur, véritables tableaux horrifiques (justement, il y a un tableau à un moment, qui ne cesse de changer…), et sous influence lovecraftienne (Sutter Cane est clairement un Lovecraft moderne). Il y a d’abominables créatures qui se cachent derrière une porte qui se gondole doucement….L’une des visions les plus fortes du film!
Le point de vue du film semble être exclusivement celui de John Trent. C’est lui qui raconte son histoire (donc le film) à un psychiatre (joué par David Warner), du fond de sa cellule en asile psychiatrique. Nous épousons donc sa vision des faits. Mais Trent est-il sain d’esprit? N’est-il pas lui aussi devenu fou suite à la lecture des œuvres de Cane? C’est après avoir lu un roman de Cane, sur son canapé, que l’histoire commence vraiment. D’ailleurs Trent rêve à un moment qu’il se réveille d’un cauchemar! « La réalité n’est plus ce qu’elle était! » comme lui affirmera l’un des habitants de Hobb’s End. Hobb’s End, justement, est la représentation mentale des délires de Sutter Cane. La ville est fictive tout comme ses habitants. Mise en abîme évidente qui permet à Carpenter de nous rappeler que nous sommes devant un film, pas devant la réalité… Le moment le plus jouissif est celui ou Trent apprend de la bouche de Sutter Cane qu’il n’est qu’un personnage qu’il a inventé! Un personnage de film apprend….sa propre existence « fictive » devant nos yeux! De là à dire que Sutter Cane et John Carpenter ne font qu’un….Pourtant, nous avons établi la similitude entre Carpenter et John Trent. Et puis le film épouse le point de vue de ce dernier! A moins que John Trent et Sutter Cane ne soit une seule et même personne! Un enquêteur d’assurances (Trent) qui écrit des histoires d’horreur sous pseudonyme (Cane). La véritable personnalité serait celle de « Cane », « Trent » n’étant qu’un masque (cela valide le fait que Cane dévoile son caractère fictif à Trent). John Trent serait donc devenu schyzophrène et aurait refoulé son identité d’écrivain. Tout le film se déroulerait alors dans son inconscient. Petit indice allant dans ce sens: la façon dont l’éditeur joué par Charlton Heston apprend à Trent que celui-ci lui a apporté le manuscrit de Cane deux mois auparavant, alors qu’il vient juste de rentrer de mission!
Enfin, il y a cette scène finale, cette ultime pirouette qui achève le film d’une façon assez surprenante. Quand Carpenter tournait L’Antre De La Folie, pour lui, tout ceci n’était pas sérieux et l’humour tient une grande place dans le métrage. Pour autant, le film n’est pas une comédie fantastique. Il fait souvent assez peur mais il y a toujours un second degré qui vient contrebalancer tout ça. D’ailleurs l’interprétation de Sam Neill est assez parodique par moments. Le comédien livre ici une de ses meilleures prestations, donnant un visage crédible à la folie. Mais revenons à cette fin. John Trent déambule dans un monde ravagé par les écrits de Sutter Cane. Dernier survivant de l’Humanité, il entre dans un cinéma qui projette un film adapté de Cane: In the Mouth Of Madness (L’Antre De La Folie). Sur l’affiche, le nom de l’acteur principal est John Trent et le réalisateur….John Carpenter! La mise en abime continue donc. Mais le plus beau arrive. Dans une salle où il est seul, Trent regarde le film….qui est exactement celui que l’on vient de voir! Il se voit donc à l’écran, en « messager » de Sutter Cane, responsable du chaos. Et John Trent, devant ce spectacle, éclate de rire. Son rire finit par s’étrangler à la fin mais il est toujours là. Une ultime image de la folie qui clôt le film. Mais si Trent est Cane, nous avons peut-être le rire d’un créateur devant sa création… Mais ce rire, c’est aussi le rire de Carpenter. Ce dernier semble s’adresser au public: « C’était fun, ce film! Je me suis bien marré et vous? Non? Allons, les enfants, cette histoire n’est pas très sérieuse! » Peut-être est-ce aussi le rire de Carpenter le cinéaste face à toute sa filmographie? « Je m’éclate à faire des films d’horreur mais je ne crois pas au surnaturel. Je suis comme Sutter Cane, prisonnier d’un genre et j’effraie les foules. Quel pied! » Le rire d’un éternel maverick face à un système hollywoodien qu’il ne comprend plus (en cette première moitié des 90′s, les films d’horreur sont de plus en plus bâclés et cyniques) et qui ne l’a jamais compris? Connaissant le bonhomme, c’est fort probable!
In The Mouth Of Madness, de John Carpenter, avec Sam Neill, David Warner, Julie Carmen, Jurgen Prochnow, John Glover et Charlton Heston. Disponible en DVD Zone 2 chez Metropolitan.
PANIC SUR FLORIDA BEACH (1993)- La dernière séance
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Résumé:Octobre 1962. A Key West, en Floride, le jeune Gene (Simon Fenton) attend la venue du producteur/réalisateur Lawrence Woolsey, venu présenter, en avant-première son dernier film: Mant! L’histoire d’un homme-fourmi! Mais la crise des missiles cubains éclate et la panique gagne la petite ville….
Décryptage:Panic sur Florida Beach est, sans aucun doute, le film le plus personnel de Joe Dante, voire le plus autobiographique. Le personnage de Gene Loomis est un véritable autoportrait de Joe Dante enfant. Il aime les séries B fantastiques et grandit dans l’Amérique des années 60. C’est exactement ce que Joe Dante était, un gosse des 60′s amoureux de cinéma fantastique. D’ailleurs, dans le film, la décoration et les accessoires de la chambre de Gene et son frère sont directement issus de la collection personnelle de Joe Dante: affiches de films, jouets, magazines (Famous Monsters of Filmland), autant d’objets que Dante a gardé de son enfance. Pourtant, cette base autobiographique n’était pas le vrai film d’origine. Au départ, Dante voulait faire un film de monstre rendant hommage à ceux des années 50/60. Avec le scénariste de Gremlins 2, Charlie Haas, il rédige un traitement de scénario et filme des essais (qui vont nourrir Panic sur Florida Beach). Le titre du film aurait été Mant! (l’homme fourmi!). Mais personne n’est vraiment convaincu et le projet capote. Haas et Dante n’en reste pas là. Durant la préparation de Mant! , ils discutent de leurs enfances et….de cinéma fantastique. Et l’idée de faire un film là-dessus prend forme. Le film s’appelle Matinee en V.O (hommage aux doubles scéances du samedi) et va raconter l’histoire d’un jeune garçon qui rencontre son idole, un producteur/réalisateur de séries B fantastiques, sur fond de crise des missiles soviétiques. Le film présenté par le réalisateur fictif s’intitule….Mant! Dante en tourne des séquences entières dans un noir et blanc somptueux et Rick Baker (Le Loup-Garou de Londres, Gremlins 2) donne vie à un magnifique homme-fourmi, délicieusement rétro. Toutes ces séquences transpirent tellement la passion de Dante, qu’on les croirait vraiment issues d’un film des années 60! Dante tourne même une parodie hilarante des productions Disney de l’époque, avec une Naomi Watts alors débutante.
L’action de Matinee se passe en octobre 1962. La crise des missiles de Cuba a alors éclaté et toute l’Amérique plonge dans la peur d’un holocauste nucléaire. Gene est particulièrement touché par cet événement. Il vit à Key West, en Floride, à 150 km des côtes cubaines. Il habite une base militaire avec sa mère et son petit frère. Ils déménagent souvent car le père, militaire de carrière, change d’affectation assez fréquemment. Et là, son père est envoyé en mission, probablement au large de Cuba (on ne le verra jamais pendant le film, sauf en photo ou sur un film familial en super 8). Gene a plus peur de perdre son père que d’une explosion atomique. Néanmoins, la psychose ambiante finira par le gagner, lors d’une tétanisante scéne de cauchemar. Alors Gene trouve refuge dans le cinéma fantastique, et plus particulièrement dans les films d’un certain Lawrence Woolsey (incarné par un John Goodman absolument génial!). Joe Dante va doucement faire basculer son film en faisant déborder la fiction dans le réel (mais d’une façon non-fantastique cette fois). C’est un thème qu’il aborde dans beaucoup de ses oeuvres, la lente contamination de la réalité par la fiction fantastique ou cartoonesque (Dante est un fan de Chuck Jones). D’ailleurs, il est remarquable de constater, à ce propos, que son formidable segment pour La Quatrième Dimension-Le Film (1983) contient sa réflexion la plus poussée sur ce thème. Mais revenons à Matinee. Les jeunes héros vont voir un film sur les conséquences du péril atomique et où un monstre engendre une panique. D’une façon détournée, c’est exactement ce que va leur faire vivre Joe Dante. Il y a une menace de catastrophe nucléaire qui plane dans l’air, il y a un monstre en liberté (en fait le voyou engagé pour jouer l’homme-fourmi pendant l’avant-première du film), il y a une histoire d’amour (deux en fait), des personnages secondaires comiques (le directeur du cinéma, par exemple) et des personnes en détresse à sauver (une jeune fille enlevée par le monstre/voyou, un petit garçon suspendu dans le vide),… La réalité rejoint la fiction! Une scène l’illustre parfaitement: la scène de l’alerte à l’école. La jeune Sandra refuse de participer à ce simulacre inutile. Dante la filme alors comme dans un vrai film fantastique, avec le cadre penché. Elle symbolise la personne qui sait la vérité face aux autorités qui mentent. Comme chez Tim Burton, les marginaux sont souvent la solution pour dénouer les crises. Içi, nous avons l’imagination (Gene) et la lucidité (Sandra).
Mais le plus important dans ce film, c’est qu’il est une formidable déclaration d’amour au Cinéma. Le personnage qui le symbolise le mieux, est bien sûr Lawrence Woolsey. Cet homme est une sorte de grand enfant qui n’aurait pas grandi. Car son rôle de réalisateur, il l’applique dans la vie elle-même. Woolsey met en scène la réalité comme si c’était un film et manipule les spectateurs, au dedans comme en dehors de la salle (voire tous ces trucs à la William Castle pour secouer les spectateurs et les avants-premières pimentées par de fausses ligues de vertu qui viennent manifester contre le film). Le cinéma est un art du mensonge. Woolsey est donc un menteur de génie, mais un menteur habité par une passion dévorante pour le 7ème Art. On peut le voir grâce à la scène de la « caverne préhistorique » où il explique à Gene les origines et la fonction du cinéma (embellir la réalité). S’ensuit un joli mini-plan-séquence où Dante nous promène dans un cinéma des 60′s, tandis que Woolsey déclame une tirade à la gloire de cet endroit. On sent la nostalgie comme si Woolsey savait que cette conception du cinéma allait disparaître (et c’est la nostalgie de Joe Dante pour une époque révolue qui apparaît alors). Mais Woolsey a, certes, un esprit enfantin mais il y a chez lui, la roublardise de l’adulte bonimenteur. Car les adultes, pour Joe Dante, mentent parfois et, surtout, ne font pas preuve d’un grand sens des responsabilités, qu’ils prônent pourtant (cf les parents progressistes de Sandra qui, sous couvert de l’émanciper, délaissent leur fille). Il arrive que les adultes deviennent fous et ne savent plus ce qu’ils font. Le directeur du cinéma (l’hilarant Robert Piccardo, fidèle second rôle de Joe Dante) devient complétement parano à cause de la crise cubaine. A un moment, Dante le filme en train de regarder les informations à la télé. On voit d’abord son reflet dans le téléviseur. Il a été happé par l’écran et il est prisonnier de sa propre psychose.
L’irresponsabilité des adultes est souvent pointée du doigt par Joe Dante dans ses films. Les enfants, eux, sont détenteurs d’un grand pouvoir: l’imagination. Mais avoir un grand pouvoir signifie avoir de grandes responsabilités. Dante aime l’anarchie que peut faire régner une bande de sales gosses mais s’ils ne se canalisent pas et si les adultes, qui doivent les protéger, ne prennent pas leurs responsabilités, les enfants deviennent des petits voyous. A la fin de Gremlins, Bill rend Gizmo car il ne se sent pas prêt à s’occupper de lui (mais à la fin du 2, devenu plus mûr, il pourra le faire). C’est la même chose dans Matinee. Gene doit grandir tout en gardant sa candeur d’enfant. Il doit veiller (et sauver) son petit frère comme Bill devait veiller sur Gizmo. C’est la fin de la fiction et le début de la vraie vie. Le passage à l’âge adulte mais en gardant ses rêves d’enfant. A la fin du film, un projecteur s’éteint et un petit garçon (qui a mûri) attend le retour de son père (symbolisé par le vol d’un hélicoptère) en compagnie de sa petite fiancée. Gene a vu l’envers du décor. Il sait que le cinéma est un art de « truqueur » mais ça ne fait rien. Il garde son amour pour les séries B. Etre adulte, tout en rêvant, c’est la seule façon, pour Joe Dante, de ne pas sombrer dans la folie au sein d’un monde complètement fou. Vivons heureux jusqu’à la prochaine guerre…..
Panic Sur Florida Beach (Matinee) de Joe Dante, disponible en DVD et Blu-Ray chez Carlotta Films.
JEU D’ENFANT (1988)-Tuer n’est pas jouet
Commentaires » 0Résumé: Une nuit, l’étrangleur Charles Lee Ray (Brad Dourif) est pris en chasse par l’inspecteur Mike Norris (Chris Sarandon). Blessé par ce dernier d’une balle dans le ventre, il se réfugie dans un magasin de jouets. Avant de rendre l’âme, il s’empare d’une poupée Brave Gars et prononce une curieuse incantation vaudou. La foudre s’abat alors sur lui et la poupée. Puis Norris retrouve le cadavre de Ray, à côté de la poupée. L’étrangleur est mort. Quelques jours plus tard, Karen Barclay (Catherine Hicks) offre à son fils Andy (Alex Vincent) une poupée Brave Gars. Des choses étranges vont alors se produire….
Décryptage: Autant le dire d’emblée, Jeu d’Enfant (Child’s Play en anglais) n’est pas un chef d’oeuvre du genre, comme le Halloween de John Carpenter ou même Les Griffes De La Nuit de Wes Craven. Pourtant, à l’instar de ces derniers, ce film a popularisé un autre psycho-killer à la Michael Myers ou Freddy Kruger: la poupée Chucky. Néanmoins, il ne serait pas juste de se souvenir de Jeu d’Enfant juste pour cela. Sans être donc un classique de l’horreur, il demeure une série B trés bien faite et assez effrayante, par moments.
Le scénario original est dû à Don Mancini (qui écrira les cinq séquelles du film, réalisant même les deux dernières). Le producteur David Kirschner achètera le scénario à Mancini, le fera retravailler par John Lafia (futur réalisateur du numéro 2) et Tom Holland. Ce dernier se voit offrir la réalisation du film. A l’époque, il était auréolé du succés d’une autre série B culte des années 80: Fright Night (1985) dont le titre français était « Vampire….Vous Avez Dit Vampire? » .Un solide artisan donc qui, malheureusement, ne confirmera pas par la suite les espoirs que ses deux premiers films avaient placé en lui. La maquilleur Kevin Yagher (Cocoon, Freddy 2 et 3, Hidden) est chargé de la création et de l’animation de Chucky (dont la voix est doublée par Brad Dourif…avec son célèbre rire démoniaque!). A noter que le design original de la poupée Brave Gars est dû à David Kirschner. L’implication du producteur se retrouve aussi dans le nom du psychopathe Charles Lee Ray, qu’il a lui-même choisi, se basant sur les trois tueurs qui le terrifiait enfant: Charles Manson, Lee Harvey Oswald et James Earl Ray (l’assassin de Martin Luther King). Bref, tout ce petit monde ne le sait pas encore mais Jeu d’Enfant va devenir un film culte tout comme son personnage de bad guy.
Sur la réalisation de Tom Holland, il faut en souligner l’efficacité. Assez classique, elle est pourtant trés bien pensée en terme de suspense et de tension. Holland filme simplement mais le fait bien. Certaines scènes sont de petits modèles quant à la gestion de la tension. On pense notamment à celle où la mère d’Andy découvre le « secret » de la poupée Chucky. Tout simple et tout bête: Karen avise l’emballage de Chucky dans la cuisine, le prend, le regarde…et les piles tombent sur le parquet. Durant ces instants, on peut voir Chucky à l’arrière plan, assis sur un fauteuil du salon, comme pour nous rappeler la menace qu’elle incarne. Karen repasse alors au salon, attrappe Chucky, le retourne, ouvre le compartiment à piles: il n’y en a pas! La poupée retourne sa tête et lance sa phrase fétiche de publicité. Karen lache la poupée, en criant. Chucky tombe sous le canapé. Tout doucement, Karen se baisse, soulève le drap….Sans aller plus loin, on voit que c’est trés bien géré. Holland a aussi recours à la caméra subjective, hommage évident à Halloween et autres slashers. La petite séquence de cache-cache dans la maison d’Eddie Caputo est ainsi trés amusante. D’autant que Holland iconise Chucky dans la scène finale en filmant ses pieds qui avancent et son ombre menaçante où on voit qu’elle tient un couteau. D’ailleurs la scène finale est assez longue et trés réussie, deux plans citent d’ailleurs Shining ou Halloween. On a connu pire référence. Ajoutez à cela la tentative de meurtre de Norris dans sa voiture, plus un ou deux petits meurtres sympas et le résultat s’avère bien foutu. De la belle ouvrage!
Si l’histoire en elle-même n’est pas des plus originales et demeure assez conventionnelle dans son déroulement (mais le film reste palpitant), l’atmosphère, elle, est franchement tordue voire malsaine. Tout d’abord, le choix d’une poupée innofensive comme figure du Mal est assez pertinente. Censée représenter l’innocence de l’enfance et non la violence des adultes, elle est ici le réceptacle de l’esprit pourri et machiavélique d’un tueur sans pitié. Il y a déjà là un décalage. Si on pousse un peu plus loin, on peut aussi y voir la critique d’une société de consommation qui pousse les gamins à devenir des consommateurs décérébrés dès leur plus jeune âge. Dans le film, les poupées Brave Gars ont leur propres dessins animés, mais aussi leur marque de céréales! Le petit Andy, en bon fan, mange ses céréales, habillé….en costume Brave Gars (la célèbre salopette!). Donc on poursuit l’analogie avec cette poupée possédée. Nous avons là des adultes (les fabricants de jouets) qui se cachent derrière un symbole de l’enfance, dans un but « maléfique » (!): vendre un maximum de produits dérivés pour s’enrichir tout en façonnant l’esprit des enfants…
Mais il y a un autre aspect ,plus inquiétant, dans Jeu d’Enfant. Il se manifeste dans les rapports entre Andy et Chucky. Il y a quelque chose de déroutant dans certaines scènes. Andy est un enfant sans père (Karen est-elle veuve? Mère célibataire? on ne saura jamais). C’est un enfant solitaire en manque d’une figure paternelle. Chucky va devenir « son ami pour la vie », comme il est dit dans la publicité Brave Gars. Et pendant une bonne moitié du film, nous avons un Andy qui parle avec sa poupée, laquelle semble lui murmurer à l’oreille pour lui demander des choses bizarres. Et le gosse, Chucky sous le bras, prend le métro seul et se rend dans un ghetto sordide parce que Chucky lui a demandé. Sauf que nous n’avons pas entendu Chucky lui parler vraiment. Andy est-il schyzophrène? On se doute que non mais Holland nous amène quand même à nous questionner. Oui, il est trés dérangeant de voir ce gosse se trimballer avec une poupée que lui seul peut entendre. D’ailleurs Andy sera interné, à un moment dans un institut spécialisé pour jeunes enfants. Sauf qu’on dirait une prison avec barreaux aux fenêtres et chambres miteuses juste meublées d’un lit. Assez horrible! Le film continue donc de montrer les mauvais traitements des adultes envers les enfants, ou leur indifférence: quand Andy est seul dans un train de banlieue ou dans les rues, personne ne bronche ni ne s’inquiète de lui, alors qu’il devrait être à l’école.
La relation Andy/Chucky demeure assez ambigue jusqu’à la fin. La poupée a besoin du gamin pour un sombre dessein (c’est assez perturbant quand on y réfléchit bien….une sorte d’abus psychique). Elle tente aussi de lui rappeler leur amitié pour l’empêcher de la détruire (mensonges des adultes, toujours). Le dernier plan du film montre Andy inquiet….ou regrettant son ami, malgré ses agissements criminels? Décidemment, Jeu d’Enfant est un série B assez étrange…
Jeu d’Enfant (Child’s Play), de Tom Holland, en DVD Zone 2 chez MGM/UA
Le film aura 4 suites:
Chucky, La Poupée De Sang (Child’s Play 2) de John Lafia, en 1990: une sympathique séquelle, trés réussie et bourrée d’humour noir.
Chucky 3 (Child’s Play 3) de Jack Bender, en 1991: bâclé, poussif et raté.
La Fiancée de Chucky (Bride Of Chucky) de Ronny Yu, en 1998: le meilleur épisode, une comédie fantastique incroyable!
Le Fils de Chucky (Seed Of Chucky) de Don Mancini, en 2004: assez réussi, voire délirant mais doté d’un acte central assez mou.
La Malédiction de Chucky (Curse Of Chucky) de Don Mancini, en 2013: une excellente suite/reboot très étonnante, très méchante et très jouissive!
Big up, Kainy!!!!!^^
Un bon cochon-à propos de BABE, LE COCHON DEVENU BERGER (1995) et BABE, UN COCHON DANS LA VILLE (1998)
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En 1983, un ancien instituteur, devenu écrivain pour enfants, publie un roman intitulé Babe, The Gallant Pig ou l’histoire d’un petit cochon devenu….chien de berger! Ce roman devient immédiatement un best-seller et assure la célébrité de son auteur: l’anglais Dick King-Smith. Peu de temps après, un jeune cinéaste australien culte (Mad Max 1 et 2, à l’époque) lit le livre, en tombe amoureux et décide d’en faire un film. Il s’appelle George Miller et mettra une douzaine d’années à réaliser son rêve.
Déjà, en ce début des années 80, les effets spéciaux sont encore trop rudimentaires pour figurer des animaux qui parlent dans un film. Car Miller est intraitable: il veut faire un film en live et non un dessin-animé. Ce n’est qu’en 1992, qu’il met le projet à éxécution. Les immenses progrés faits dans les sfx (en 1991, est sorti Terminator 2, véritable révolution dans les effets numériques) et les promesses à venir (Steven Spielberg entame le tournage de Jurassic Park, qui sortira l’année d’après) décident Miller à se lancer dans Babe. Il démarche le studio Universal qui accepte de financer le film que Miller et son équipe boucleront pour seulement 25 millions de dollars (une misère à l’échelle du blockbuster américain). George Miller décide, néanmoins, de ne pas réaliser le film lui-même et en confie la réalisation à son ancien assistant Chris Noonan, avec qui il signe l’adaptation en scénario. Miller se contente de jouer les producteurs et de superviser le projet pour aider Noonan, sans interférer dans la réalisation (ce qu’il avait pourtant fait dans une autre de ses productions, le thriller Calme Blanc, en 1989). Le film prend beaucoup de temps dans son élaboration. Diverses techniques sont employées pour donner vie aux animaux de la ferme: animaux dressés, animatroniques (confectionnés par le Jim Henson’s Creature Shop) et « doublures » numériques. A l’écran, le résultat est bluffant. On ne distingue pas les vrais des faux animaux. Du moins à l’époque! Maintenant, avec l’évolution technique, le film fait un peu daté mais sa magie est intacte!
Babe sort durant l’été 1995 aux Etats-Unis et remportent un grand succés. Il atteindra les 60 millions de dollars de recettes sur le territoire américain et remporte un vif succés dans le reste du monde (1, 5 millions d’entrés en France, ce qui n’est pas si mal). Mieux, le film devient un phénomène de société et remporte le Golden Globe du Meilleur Film (catégorie Comédie) en janvier 1996. Il est même nommé à l’Oscar du Meilleur Film (mais c’est le lourdaud Braveheart qui gagnera le trophée)! Comment expliquer le plébiscite de ce petit film sorti de nulle part et l’engouement qu’il a suscité au sein du public familial?
Babe, Le Cochon Devenu Berger est un conte. Cela se voit à la forme narrative. Nous avons la voix-off d’un narrateur qui nous raconte l’histoire. Cette voix-off n’est pas trop envahissante et est vraiment utilisée avec parcimonie durant le récit. A cela est couplée l’utilisation astucieuse d’un trio malicieux de petites souris qui introduit (quelquefois en chantant) brièvement chaque chapitre de l’histoire. Car le film est découpé en chapitres. On a vraiment l’impression de tourner les pages d’un livre pour enfants! D’autant que du côté visuel, Chris Noonan se fend de jolis gravures tout droit sorties d’un conte illustré: la ferme des Hoggett avec son style délicieusement anachronique en est un exemple parfait (tout comme ce plan du fermier Hoggett rentrant des champs, dans sa cariole, sous un magnifique crépuscule). Un Chris Noonan qui imprime du rythme à son histoire et qui filme ses animaux comme de vrais acteurs (d’ailleurs, ils sont les personnages principaux). Ce n’est pas la moindre des prouesses de ce film.
Un film qui se révèle être un conte initiatique. C’est l’histoire d’un petit cochon qui veut devenir chien de berger, et d’un fermier (le facétieux et taciturne James Cromwell) qui veut y croire. Babe est décrit comme un coeur pur par le narrateur. Et à coeur pur, rien n’est impossible. C’est la morale de ce petit conte. Contre l’adversité, contre les voix discordantes, il faut croire en ses rêves et lutter contre les préjugés qui enferment les gens dans des petites cases préétablies. Car pourquoi diantre un cochon ne pourrait-il pas devenir chien de berger? Cette question-là et sa résolution ont trouvé un écho favorable dans le public. Et sans que Miller et Noonan n’aient recours à la mièvrerie du style Disney. Le film est même souvent drôle (le personnage de Ferdinand le canard qui se prend pour un coq, le vol du réveil), voire trépidant (l’attaque des chiens errants). Et il n’est pas interdit de penser que George Miller se soit reconnu dans le message de l’histoire de King-Smith, lui que tout le monde traitait de fou, dans son Australie natale ou à Hollywood, quand il montait des projets tels que Mad Max ou Babe. Des films qui ont fait leurs preuves, des rêves devenus réalité pour un George Miller devenu un grand cinéaste.
Le succés de Babe appelait, pour Universal, une suite. Mais un miracle, comme celui-ci, peut-il se reproduire et est-ce que cette suite plaira au public? Contre toute attente, Miller va accepter. D’abord parce qu’il a une bonne histoire en tête (il s’agit d’un scénario original, King-Smith n’ayant jamais écrit de suite à Babe). Ensuite, parce que Universal (succés du premier opus oblige) lui alloue un budget un peu plus confortable. Miller pourra se permettre des choses qu’il n’avaient pas pu expérimenter trois ans plus tôt. Mais la raison la plus importante est que Miller, d’une façon trés inconsciente et non-avouée, s’est finalement senti frustré de ne pas avoir réalisé Babe lui-même. De plus, l’envie de filmer à nouveau devait le démanger (Lorenzo, sa précédente réalisation, datant de 1991). On le voit: le studio veut un succés, Miller veut refaire du Cinéma avec un grand C! Tout cela, peut-être, au détriment du petit cochon préféré des spectateurs. Babe, Un Cochon Dans La Ville va s’avérer être une des suites les plus curieuses jamais faites.
L’histoire, de par sa forme, reprend pourtant les aspects du conte initiatique (la voix-off du narrateur et le chapitrage avec les souris sont repris). Après un accident du fermier Hoggett, que Babe a produit maladroitement, ce dernier est immobilisé. Pour payer les factures, sa femme décide de prendre l’avion et d’emmener Babe à un concours de chiens de berger dont le premier prix est une grosse somme d’argent. Suite à un quiproquo, ils n’y parviendront jamais et resteront coincés dans une grande ville, vivant de périlleuses aventures. Adieu verts paturages et bonjour ville inhumaine! Le décor de cette suite est beaucoup plus sombre et agressif, comme pour créer un contraste avec le premier film. D’ailleurs le film lui-même est beaucoup plus sombre et adulte. On se demande parfois si on est vraiment dans un film pour enfants! En fait, ce film est entièrement construit autour de la mise en scène virtuose de George Miller. Un George Miller déchaîné qui enquille des scènes de poursuites échevelées (les chiens errants poursuivant Babe, l’évasion finale et le restaurant) qui rappelle le burlesque, des séquences d’une émotion à fleur de peau et teintées d’une poésie macabre (un chien fait une expérience de mort imminente, la capture des animaux dans la maison est un véritable climax émotionnel à elle seule, d’une noirceur qui a du effrayer le studio, et bercée par une musique déchirante), ainsi que des moments complètement gratuits où Miller asséne au spectateur qu’il n’est plus devant le premier film (comme quand Babe répète sa « formule magique » à moutons aux chiens errants et se voit interrompu et obligé de prendre la fuite!)
On le voit, sur le plan strictement cinématographique, nous avons un trés grand film. Mais voilà, on y perd la fraîcheur du premier et surtout, on se demande si c’est bien le même univers! Babe 2 est un film passionnant, rien que pour ça! Mais Miller n’abandonne ni l’humour bon enfant (certains personnages et certaines situations sont à se tordre), ni l’émotion sincère: dans une scène Babe devient même une figure christique en sauvant de la noyade son ennemi! Toujours la même morale: un coeur pur peut changer (sauver?) le monde. D’autant que Babe bâtit une nouvelle société à la fin du film. Mais le tout baigne dans une profonde mélancolie (voir à ce titre le magnifique personnage de l’orang-outang) qui ne rime pas forcemment avec film pour enfants. Et c’est cela qui a perdu le film. Certains critiques ont déploré la noirceur du film, en oubliant de souligner son brio, et sont passés à côté. De plus, le film est sorti en même temps que 1001 Pattes du studio Pixar. Résultat des courses: Babe, Un Cochon Dans La Ville a fait un flop retentissant. Universal annule un troisième volet que Miller voulait faire (accrochez-vous: Babe, Le Cochon Dans L’Espace!), scellant par-là même la mort cinématographique du cochon le plus populaires des 90′s.
Babe, The Galant Pig et Babe, A Pig In The City, en dvd zone 2 chez Universal.
RESERVOIR DOGS (1991)-Regarde les hommes tomber
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Résumé: Joe Cabot (Lawrence Tierney) et son fils « Nice Guy » Eddie (Chris Penn) montent le braquage d’une banque, afin de voler des diamants qui sont au coffre. Ils engagent six truands qui ne se connaissent pas, autrement que par leurs surnoms: Mr White (Harvey Keitel), Mr Orange (Tim Roth), Mr Blonde (Michael Madsen), Mr Pink (Steve Buscemi), Mr Blue (Eddie Bunker) et Mr Brown (Quentin Tarantino). Mais le coup va foirer. Il semble que les flics étaient prévenus. Qui a trahi? Le réglement de comptes aura lieu dans un entrepôt désaffecté…
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Contexte: Début des années 1990. Un jeune employé de vidéo-club, cinéphile et cinéphage, rêve de tourner ses propres films. Il écrit un scénario, True Romance, qu’il réussit à vendre aux enchères, pour 4000 dollars. Le réalisateur Tony Scott (Top Gun, Le Dernier Samaritain) le réalisera en 1993. Notre jeune scénariste écrit un autre script, Reservoir Dogs, une sorte de variation sur L’Ultime Razzia (1956) de Stanley Kubrick, et qu’il souhaite réaliser lui-même, en amateur. Mais son ami et producteur Lawrence Bender, réussit à faire parvenir le scénario à l’acteur Harvey Keitel (Duellistes, Thelma & Louise) qui en tombe fou amoureux. Keitel décide de co-produire le film et se voit attribuer le rôle de Mr White. Du coup, le film devient un produit indépendant, nanti d’un budget de 4 millions de dollars. Le tournage dure un mois, durant l’été 91. Rapidement monté, il sort à la fin de l’année et obtient des critiques élogieuses ainsi qu’un succés d’estime. Mais c’est sa présentation au Marché Du Film de Cannes, en mai 1992, qui apporte une notoriété à son auteur, Quentin Tarantino. Deux ans plus tard, il brandira fiérement une Palme d’Or, obtenue pour son second long-métrage…
Décryptage: Reservoir Dogs est donc un « petit » film. Vu son budget, Tarantino va droit à l’essentiel. Ainsi, ce qui frappe le plus, c’est qu’il ne montre jamais la scène du braquage commis par les hommes de Joe Cabot. Dicté par les circonstances budgétaires, ce choix va pousser Tarantino à repenser les enjeux de son script et la structure de son récit. Le film sera donc morcelé en deux parties: avant et après le braquage. Mais Tarantino va aller plus loin. En effet, le film fait un aller-retour incessant entre ces deux périodes en bouleversant la chronologie. Ainsi, la scène où l’on voit Joe Cabot attribuer leurs surnoms aux membres de son équipe n’est montrée que dans le dernier quart d’heure du long-métrage. Car Tarantino fonctionne sur le fantasme du spectateur et en joue. Cette scène des surnoms, on l’attendait tous pendant 75 minutes. Comment ces mecs se sont-ils retrouvés affublés de pseudos évoquant des couleurs (Blue, Brown, Blonde, Pink, Orange et White)? Tarantino arrive à créer une mythologie, tout en frustrant le spectateur pendant une bonne partie du film. Ainsi, la révélation de l’identité de la taupe arrive au bout d’une heure. Ensuite, nous avons un long flash-back qui en détaille les « origines ». Cette scène, on ne l’attendait plus vraiment. Tout à coup, Tarantino suspend sa scène centrale de l’entrepôt pour créer une autre icone « mythologique »: le flic infiltré. Les autres flashs-backs nous montrent comment deux autres membres de l’équipe ont été recrutés. Et Tarantino ne choisit pas ces deux personnages au hasard. Il s’agit des deux dont les actions entraîneront le dénouement. Et des deux qui s’opposeront ouvertement, n’ayant pas la même « méthode de travail ».
Mais revenons un instant sur la frustration et le désir que Tarantino provoque chez le spectateur. Le film s’ouvre sur la désormais scène culte du restaurant où huit bonhommes discutent d’une chanson de Madonna et des mérites du pourboire à filer aux serveuses des restaurants. On ne sait ni qui ils sont, ni ce qu’ils font mais Tarantino sait nous intéresser à eux; on a envie d’en savoir plus. Il aurait pu ouvrir son long-métrage sur une fusillade (deux fusillades post-braquages nous seront montrés en flash-back plus tard). Non, il l’ouvre sur cette longue scène de discussion à table (une de ses marques de fabrique, ce genre de scène, en début ou non de film!) et embraie sur…la scène où White transporte Orange, griévement blessé, en voiture. Comment est-on passé de cette scène de discussion « paisible » à ce « drame »? Ou comment créer du suspens avec trois fois rien, juste en jouant sur la structure du récit. Cet état de fait se maintient pendant tout le reste du film. Si Tarantino avait raconté son film dans « l’ordre », peut-être aurions-nous eu moins de plaisir à le suivre….Peut-être….
Mais Reservoir Dogs est un film tellement réussi qu’on en doute! Les dialogues sont ciselés au mot près et sont de véritables tirades comiques. Le suspens et la tension sont constants. La réalisation de Tarantino est parfaitement maîtrisée. La violence éclate de façon soudaine et brusque (à noter une scène de torture hypnotisante et terrible, désormais culte). Quant aux acteurs, ils sont tous excellents (mention spéciale à Michael Madsen dont la cool attitude apparente semble cacher les plus noirs instincts). Ils ont du plaisir à jour ces rôles et à se donner la réplique; cela se ressent à l’écran. Ils plaisantent comme de vieux amis. Ils jubilent à jouer les truands de cinéma. Le plaisir du cinéma! C’est exactement ce qui anime Tarantino. Une séquence de Reservoir Dogs le prouve. Il s’agit du moment où le flic infiltré doit apprendre une anecdote et savoir la raconter en public, pour pouvoir être crédible aux yeux des malfrats. Cette scène a un double niveau de lecture. Sur le plan « making of », on voit carrément l’acteur répéter son rôle! Sur le plan narratif, un flic apprend une histoire et la raconte en public. Pour être crédible, il doit s’auto-persuader de l’avoir vécue. On le voit en « représentation », seul, dans son appartement puis devant son supérieur et enfin devant les truands. Mais Tarantino pousse loin le délire. Ensuite, il y a un flash-back où on voit ce type vivre la situation qu’il raconte. Un flash-back mensonger donc, qui nous montre une histoire qui n’a jamais eu lieu! C’est comme si il y avait un film dans le film. Le flic se projette (et se fantasme) en truand dans un film issu de son imagination. Et les autres qui l’écoutent, se font leur film dans leur tête en écoutant le « narrateur ». Comme si, ils étaient assis dans une salle de cinéma (d’ailleurs, ils sont assis dans un bar) et se tapaient un bon film! Exactement comme nous devant Reservoir Dogs! D’ailleurs, une fois présenté, le personnage du flic joue au truand, y prend plaisir même (il se prend pour un héros de cinéma). Mais il prend aussi plaisir (il suffit de regarder le sourire et le regard de l’acteur qui l’incarne) à regarder ses « complices », comme un spectateur devant un film de gangsters. Tarantino met en scène sa propre jubilation à faire du cinéma et le plaisir des spectateurs devant son film, à travers une mise en abyme géniale. La route vers Pulp Fiction est toute tracée…
Reservoir Dogs de Quentin Tarantino, en dvd zone 2 chez Metropolitan.