SIGNES (2002)-Le créateur
Résumé: Graham Hess (Mel Gibson) est un ancien pasteur ayant perdu sa foi en Dieu. Depuis le décès de sa femme, six mois plus tôt, il vit avec ses deux enfants, Morgan (Rory Culkin) et Bo (Abigail Breslin). Son frère cadet Merrill (Joaquin Phoenix) a décidé d’aller habiter avec lui pour l’aider. Un matin, la petite famille découvre stupéfaite qu’une partie de leurs champs de maïs a été vandalisée d’une bien étrange façon: les plants de maïs ont été pliés et semblent former d’étranges signes vus du ciel. En regardant les infos, les Hess découvrent que ce phénomène est mondial. Canular ou réelle menace? Dans sa petite maison de la campagne pennsylvanienne, Graham va devoir protéger sa famille. Il devra aussi faire face à ses propres démons personnels.
ATTENTION, NE LIRE QU’APRES AVOIR VU LE FILM!
Signes est le quatrième long-métrage de M. Night Shyamalan. Après le succès de Sixième Sens (1999)et Incassable (2000), il poursuit dans la veine du thriller fantastique. Jusqu’à La Jeune Fille De L’Eau (2006), les films de ce réalisateur obéissent au même schéma narratif: un twist final révèle que le film que nous regardions était double, qu’il y avait quelque chose que nous ne voyions pas mais qui était là. Le secret principal de Sixième Sens ne concerne pas le gamin mais le personnage de Bruce Willis, celui d’Incassable ne concerne pas le personnage principal mais celui de Samuel L. Jackson, celui du Village (2004) ne concerne pas la nature des créatures mystérieuses mais le village lui-même, celui de La Jeune Fille De L’Eau ne concerne pas la jolie naïade mais les habitants de l’immeuble où elle a atterri. Il y a toujours une autre histoire parallèle à l’intrigue principale. Signes ne fait pas exception à la règle. Son secret ne concerne pas la nature de la menace mais le personnage de Mel Gibson qui détient, sans le savoir, une information capitale pour la survie des siens.
A l’époque de la sortie de Signes, Shyamalan est au zénith de sa popularité, tant vis à vis du public que de la critique. Signes, bien qu’il soit un immense carton mondial et le dernier vrai grand succès de son auteur au box-office, est le film qui va amorcer son « déclin » et va marquer une fracture entre lui et le grand public. C’est le film du divorce. Il y a désormais, après la quasi unanimité autour de Sixième Sens et Incassable, deux camps: les pro et les anti-Shyamalan. Au fil des années, les antis deviennent plus nombreux, bien que le réalisateur conserve un solide socle de fans de la première heure. Pourquoi Signes a t’il marqué une rupture dans la relation que Shyamalan entretenait avec le public? Peut-être parce que le film n’était pas ce qu’il prétendait être, soit un film de trouille sur fond d’invasion extraterrestre? Peut-être que le public attendait un Sixième Sens bis? Ou un twist final aussi surprenant que dans ce dernier ou Incassable? Peut-être un peu de tout ça. Une majorité du grand public a été déçu par Signes. Mais c’est avec Le Village, deux ans plus tard, que les choses se gâteront encore plus pour Shyamalan.
Pourtant du début à la fin, et comme dans Sixième Sens et Incassable, Signes témoigne d’une grande maîtrise formelle et d’un solide talent d’écriture. Shyamalan écrit ses propres scénarios et offre toujours des histoires originales et assez surprenantes. Il est aussi très doué pour nous décrire des personnages forts et terriblement humains. Ici, c’est Graham Hess (Mel Gibson, sobre et bouleversant) auquel le spectateur s’identifie. C’est un homme en colère contre Dieu car ce dernier lui a pris sa femme. Il a quitté son ministère et semble mal à l’aise quand les gens continuent à l’appeler « mon père ». Il refuse de dire les prières avant chaque repas, ce qui nous vaut une magnifique scène juste avant la fin du film où les personnages laissent enfin libre cours à leur chagrin, pour mieux commencer à faire leur deuil. Les relations entre Graham et ses deux enfants sont touchantes. Joaquin Phoenix apporte aussi beaucoup de sensibilité et de gaucherie à son personnage, une ex-star du baseball au chômage qui se sent inutile. Une discussion entre les deux frères, au sujet de la foi et du destin, reste l’une des plus belles séquences écrites par Shyamalan. On y sent beaucoup d’émotion, ainsi qu’une pointe d’humour malicieux dont est coutumier le cinéaste d’origine indienne (ici, l’ « incident » du cinéma relaté par Joaquin Phoenix).
La réalisation de Shyamalan est, une fois de plus, inspirée. Le cinéaste a un véritable don pour faire peur avec trois fois rien: une porte fermée, du vent, des végétaux qui bougent, un chien qui aboie, une ombre sous une porte, une silhouette dans la nuit, etc. Shyamalan s’inscrit ici dans une tradition filmique héritée de réalisateurs tels que Hitchcock ou Spielberg (deux cinéastes qu’il vénère d’ailleurs). Shyamalan ne montre jamais de plein pied, il préfère suggérer. Il utilise, avec talent, tous les ressorts possibles pour cela: reflets, réaction des personnages filmées plutôt que ce qui fait peur, scène peu éclairée (juste une lampe torche dans une des scènes de Signes), mouvement de caméra déplaçant le regard du spectateur pendant que la menace reste en fond sonore, filmer un mur avec un léger travelling latéral pour suggérer les déplacements de quelque chose derrière, les doigts d’une main passant sous une porte, une main passant par un soupirail… Les mouvements de caméra sont fluides et précis. Shyamalan n’oublie pas non plus ses personnages qu’il aime bien filmer en plan serré ou isolés dans le cadre pour accentuer l’angoisse. Bref, la « méthode » Shyamalan marche du tonnerre. La scène de la cave dans ce film est, par exemple, assez anxiogène! Au passage, on peut aussi y voir un clin d’oeil à La Nuit Des Morts-Vivants.
Mais c’est surtout d’un point de vue thématique que le film est surprenant. Bien sûr, comme vous le savez, les signes du titre ne sont pas que ceux laissés par des extraterrestres malintentionnés, mais aussi ceux du destin et du hasard. Lors du twist final, Graham se rend compte que sa femme, à l’agonie, a eu une vision de ce qui attendait sa famille, six mois plus tard. En s’en souvenant et en l’interprétant, Graham sauve la vie de son fils. L’accident de sa femme n’est pas seulement un drame malheureux, c’est aussi un évènement nécessaire dans l’ordre des choses. Graham retrouvera, grâce à cela, sa foi. Car Signes n’est pas l’histoire d’une invasion extraterrestre, c’est l’histoire d’un homme qui retrouve la foi et revit, faisant la paix avec lui-même. Mais il y a quelque chose d’encore plus intriguant dans Signes. Et cela est du à un des personnages secondaires du film.
Ce personnage s’appelle Ray. C’est le vétérinaire de la petite ville où habite Graham. C’est aussi l’homme qui a causé la mort de sa femme. En effet, Ray s’est endormi quelques secondes au volant et a percuté la femme de Graham qui marchait au bord de la route. Lors d’une scène émouvante, il fait part de ses regrets et de son sentiment de culpabilité à Graham qui lui pardonne, très ému. Ray s’accuse d’avoir trop travaillé ce jour-là et de s’être endormi au volant, écrasé de fatigue. Il lui dit aussi que s’il s’était endormi à un autre moment, jamais cela ne serait arrivé. Ray s’endort donc au moment où son chemin va croiser la femme de Graham, du fait de cet accident elle a une vision qui permettra de sauver la vie de son fils, six mois plus tard. Tout était lié, tout semblait écrit. Mais là où Shyamalan fait fort, c’est en interprétant lui-même le personnage de Ray!
Nous avons donc l’auteur de Signes qui intervient lui-même dans son film. Et pour jouer qui? L’instrument du destin, celui qui est à l’origine du happy-end du film. La scène où il se « confesse » à Graham prend alors une autre dimension. Un personnage de fiction rencontre son créateur qui lui avoue avoir tué sa femme, sans le vouloir. « Parce que c’est comme ça que l’histoire m’est venue, je suis désolé. Là, je joue un personnage secondaire qui va te rappeler la mort de ta femme afin que cela entraîne un processus qui t’amène à te souvenir de ce qu’elle t’a dit ». En gros, c’est ça! Mais cela va encore plus loin! Ray lui indique qu’il a enfermé un alien dans son cellier et s’en va. Graham sera amené à lui couper deux doigts. Et cet alien, visiblement revanchard, sera celui qui menace son fils à la fin. En gros, Shyamalan indique à son héros: « Voilà, j’ai enfermé (donc créée) ce personnage uniquement pour qu’il serve à la fin du film, alors vas-y, va le voir. » Shyamalan, dans son propre film, se balade comme le créateur au milieu de sa création. Il se permet de disserter sur son rôle. C’est lui qui a imaginé la mort d’une femme et un alien enfermé pour avoir les éléments de sa fin qui vont mener son personnage principal à une forme de « rédemption ». Culoté! Dès lors, tous les signes du film viennent de son auteur, qui semble prévenir ses héros: « regarde ta fille qui entrepose les verres remplis d’une eau contaminée, regarde la batte de baseball, Merrill t’était plus un cogneur qu’un frappeur, l’asthme de ton fils c’est aussi une idée à moi pour lui sauver la mise, tout comme la mort de ta femme etc ».
Signes peut alors être vu comme une « métafiction », qui nous parle du processus de création chez un artiste. Je vous invite vivement à revoir les films de Shyamalan, et à y chercher tout ce qui parle de fiction et de création, surtout de Sixième Sens à La Jeune Fille de l’Eau. On a accusé Shyamalan, à partir de ce dernier, d’être devenu soudainement prétentieux. Alors oui, il l’était peut-être un peu mais alors, c’était depuis le début. Et surtout personne n’a su voir la portée de son œuvre….
Signes est donc l’un des films fantastiques les plus réussis et singuliers des années 2000. C’est aussi un film de son temps. L’un des premiers de l’ère post 11 septembre à réfléchir sur le rôle des médias et comment nous en devenons dépendants. Dans Signes, les personnages sont scotchés à leur télé et acceptent pour vrai tout ce qu’ils y voient. La première fois qu’on voit un alien en entier, c’est par le biais d’une vidéo amateur diffusée à la télé (la réaction de Joaquin Phoenix est hilarante!). Remarquable aussi de voir comment ce qui était jusque là une créature cathodique prend pied dans la réalité. L’alien final est d’abord révélé par son reflet sur l’écran de la télévision éteinte, avant de nous être dévoilé. Ce n’est pas une invasion extraterrestre, c’est une invasion télévisuelle au sein du foyer!
Enfin, le film s’ouvre sur une vue en trompe l’œil ( à travers une vitre) de la cour d’un jardin. C’est là qu’aura lieu la fin du film. Ensuite, le personnage de Mel Gibson s’éveille en criant. Aurait-il rêvé à la fin de son histoire, avant de l’oublier? A la fin, le même plan est répété mais la vitre est brisée. Manière de dire, pour Shyamalan: « Là aura lieu la fin du film » et « Maintenant, le film est terminé »?
Signs, de M. Night Shyamalan, avec Mel Gibson et Joaquin Phoenix, DVD et Blu-Ray chez Touchstone Entertainment
LE METEORE DE LA NUIT (1953)-L’enfer, c’est les autres
Une nuit d’été en Arizona. L’astronome John Putnam (Richard Carlson) et sa fiancée Ellen Fields (Barbara Rush) sont témoins de la chute d’un météore dans le désert. Ils se rendent sur les lieux. En descendant dans le cratère, John manque de périr dans un éboulement. Mais il est sûr d’avoir vu une sorte de vaisseau spatial, juste avant que ce dernier ne soit enseveli sous un amoncellement de pierres et de rochers. Personne ne le croit, sauf Ellen, mais elle le fait plus par fidélité que par conviction. Les jours suivants, d’étranges évènements se déroulent qui amènent John à se demander si des extra-terrestres ne se cacheraient pas aux abords de sa petite ville, voire parmi ses habitants. Passant pour un fou, il décide d’enquêter, aidé d’Ellen.
Attention! Il est conseillé de voir le film avant de lire ce qui suit.
It Came From Outter Space (titre original) est adapté de la nouvelle The Meteor de l’écrivain de SF Ray Bradbury (Fahrenheit 451, Chroniques Martiennes). Il s’agit du premier film fantastique réalisé par Jack Arnold pour le compte du studio Universal. Le réalisateur livrera ensuite des classiques comme Tarantula, L’Etrange Créature du Lac Noir ou L’Homme Qui Rétrécit. A l’origine, ce Météore de la Nuit était exploité en 3D. De nombreux effets de jaillissements divers émaillent le film et les spectateurs de l’époque en étaient impressionnés. Lors d’une projection, pendant la scène de l’éboulement, des fausses pierres en caoutchouc étaient même envoyées en direction du public! Le genre d’effets qu’un réalisateur comme William Castle saura exploiter par la suite. Malheureusement, le spectateur d’aujourd’hui, qui insère son DVD ou son Blu-Ray dans un lecteur, perd tous les effets 3D (jaillissements ou profondeur de champ). Néanmoins, même en version « plate », le film de Jack Arnold est loin d’être plat et s’impose comme l’une des meilleures séries B américaines des années 1950. Quant à Jack Arnold, il devient un modèle dans la catégorie des cinéastes tirant le meilleur parti d’un budget modeste.
Si vous avez vu le film, vous le savez: John Putnam n’est pas fou, il y avait bien des extra-terrestres dans le météore. Le film s’inscrit donc parfaitement dans le cadre d’une série B de l’époque, au sujet qui passionne les spectateurs d’alors: celui de l’invasion extra-terrestre (La Guerre Des Mondes sort la même année). Arnold livre un film certes court (77 minutes) mais redoutablement efficace. Tout y est: le héros idéaliste seul contre tous, sa jolie fiancée, les habitants hostiles de la ville, le shérif inefficace….et les méchants aliens. Tout ce qui fait le charme des séries B de l’époque est donc bien présent. Le style d’Arnold est parfait dans le genre, tout est cadré et monté au millimètre. Le suspense agit sur le spectateur, contrat rempli! Arnold s’autorise aussi des expérimentations réussies comme cette vue subjective de la caméra qui nous fait épouser le point de vue des extra-terrestres; elle renvoie à l’unique œil dont sont pourvus les créatures de l’espace. Les mouvements de caméra sont précis et élégants. Rien ne dépasse. Mais le film n’est pas qu’un film de studio calibré.
Les extra-terrestres peuvent prendre forme humaine et dupliquer les êtres humains qu’ils kidnappent. Inédit pour l’époque, ce gimmick sera repris quantité de fois dans d’autres film. Dans le film qui nous occupe, cela nous vaut des scènes étranges et bizarres. Des personnages sont mis face à leurs propres doubles, par exemple. Et comment oublier ces deux faux employés du téléphone qui déambulent comme des zombies et qui se cachent dans un couloir exigu, derrière une porte d’entrée? Quand le héros leur fait face, un malaise s’installe….Arnold installe une ambiance assez malsaine dans certaines scènes. Nous avons vu au début que le héros est partagé entre sa passion (l’astronomie) et son amour pour sa fiancée. Il n’arrive pas à s’engager avec elle et à lui demander de l’épouser. Il a l’impression que cela prendra sur son temps, sans doute. A la fin, inconsciemment, il fait son choix. Pour se défendre, il tue l’alien qui avait pris la forme de sa fiancée et continue son chemin vers le vaisseau, au fond d’une mine. Symboliquement, il a tué sa fiancée et choisit sa passion: l’astronomie. Mais une passion peut vite devenir un poison, si on s’y enferme et qu’on se coupe des autres. Le chef des extra-terrestres, qui fait face à John, a revêtu sa propre forme. John se retrouve donc face à une version de lui froide et deshumanisée qui ne semble préoccupée que de science et d’exploration spatiale. A la fin du film, John a retrouvé sa fiancée. Il sait qu’il l’aime et tient à elle. Mais il ne renonce pas à sa passion et regarde le ciel , en prédisant qu’ « ils » reviendront. Le dilemme de l’homme moderne partagé entre la vie au foyer et ses rêves secrets….
L’autre aspect intéressant du film, c’est qu’il est complètement à contre-courant de l’idéologie des films SF de l’époque. Nous sommes alors en plein maccarthysme et la chasse aux communistes (véritables ou simples sympathisants) est ouverte. Dans les films, la menace extra-terrestre, c’est le communisme qui veut envahir l’Amérique, c’est l’autre, cet être différent de nous avec ses idées bizarres…Dans le Météore de la Nuit, les extra-terrestres sont finalement pacifiques. Ce sont les humains qui se montrent hostiles face à l’inconnu, face à l’étranger. Tout ce que veulent les extra-terrestres, c’est trouver de quoi réparer leur vaisseau et repartir (une idée dont saura se souvenir J.J Abrams pour Super 8). Ils kidnappent des gens (qu’ils ne tuent pas) pour prendre leur forme et faire leurs petites occupations tranquilles. Leur chef le dit à John: ils sont trop différents et effraieraient les humains sous leur véritable forme. Car ils sont laids, selon nos critères (trapu, visqueux, avec un seul oeil bien globuleux). Et nous détestons ce qui est différent, ce qui ne répond pas à un idéal de beauté. Ce n’est pas tant le communisme qui dérange, à l’époque, que ce qui n’est pas dans la norme, ce qui n’est pas conforme à la société. A la fin du film, John doit empêcher un groupe d’hommes armés d’arriver au vaisseau, sinon, les extra-terrestre sauront obligés de se défendre et vu le niveau de leur technologie…
Jack Arnold était terrifié par le maccarthysme. Sans être lui-même communiste, il parle de « l’une des pires périodes » de son pays quand il l’évoque. Avec ses aliens pacifiques et son shérif benêt, jaloux (il est amoureux d’Ellen, donc jaloux de l’intellectuel et de l’idéaliste qu’est John) et porté sur la gâchette, on voit où va la préférence d’Arnold. Sous les dehors d’une simple bande SF du samedi soir, son film est beaucoup plus subtil qu’il n’y parait…
It Came From Outter Space, de Jack Arnold, Universal Video.
1953, c’est aussi l’année de Invaders From Mars et de La Guerre Des Mondes, sur un sujet similaire. Sauf que là, les extra-terrestres sont bien une menace…
LES DISPARUES-Memories of murders
Entre 1995 et 2001, quatre jeunes femmes disparaissent dans le secteur de la gare, à Perpignan. Elles s’appelaient Tatiana, Mokhtaria, Marie-Hélène et Fatima. Si Tatiana ne sera jamais retrouvée, les trois autres le seront. On retrouvera leurs cadavres mutilés, en 1997, 1998 et 2001. Cette affaire, dite des « disparues de la gare » ou « disparues de Perpignan », est restée un mystère pendant plus d’une quinzaine d’années. Si un suspect est désormais sous les verrous, confondu par son ADN, il reste des zones d’ombre…
Ce livre n’est pas une fiction, ce fait divers est réel, il a défrayé la chronique à la fin des années 1990. L’affaire des disparues de la gare a crée une véritable psychose à Perpignan. Elle a même généré des légendes urbaines toutes aussi folles les unes que les autres. Les légendes urbaines justement, c’est par ce biais que le journaliste Thibaut Solano s’intéresse à l’affaire. Ce jeune journaliste corrézien, qui a travaillé au journal La Montagne à la rubrique Faits Divers, est un passionné de légendes urbaines, ces récits complètement faux qui s’enracinent dans l’opinion publique et finissent par devenir vrai aux yeux des gens. En écrivant un article dessus, il tombe sur une de ces légendes qui l’intrigue: un tueur déguisé en grand-mère et qui assassine des jeunes filles. L’analogie avec le petit chaperon rouge est flagrante. Mais cette légende urbaine est particulièrement vivace, depuis plus d’une décennie, du côté de Perpignan. Pourquoi? En cherchant, Thibaut Solano découvre qu’elle est apparue juste au moment de l’affaire des disparues de la gare. Elle en est l’émanation et a contribué à la psychose générale. Solano se documente sur l’affaire. Celle-ci finit par l’accrocher. Il décide de faire son enquête et d’écrire un livre dessus.
Le travail du journaliste/enquêteur est remarquable. Son récit est minutieux, précis et documenté. Solano est allé sur les lieux du drame, a interrogé presque tous les témoins et livre un travail remarquable. On a presque l’impression de lire un roman. Le style de l’auteur est parfait. Il retranscrit tous les détails avec talent. Tout sonne juste: chaque personnage croisé, chaque lieu visité, chaque relation de meurtre, chaque détail de l’enquête. Même le portrait psychologique des victimes et des assassins, véritables ou potentiels, est d’une parfaite exactitude. Solano aère son récit de chapitres à la première personne où il nous raconte son enquête sur les lieux, en 2013, 2014 et 2015. Il s’autorise alors des passages où il nous livre son état d’esprit, où les descriptions se font plus romanesques, où les références à la culture populaire viennent ponctuer le récit.
A la glaçante reconstitution des faits, Solano ajoute la chronique de l’obsession. Car il finit par devenir hanté par cette histoire et par le visage des victimes. N’importe qui ayant écrit un livre sur ce genre d’affaire ressent la même chose. Et cette obsession croise celle des enquêteurs. Ces policiers qui enquêtent sans relâche sur les crimes de sang et qui ne baissent jamais les bras, même après dix ou quinze ans. Cette obsession ils la transmettent même à leurs successeurs quand l’heure de la retraite sonne. Ce livre est le leur aussi. C’est l’histoire de ces hommes qui traquent les monstres et qui perpétuent la mémoire des victimes. Grâce à l’auteur, nous pénétrons leur travail et leur état d’esprit. Nous enquêtons avec eux, nous réfléchissons avec eux. L’affaire des disparues a généré son lot d’indices (pertinents ou non) et son lot de faux coupables. Tout est là, du portrait pathétique de suspects minables et/ou inquiétants au moindre témoignage qui pourrait faire basculer l’enquête.
Mais ce livre, c’est surtout celui des victimes, ces jeunes filles assassinées (ou disparue pour l’une d’entre elles) qui réclament justice. Elles avaient toutes un point en commun: elle voulait fuir leur quotidien morose. C’étaient des jeunes filles indépendantes d’esprit et qui voulaient vivre selon leurs désirs. C’est l’éternelle histoire des jeunes filles insoumises et qui rencontrent un monstre qui leur coupe les ailes. C’est l’éternelle histoire des hommes violents qui détestent les femmes. C’est l’éternelle histoire des pulsions malsaines masculines incontrôlées. L’éternelle histoire de l’innocence martyrisée. L’éternelle histoire de femmes assassinées par des hommes violents ou simplement perturbés.
A y réfléchir, il y a deux affaires dans l’affaire, deux meurtriers différents (un tueur occasionnel et un meurtrier en série). Une première arrestation en 2001 et une autre en 2014 semblent tout régler. « Semblent », car il reste des questions sur l’homme arrêté en 2014 et sur son parcours avant les meurtres de Perpignan, notamment. Et surtout, il reste Tatiana, disparue en 1995 et jamais retrouvée. Les deux suspects arrêtés semblent n’y être pour rien (l’un était incarcéré en 1995, l’autre nie farouchement). Alors, l’épilogue n’est toujours pas écrit. Et même le futur procès ne risque pas de l’écrire définitivement…
Ce livre est avant tout celui de Tatiana, Mokhtaria, Marie-Hélène et Fatima ainsi que de toutes les victimes de monstres.
Note: 4,5/5
Les Disparues de Thibaut Solano, 425 pages, éditions Les Arènes, 2016
INSTINCT DE SURVIE-La bimbo et le grand blanc
En 1975, Steven Spielberg débutait Les Dents De La Mer par l’attaque violente d’une baigneuse par un requin invisible aux yeux du spectateur. La scène se montrait aussi traumatisante qu’une agression sexuelle. En 2016, Jaume Collet-Serra (La Maison de Cire, Esther) débute son film de requin par un gamin qui trouve une vidéo sur une plage. En appuyant sur Lecture, le môme voit des surfeurs s’amuser dans l’eau et un requin fonçant, gueule ouverte, vers l’objectif. Cette scène d’introduction ratée n’installe aucune frayeur chez le spectateur. Au contraire du film de Spielberg, Collet-Serra choisit un début anodin et insipide. Il embraie ensuite sur une jolie surfeuse américaine (Blake Lively) parti faire du surf sur une plage secrète du Mexique. On la voit parler par écran interposé à sa sœur et à son père et consulter des photos de sa maman décédée sur son smartphone. Le réalisateur se montre même incapable de filmer simplement son héroïne marchant sur la plage, en proie au doute, sans parasiter l’écran avec les vidéos du smartphone. Enervant et symptomatique de l’époque. On a l’impression d’assister à la mort du cinéma.
Heureusement, dès que son héroïne se fait attaquer par un grand requin blanc et se retrouve isolée sur un rocher, à 200 mètres de la plage, le réalisateur arrive à installer une tension et ménage ses effets (assez chocs) avec un certain bonheur. Filmant son actrice principale sous toutes les coutures (il faut dire que Blake Lively est canon), il soigne ses plans et ses cadrages, installe un rythme paisible faussement trompeur, s’appuie sur une photo magnifique (l’usage de la couleur rouge est bien vu) et livre des moments « bizarres » réussis (le cadavre de la baleine et la menace qui en découle, Blake Lively commençant à perdre pied au milieu de son propre sang, le ban des méduses multicolores). Si on excepte l’amitié gnangnan entre la surfeuse et une mouette (non mais sérieux…), c’est plutôt réussi. D’autant que les attaques du squale sont spectaculaires, même si, une fois de plus, le comportement à l’écran du requin n’a rien à voir avec la réalité!
Malheureusement, d’un film angoissant et prenant, on en arrive aux rives du navet avec une dernière partie ridicule et hilarante qui fait tout retomber: requin déchiquetant du métal, héroïne avec une jambe bousillée qui nage comme Laure Manaudou, requin jusque là intelligent qui devient subitement bête comme ses pieds et mise à mort consternante. On se croirait dans un Bis italien type La Mort Au Large! Cerise sur le gâteau, on nous sert un épilogue familial dégoulinant à souhait de mièvrerie. Vous l’avez compris, Spielberg peut dormir tranquille…
Note: 2/5
The Shallows, de Jaume Collet-Serra, avec Blake Lively, en salles depuis le 17 août.
LES DENTS DE LA MER (1975)-Eaux profondes
La petite station balnéaire d’Amity, quelque part sur la côte nord-est des Etats-Unis, est victime des attaques d’un grand requin blanc. Le shérif Brody (Roy Scheider) veut faire fermer les plages, ce que se refuse à faire la municipalité de la ville, plus préoccupée par l’argent qu’amène les touristes dans le tiroir-caisse. Il faudra plusieurs drames pour que Brody ait enfin toute latitude pour se débarrasser du squale. Il sera épaulé par l’océanographe Matt Hooper (Richard Dreyfuss), spécialiste des requins, et par Quint (Robert Shaw), un pêcheur qui a un vieux compte à régler avec les requins.
On ne présente plus Jaws (titre original du film, qui signifie « mâchoires » en anglais), immense succès de l’été 1975, premier film à atteindre la barre des 100 millions de dollars de recettes au box-office américain (ce qui en fait le premier blockbuster estival de l’histoire du cinéma), traumatisme mondial qui a terrifié les spectateurs au point de créer une véritable psychose sur les plages, film qui a véritablement lancé la carrière cinématographique de l’un des plus grands cinéastes mondiaux, Steven Spielberg, et qui a donc, bien involontairement, lancé la mode du blockbuster estival aux Etats-Unis, deux ans avant le Star Wars de George Lucas. Le succès sera tel que le film ne cessera jamais d’être copié, pour le meilleur (Pirahnas de Joe Dante) et pour le pire (La Mort au Large de Enzo G. Castellari), et que Universal mettra en chantier trois suites (1978, 1983 et 1987) dont la qualité ira decrescendo jusqu’au catastrophiquement nul (et hilarant) Les Dents de la Mer 4-La Revanche, réalisé par un Joseph Sargent qui s’en est mordu les doigts!
A l’heure où Blake Lively va appâter de ses formes le grand requin blanc, repenchons-nous sur le film culte de Spielberg, film matrice de l’attaque marine et du film de requins, qui, 41 ans après sa sortie, demeure un modèle indétrônable du genre. L’un des plus grands films d’horreur de tous les temps (si, si, j’insiste!) a bien failli boire la tasse lors de son tournage. Il serait long et fastidieux de revenir sur toutes les avanies du tournage (pour ceux qui voudraient en savoir plus, procurez-vous le hors-série Mad Movies sur la saga Jaws, en kiosques depuis début juillet), néanmoins certains points méritent d’être précisés. Tout d’abord, le film est adapté d’un roman de Peter Benchley, Jaws, paru en 1973. Le roman récolte, à sa parution, de mauvaises critiques et ne fait pas de grosses ventes. Mais, le bouche à oreille du public se met à fonctionner petit à petit jusqu’à l’immense carton de l’édition de poche. Universal achète les droits et commande un scénario à Peter Benchley. Peu au fait de l’écriture scénaristique (il l’avoue sans honte), il accepte que le scénario soit révisé par le scénariste Carl Gottlieb (qui officiera aussi sur les épisodes 2 et 3 de la saga Jaws). Universal cherche un réalisateur et jette son dévolu sur le réalisateur du cauchemardesque Duel (1971), téléfilm qui a terrorisé bon nombre d’automobilistes avec son camion fou. Jaws sera donc le deuxième long-métrage de cinéma du jeune Steven Spielberg (26 ans à l’époque) après le méconnu et sublime Sugarland Express (1974) qui a fait un véritable bide au box-office. Pour les effets spéciaux de Jaws, on construit plusieurs requins mécaniques qui semblent marcher à la perfection…jusqu’à ce qu’on les mette dans l’eau où ils sont victimes de pannes à répétitions (l’un d’eux coulera même à pic!). Spielberg, ne pouvant mettre en boîte le schocker horrifique sanglant qu’il envisageait, va devoir complètement changé son fusil d’épaule et adapter sa réalisation en conséquence.
Ne pouvant filmer toutes les attaques du requin de plein pied, Spielberg décide de faire le film « à la Hitchcock ». Il va cultiver la suggestion, l’attente et ne montrer que les conséquences des attaques violentes du squale sur ses victimes. La première scène du film (violente et traumatisante pour l’époque) voit une jeune fille, prenant un bain de minuit, se faire attaquer et tuer par le requin. On la voit juste hors de l’eau criant, se débattant et trainée par le requin qu’on ne voit pas, jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans les eaux sombres de l’océan. Dés lors, il suffira à Spielberg de filmer l’océan pour instiller l’angoisse et la paranoïa chez le spectateur qui sait désormais qu’il y a un monstre tapi sous l’eau. A l’angoisse, vient aussi se mixer une forme d’humour noir. Pour l’attaque qui va précipiter Amity et le shérif Brody dans la terreur, Spielberg s’amuse à filmer, sur la plage bondée, un homme promenant son chien, un enfant qui va à l’eau, un vieillard qui en sort…Qui le requin va t’il attaquer? Une angoisse insidieuse monte et il suffit à Spielberg de montrer une gerbe de sang, une foule paniquée et un collier de chien flottant sur l’eau pour susciter l’effroi, à l’aide de mouvements de caméra précis et d’un montage (due à Verna Fields, monteuse du Psychose de Hitchcock) tranchant. La scène des deux pêcheurs appâtant le requin au clair de lune commence à faire rire avant que la peur (symbolisé par un bout de bois changeant de direction sur l’eau) n’intervienne. Il faudra attendre l’attaque de l’estuaire pour enfin apercevoir, fugacement, le requin, sous l’eau, happant une victime (avec un joli rouge sang qui se répand sur l’eau) mais là encore, Spielberg filme les victimes potentielles pour faire monter la sauce: d’innocents enfants sur un petit voilier. Enfin, la peur dans le film est aussi véhiculée par la musique de John Williams qui, avec seulement deux notes de musique anxiogènes sur le rythme d’un battement de cœur qui s’affole, crée l’un des thèmes les plus efficaces et connus du 7ème art. Williams recevra l’oscar en 1976 pour cette musique, l’un des deux oscars du film avec celui attribué à Verna Fields pour le meilleur montage.
Pendant des années, Spielberg sera mal à l’aise avec Jaws. Sans le renier, il parlera, pour qualifier sa mise en scène, de « trucs et astuces » pour faire réagir le public. Le film ne lui ressemble pas, il n’a rien de personnel, c’est une commande. Bien sûr, Spielberg était frustré de ne pas avoir un vrai film de monstre comme il le voulait. Il faudra attendre près de 20 ans (et Jurassic Park, formidable synthèse entre l’art « hitchcockien » du suspense et l’efficacité du film de monstre spectaculaire) pour que Spielberg reconnaisse que Jaws l’a considérablement fait progressé sur le plan technique. Pourtant, Jaws reste un film « spielbergien » quoique son réalisateur en pense. Le film est loin d’être aussi cynique que Jurassic Park-Le Monde Perdu (monument de cynisme des années 1990, blockbuster très méchant, à l’instar du Starship Troppers de Paul Verhoeven).
C’est dans le traitement des personnages qu’on peut reconnaître Spielberg dans ce film. Bien sûr, le personnage de Matt Hooper (incarné par le facétieux et génial Richard Dreyfuss) fait figure de grand enfant jovial et limite inconscient du danger pour sa propre vie, tout entier dévoré par sa passion pour les requins…qui remonte à un incident de son enfance! Bien sûr, on retrouve les relations père/fils chères à Spielberg à travers Martin Brody et ses deux fils, Michael et Sean et il faudra que ces derniers soient attaqués pour que Brody se mut en homme d’action. Mais c’est bien le personnage de Martin Brody (excellent Roy Scheider) qui intéresse le plus Spielberg. Brody, fuyant la violence de New-York, s’est installé à Amity avec sa famille. Malheureusement, comme plus tard dans la Guerre des Mondes, on ne peut pas éternellement se cacher de la violence du monde, elle vous rattrape…
Brody est aquaphobe. Il a peur de l’eau. Pourquoi s’installer à Amity? Pour affronter sa peur? On ne saura jamais vraiment. Comme le héros de Duel, Brody est un homme faible, visiblement trop materné (castré?) par sa douce et aimante épouse. Il subit. Il ne cherche pas vraiment à dompter sa phobie de l’eau. Le premier plan où on le voit est symbolique. Il se lève de son lit. Il est de dos. Il semble regarder par la fenêtre assis au bord du lit conjugal. Auparavant, nous avons vu ce qu’il y avait derrière cette fenêtre: l’océan. Dès sa première scène, le personnage est face à son antagoniste. L’ennemi de Brody n’est pas le requin, c’est l’eau (le requin est l’ennemi intime de Quint, par contre). Brody est un homme faible de la midle class. Quand sa femme l’accompagne au bateau de Quint, ce dernier, homme viril et divorcé trois frois (donc libre), se moquera d’elle en chantant une chanson paillarde. Place aux hommes, poulette! Sur l’océan, Quint détruit la radio avant que Brody puisse finir un appel. Détache toi de ton confort et sois un homme! Et Brody, petit garçon perdu aux mains du capitaine Crochet Quint, deviendra un homme, domptera sa peur de l’eau et tuera le monstre, lui faisant face. Il poussera le même cri bestial final que le héros de Duel.
Aux deux hommes-enfants Brody et Hooper, est adjointe une figure paternelle: Quint (l’immense, le formidable, l’extraordinaire Robert Shaw). Une figure paternelle un brin dévoyée: buveur, fanfaron mais doté d’un courage frisant la folie furieuse. Et cette deuxième partie de Jaws est à l’image de Quint: furieuse et sauvage. Juste trois hommes sur un vieux rafiot affrontant un monstre puissant et déterminé. Une chasse de près de 55 minutes, palpitante et bourrée de péripéties. Même la musique de John Williams se met au diapason de ces aventures marines, évoquant l’âge d’or du swashbuckler hollywoodien. Mais le réalisateur parvient, dans cette lutte à mort avec le grand blanc, à livrer des moments intimes entre les trois hommes. On pense bien sûr à ce moment où Quint et Hooper comparent leurs cicatrices respectives. Très drôle jusqu’à ce que Quint avoue être un survivant de l’USS Indianapolis et leur en raconte l’histoire. Cinq minutes fascinantes et terrifiantes. Juste le talent de Robert Shaw, sur les violons angoissants de Williams à l’arrière. Incroyable!
Jaws, de Steven Spielberg, en DVD-Blu-Ray chez Universal.
L’ULTIME DEFI DE SHERLOCK HOLMES- Etude en rouge sang
1922. Le docteur Watson se décide à mettre par écrit une enquête de Sherlock Holmes qu’il avait soigneusement cachée jusque là. Watson enferme son manuscrit dans un coffre à la banque et précise par une lettre que ce dernier ne devra être rendu publique que…50 ans plus tard!
1972. Le fameux manuscrit est enfin ouvert, lu et rendu publique. Mais son contenu est tellement scandaleux qu’il provoque une vive polémique. Ce fameux manuscrit narre l’affrontement, en 1888, de Sherlock Holmes et de Jack l’Eventreur. Mais la solution apportée à l’énigme de l’éventreur est si choquante qu’elle risque de perturber l’ordre et l’opinion publique.
Ce roman n’est pas une nouveauté. Il date de 1978 et il avait fait sensation dans le milieu holmésien de l’époque. Il est ici réédité par Rivages-Fleuve Noir, qui l’avait déjà édité au début des années 1990. Un plus large public, holmésien ou non, va pouvoir le (re)découvrir. Et ce n’est que justice vu la qualité du bouquin en question!
Certes, Michael Dibdin n’est pas le premier, ni le dernier, à confronter Sherlock Holmes à Jack l’Eventreur. L’année dernière encore, paraissait « Nous ne sommes qu’ombre et poussière » de Lyndsay Faye (Pocket éditions), un sympathique pastiche holmésien à l’atmosphère et au personnages bien dessinés mais dont le dénouement (largement prévisible) demeure assez galvaudé. La solution apportée par Dibdin est, elle, surprenante. Il serait criminel d’en dire plus mais dans ce roman, Holmes trouve un adversaire à sa taille, beaucoup plus diabolique et retors que ses crimes sauvages ne le laissaient présager. Ainsi le roman, et fait assez rare dans le cadre dans le cadre de la « sherlockerie », est avant tout le portrait saisissant d’un psychopathe perturbé. Tout ce qui touche à la personnalité du tueur de Whitechapel est empreint d’un grand réalisme et fait froid dans le dos. Tout ceci est digne du profilage d’un expert criminologue et nous offre une perturbante description d’un sociopathe ordinaire. Mais chut, laissons le lecteur le découvrir!
Mais le roman possède un autre intérêt. C’est un formidable jeu d’esprit entre la fiction et la réalité. Ainsi, le livre que nous tenons entre nos mains est bien un écrit de Watson. Car Holmes et Watson sont bien des personnages réels. Ils ont simplement croisé la route d’un médecin-écrivain, A.C.D, collègue et ami de Watson qui s’est offert de romancer les écrits de Watson sur les affaires traitées par Holmes pour les faire connaître du grand public. Revers de la médaille: suite à leur immense succès, ces nouvelles ont fini par rendre, au fil des années, Holmes et Watson complètement fictifs aux yeux d’un public qui les prend pour des personnages littéraires! Les crimes de l’éventreur étant bien réels, on finit par se demander où commence vraiment la fiction…ou la réalité! Mais bon, nous tenons bien entre nos mains un récit de Watson et non de A.C.D. A moins que…allez savoir!
Le portrait de Holmes est irrésistible. C’est bien le Sherlock que l’on connaît, intelligent, cocaïnomane, sarcastique et méprisant mais là, ses défauts sont accentués et le personnage (qui passe son temps à brimer méchamment Watson et Lestrade) apparaît un tantinet insupportable mais c’est un génie et il est le seul à pouvoir stopper le monstre de Whitechapel. Il y a donc beaucoup d’humour et de malice dans ce roman. Mais ceci tranche avec l’atmosphère pesante qui règne à Whitechapel et avec l’horreur des crimes de l’éventreur, qui sont ici décrits dans leur exacte réalité. L’écriture de Dibdin est précise, concise et l’auteur possède un sens du suspense efficace et redoutable. Tout au plus, pourra-t-on regretter que Dibdin ne s’attarde pas un peu plus sur la vie des habitants des bas-fonds londoniens.
Que dire de plus? Les fans de Sherlock Holmes y retrouveront leurs héros préférés ainsi que moultes références au Canon Holmésien de A.C.D. On a même droit au récit, par Holmes lui-même, d’une affaire inédite et qui n’a aucun rapport avec l’éventreur. Et enfin, le jeu de piste bascule, dans son dernier tiers dans des évolutions narratives insoupçonnées où la paranoïa côtoie l’émotion la plus intense. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de fermer ce livre avec un léger doute….Brillant!
L’ultime défi de Sherlock Holmes (The last Sherlock Holmes story) de Michael Dibdin, 285 pages, Rivages-Fleuve Noir, 2016
Mr HOLMES-Le dernier problème
1947. Sherlock Holmes, âgé de 93 ans, coule une retraite paisible dans le Sussex. Il s’est reconverti dans l’apiculture et vit seul avec une gouvernante et le jeune fils de cette dernière. Watson est mort depuis de nombreuses années et son frère Mycroft quelques mois auparavant. Tout irait bien pour Holmes s’il n’était pas atteint de troubles de la mémoire et d’un début de sénilité. Ceci ne l’arrange pas car il souhaite mettre par écrit la dernière affaire qu’il a menée. Celle-ci a eu lieu 35 ans auparavant. Holmes se rappelle juste que Watson a menti lorqu’il l’a racontée. Il se souvient aussi du début de l’affaire…mais pas de sa résolution, juste qu’elle a précipité sa retraite. Luttant contre sa mémoire défaillante, Holmes fera aussi équipe avec le jeune fils de sa gouvernante, Roger, pour élucider une autre affaire, bien plus domestique celle-là.
Après les deux bouffonneries de Guy Ritchie (2009 et 2011), le personnage de Sherlock Holmes semblait être dans une impasse cinématographique. Devenu héros de blockbuster, incarné par Iron Man, le personnage s’éloignait dangereusement de l’œuvre de Arthur Conan Doyle. Dans ce nouveau film, le réalisateur Bill Condon (Gods And Monsters, Dreamgirls) prend complètement cet état de fait à contre-pied. Non seulement il revient à l’essence du personnage mais il nous propose un anti-blockbuster: un film de vieux qui va à 2 à l’heure! Et le pire dans tout ça? C’est l’éclatante réussite du film!
Adapté d’un roman de Mitch Cullin (Les Abeilles de Monsieur Holmes), le film nous propose, avec culot, de suivre les pas d’un Holmes lent, limite gâteux et dont l’esprit brillant s’émiette peu à peu. Mais attention! Jamais le personnage n’est ridicule! Jamais Bill Condon ne se moque de lui! Au contraire, il le regarde avec bienveillance et tendresse. Ce portrait délicat de la vieillesse apparaît très émouvant. On se sent en empathie complète avec le personnage. D’autant qu’il est interprété par un formidable Ian McKellen qui arrive à faire de ce vieillard sénile en robe de chambre un héros magnifique et une figure à la fois touchante et tragique. De plus, McKellen joue un Holmes « normal » dans les flashs-backs se situant en 1912. Et on se rend compte que notre bon vieux Gandalf aurait fait un Holmes du tonnerre! En quelques plans, c’est une évidence!
Le film est réalisé avec élégance par Bill Condon. Certains lui reprocheront un classicisme suranné, mais cela sied parfaitement au sujet et au rythme du film. Néanmoins, les images et les plans demeurent de toute beauté. On est loin de l’hystérie de la mise en scène brouillonne de Guy Ritchie! Mais ce qui retient l’attention, ce sont le scénario et les thèmes développés. Autant prévenir: les énigmes proposées n’ont rien de spectaculaire et d’inattendu. On est dans le domaine du drame psychologique et du problème d’ordre domestique, même si ce dernier peut s’avérer mortel. Pour l’énigme venue du passé, nous sommes dans le registre de la seconde chance. Holmes a foiré quelque chose, même s’il ne sait plus quoi. Sa mauvaise conscience vient le hanter. Lui qui n’a pas toujours été tendre avec ses proches, se rend aussi compte qu’il a souvent manqué d’humanité dans ses rapports avec les autres. Quand il voit le petit Roger, un gamin intelligent et solitaire, rudoyer sa mère (magnifique Laura Linney), il lui enjoint immédiatement d’aller s’excuser, l’air horrifié et choqué. L’amitié qui se tisse entre Holmes et Roger est touchante. Le vieux détective se reconnaît en ce gamin. Lui qui était un misanthrope patenté semble apprécier la présence du jeune garçon. D’autant que le gamin est doué pour l’apiculture et semble s’intéresser à la vieille histoire dont Holmes essaie de se souvenir.
Mr Holmes est aussi un film malicieux qui joue avec les codes holmésiens. On se rend compte que Watson, dans ses mémoires, a constamment menti au public et que lui et Holmes l’ont parfois mystifier. On le voit avec l’adresse du 221 B Baker Street ou avec le « truc » de Holmes (qui parfois, mais pas tout le temps, se basait sur du bon sens). Le pouvoir de la fiction est immense. Il peut créer des légendes et des icones. Mais la fiction est un mensonge. Et il y a un abîme parfois entre modèle et représentation fictive. Le Sherlock Holmes de Watson n’est pas le vrai. Le vrai c’est ce Monsieur Holmes que l’on voit dans le film. La fiction a aussi un pouvoir de guérison. Quand on lit une bonne histoire, on oublie ses soucis. Watson, en véritable ami de Holmes, a maquillé un échec en réussite pour aider son ami à sortir de la dépression. Le vieux Monsieur Holmes fera la même chose à la fin du film pour aider quelqu’un à son tour. Il y aura toujours des histoires à raconter…
Mr Holmes est un film qui propose une autre vision de son héros. Lors d’une scène, on peut même le voir tomber amoureux! On le voit aussi confronté aux conséquences tragiques d’un des évènements historiques les plus douloureux du siècle passé. Mais que l’on se rassure, un crime a été commis. Il est constamment à l’arrière-plan du film. Mais Holmes retrouvera le coupable et sauvera un innocent. Il pourra ensuite faire la paix avec ses morts et avec lui-même.
Note: 4/5
Mr Holmes, de Bill Condon, avec Ian McKellen, Laura Linney et Milo Parker, en salles depuis le 4 mai.
Quelquefois, il neige en avril…
au Kid de Minneapolis
Quelquefois, il neige en avril.
Quelquefois, la tristesse est belle et la mélancolie lumineuse. Il y a des chansons tristes qui valent bien des chansons gaies. Elles touchent votre coeur et mettent des mots sur votre souffrance. Ou alors, vous vous reconnaissez en elles. C’est ce que je me disais hier en écoutant le dernier Alex Beaupain.
Quelquefois, il neige en avril et ça nous surprend. Le froid nous fait une petite piqûre de rappel. Il reviendra après l’été.
On se promène en ville. La ville est souvent grise et ennuyeuse, à cette période. Mais elle n’en est que plus belle. Au hasard des rues, tu retrouves des personnes que tu pensais jamais revoir. Et c’est sympa.
Le monde est toujours aussi moche, l’humanité souvent désolante, mais recroiser un arc-en-ciel sur sa route redonne l’espoir. T’as beau essayer de t’endurcir, rien n’y fait. Les mois d’avril sont parfois surprenants. Maintenant, tu sais que tout va bien, alors sourit.
Il fait froid mais le cœur se réchauffe. Sourires de jeunes femmes séduisantes. Séduction et élégance de femmes plus âgées, mariées ou non. Cheveux défaits ou en chignon. Parfums enivrants. Jolies jambes en collants et taillons aiguilles. Mais n’en disons pas plus, le machisme nous guette. On pourrait nous mettre à l’index.
Quelquefois, il neige en avril et sur notre cœur. On se souvient du passé. Il revient nous mordre de façon cruelle. Les bons moments certes mais aussi les blessures, les déceptions et les colères. C’est loin, mais parfois ça revient, comme la neige en avril. Les gens qui nous ont fait du mal et ceux à qui nous avons fait du mal. Parfois, on se comporte comme un salaud et on ne s’excuse pas. « Je suis désolé », est-ce si dur à dire? Je suis désolé…
J’aurais du te le dire. J’aurais du ouvrir ma gueule plus souvent aussi. Pour défendre quelqu’un ou pour m’affirmer. J’aurais du la fermer aussi, en quelques circonstances…
Le vent est frais, les nuages cachent le soleil. On ressort un vieux pull. On marche à l’aventure. On continue. C’est le printemps mais un printemps automnal. Pas grave, l’automne a ses charmes. On aura le temps de le regretter et de l’attendre sous le soleil de la canicule.
Quelquefois, il neige en avril. La vie continue. La nuit tombe. On s’attarde un peu, sous une lune cerise ou une pluie pourpre. Nous sommes vivants. Alors pourquoi s’en faire? La neige peut bien tomber et fondre, nous ne partirons pas avec elle. Ou alors, une autre fois…
Quelquefois, il neige en avril et on s’en fout.
GODS OF EGYPT-L’oeil du faucon
Il y a très très longtemps, dans l’Egypte ancienne, les Dieux vivaient parmi les Hommes sur lesquels ils régnaient de façon éclairée et pacifique. Le roi d’Egypte, Osiris, décide de faire passer la couronne du royaume sur la tête de son fils, Horus. Malheureusement, Seth , frère d’Osiris et maître du désert, décide de prendre le pouvoir. Il tue son frère, arrache les yeux de son neveu et se met à régner de façon tyrannique et violente sur le pays. Mais c’est compter sans un voleur au grand cœur, Bek….
Le nouveau film d’Alex Proyas (The Crow, Dark City, I Robot, Prédictions) semble être maudit. Le studio qui le produit ne semble pas croire en son potentiel et le bazarde dans les salles, au terme d’une promo calamiteuse et quasi-inexistante (pourquoi alors financer un film si on ne croit pas en lui?). Pire, la bande-annonce est faite avec si peu de subtilité que le film passe pour un gros nanar numérique. Les réseaux sociaux se mettent à condamner le film et à se moquer de lui, alors que personne ne l’a encore vu. Très mauvais signe! Et quand le film sort enfin, la critique l’éreinte et le public le boude. Gods Of Egypt semble être destiné à être un bide monumental. Et c’est bien dommage!
Alex Proyas s’est complètement mis à nu sur ce film, sans aucun filet. D’une façon suicidaire, il s’investit à fond pour livrer un spectacle premier degré, sans cynisme, à la fois naïf et terriblement sincère. C’est bien simple, Gods Of Egypt s’avère être l’un des blockbusters les plus euphorisants de ces dix dernières années. Proyas livre un spectacle généreux, jamais hystérique, un superbe livre d’images, qui fait rêver et enchante le spectateur qui saura s’y abandonner. Le réalisateur australien retrouve l’esprit des films d’aventures d’antan et leur charme suranné ainsi que leur aspect sérialesque et leur énergie juvénile.
Niveau réalisation, c’est tout simplement merveilleux. Proyas s’autorise des plans, des mouvements de caméra incroyables et qui ne virent jamais à la démonstration stérile. Toute la virtuosité technique de Proyas est entièrement mise au service du récit qu’il conduit. Comment ne pas rester bouche bée devant les combats de Seth et Horus? Devant la scène des serpents géants? La scène des chutes d’eau (avec des plans en contre-plongée qui donnent une sensation physique de vertige et de danger)? Celle se passant au Royaume des Morts? Proyas part même dans le cosmos (avec un plan techniquement bluffant qui ravira les fans de Dark City) et nous fait sentir toute la portée mythologique de son récit. On passe du film d’aventures à la Indiana Jones (Bek s’introduisant dans la salle du trésor) au film merveilleux voire au film de super-héros (si, si!) avec une fluidité déconcertante. Et non, le film n’est pas une avalanche numérique dégueulasse avec un abus de fonds verts hideux! Malgré quelques menues faiblesses d’incrustation, le production design tient la route et nous éblouit. Rien que pour le cinéphile qui s’intéresse au style de la réalisation, le film est un régal.
Le scénario, quant à lui, est loin d’être idiot ou sacrifié sur l’autel du spectaculaire. Sans tout dévoiler, on peut parler du duel entre Seth et Horus. Seth (campé par un Gerard Butler puissant et inspiré) est loin d’être un bad guy monolithique. On devine, derrière l’implacabilité du guerrier, un être torturé et dévoré par la jalousie, luttant pour ne pas se laisser déborder par ses sentiments. La scène entre lui et son ancienne épouse est à ce titre incroyable, commençant dans la douceur et finissant dans la cruauté et la violence. Le parcours d’Horus (formidable Nikolaj Coster-Waldau) est aussi intéressant. Jeune guerrier vaillant mais vaniteux, héros déchu vivant en reclus, il doit redevenir un héros au sens noble, c’est à dire pas seulement sur le plan guerrier mais aussi sur le plan humain. Son alliance avec Bek le voleur (le fougueux et sympathique Brenton Thwaites) est plutôt bien vue et leur duo, d’abord drôle et mal assorti, débouche sur une vraie camaraderie au final. Le film verse aussi dans un romantisme bienvenu avec deux histoires d’amour touchantes et contrariées: celle de Bek et Zaya (la mimi Courtney Eaton) et celle entre Horus et Hator (superbe et divine Elodie Yung). Ces deux histoires d’amour défient la mort et sacralisent les sentiments amoureux des protagonistes.
On pourra regretter, toutefois, que le film n’exploite pas certains aspects mis en place jusqu’au bout (le plan pour conquérir le Royaume des Morts) et certaines maladresses (la scène du Sphinx). Néanmoins, on tient là un spectacle galvanisant et rafraîchissant, tour à tour trépidant, drôle (la scène dans le repaire de Thot) et émouvant. Un film qui se conclut de la plus belle des façons, comme un conte: il y aura toujours un amour à sauver, des ennemis à défier et des aventures à vivre…
Note: 4/5
Gods Of Egypt, de Alex Proyas, en salles depuis le 6 avril
BATMAN V SUPERMAN, L’AUBE DE LA JUSTICE-Dieux en un
18 mois après les évènements de Man Of Steel. L’humanité semble partagée au sujet du Superman: est-il un dieu protecteur et bienveillant ou une divinité destructrice et dangereuse? Un homme, en particulier, pense que Superman est l’ennemi de la planète, un homme témoin de l’affrontement entre Superman et Zod et des morts humaines qui en ont découlé. Cet homme s’appelle Bruce Wayne, c’est un milliardaire. Mais il est aussi un justicier solitaire connu sous le nom de Batman. L’affrontement entre deux conceptions de la justice peut commencer…
Le programme de ce Batman V Superman était chargé: être à la fois un Man Of Steel 2, un reboot de Batman, une lutte entre deux super-héros et l’introduction à un univers plus vaste, celui de la Ligue des Justiciers. Peut-être est-ce tout cela à la fois qui finit par écraser le film. A trop vouloir en faire, on finit par aller trop vite et sacrifier des éléments importants. Seulement voilà, Batman V Superman est loin d’être raté. C’est même un assez bon film de super-héros. Alors pourquoi exactement balance t’on entre euphorie et déception?
Déjà, il est utile de mentionner que la version vue en salles et qui dure 2h30 est un compromis entre DC/Warner et le réalisateur Zack Snyder qui rempile trois ans après Man Of Steel. Snyder a évoqué en interview un director’s cut plus complet et plus violent. Donc, nous ne jugeons pas la vraie version du réalisateur. Mais comme nous n’avons pas vu le fameux director’s cut, nous devons bien juger ce que nous voyons à l’écran.
Le film s’ouvre sur une énième version du meurtre des parents de Bruce Wayne. En soi, elle n’est pas très réussie. Snyder filme ça au ralenti et en y greffant une musique trop mélodramatique. On a vu mieux. Au bout de deux minutes à peine, on commence à avoir peur. Et puis, arrive la scène où le jeune Bruce subit une élévation/communion avec des chauves-souris. Après ce magnifique moment, le film ne va pas trop décevoir pendant une heure. Il va faire monter la sauce, en parallèle, entre Batman et Superman jusqu’à leur rencontre.
Batman apparait comme un justicier vieillissant et adoptant des méthodes violentes. Trop violentes, même au goût de son Alfred de majordome (Jeremy Irons, excellent) qui n’hésite pas à le tancer comme un petit garçon. Persuadé d’agir pour le bien de l’humanité, Batman s’enferme dans sa violence et sa noirceur. Il devient pessimiste et ne croit plus en grand-chose. Ben Affleck livre une solide interprétation du personnage même si elle reste moins intéressante que celle d’un Michael Keaton ou d’un Christian Bale. Quand Batman se bat, Snyder filme un combattant masqué sournois, véloce, rapide et surnaturel. La première fois qu’on le voit, il est collé au plafond comme un vampire. Des femmes, immigrées clandestines asiatiques qu’il vient pourtant de sauver, le compare à un démon et ont peur de lui. C’est un chevalier déchu qui flirte avec le mal. Il va devoir retourner vers la lumière.
La lumière semble venir de Clark Kent/Superman. Ce dernier a choisi la Terre et ses habitants mais maintenant, il a du mal à se faire accepter. Malgré ses exploits où il sauve des innocents (magnifiques images qui assoient un peu plus la dimension christique du personnage), certains ne voient pas en lui un sauveur mais quelqu’un capable de détruire le monde. Il doit même répondre de ses actes devant une commission sénatoriale. Le film nous remontre aussi la fin du film précédent, mais vue sous les yeux de Bruce Wayne. Un simple mortel qui assiste, impuissant, à la mort de ses semblables et au combat de dieux qui détruisent tout sur leur passage. On a enfin à l’écran les conséquences désastreuses que peuvent avoir les actes des super-héros. Le film questionne aussi brillamment la question de la divinité et de la mort que les religions peuvent amener bien involontairement. Henry Cavill livre une fois de plus une brillante interprétation de son personnage, à la fois tourmenté par son statut mais aussi porteur de beaucoup d’espoir et de foi en l’humanité (l’antithèse de Batman). La notion de divinité contestée est aussi portée par le personnage de Lex Luthor qui apparait comme un petit enfant, traumatisé par un père violent, et terriblement revanchard envers Dieu et la Providence. Dommage que son interprète, Jesse Eisenberg, le joue alors comme un névrosé caricatural et geek, l’orientation initiale du personnage étant plutôt pertinente.
Toute la première partie de Batman V Superman est donc réussie et propose des thématiques passionnantes, tout en glissant ici et là des séquences d’action réussies (dont une mettant en scène Batman dans le désert). A ce stade, nous avons un film de super héros riche, intéressant, bien écrit, adulte et fun. On attend alors le final apocalyptique et c’est là que le film déraille avant de se remettre sur la bonne voie à la fin.
Le gros problème du script de Batman V Superman vient du cahier des charges du studio. On le sait, depuis 2008, Marvel est très en avance sur DC avec sa série des Avengers. Du coup, Warner décide d’accélérer la vapeur pour produire le pendant DC des Avengers, la Ligue des Justiciers. Retardé dès le début parce que Christopher Nolan refusait que son Dark Knight intègre cet univers, le studio profite de la suite de Man Of Steel pour faire une introduction à la Ligue. Du coup, et c’est là le problème, Batman V Superman dévie de son concept initial et se transforme en prologue d’un autre film, Justice League of America. Adieu le face à face inspiré entre Batman et Superman et bienvenue dans un film qui affiche sans vergogne son intention mercantile. Au programme: une Wonder Woman certes guerrière et magnifique mais dont on aurait pu se passer (au passage, pourquoi un thème à la guitare électrique pour un personnage d’amazone immortelle?), un Lex Luthor mégalomane qui décide de dominer le monde, un Doomsday réussi mais qui atterrit dans le film comme une merde et qui se paye des origines nébuleuses (en clair, sa « fabrication » est bâclée) et surtout, surtout, trois introductions pas très réussies de trois futurs Justiciers, via des fichiers informatiques et des vidéos ultra cheaps (celle présentant Aquaman est assez ridicule, le personnage ressemblant plus à un voisin irascible dérangé par du bruit et qui sort sur son palier avec un balai). On se retrouve dans le comic-book movie lambda pas très inspiré. Et puis la love story entre Clark et Lois est toujours aussi touchante mais Lois Lane (formidable Amy Adams) est vite reléguée à l’arrière-plan. La deuxième partie se retrouve clairement coincée entre les aspirations de Zack Snyder et les ambitions commerciales du studio.
Heureusement, le combat entre Batman et Superman s’avère bien jouissif mais un poil trop court. Batman a aussi droit à une superbe séquence d’action dans un hangar (une scène de poursuite en Batmobile est elle, par contre, foirée car montée trop cut). Et le climax où trois super héros affrontent un super vilain surpuissant est absolument dantesque, Znyder iconisant à mort ces dieux (ou demi-dieu pour Batman) qui s’affrontent pour notre plus grand plaisir et rappelle le final hallucinant de Man Of Steel. Wonder Woman, même si elle n’a aucun rôle majeur dans le scénario, s’avère avoir un sacré potentiel!
Lors de l’épilogue final, nous retrouvons enfin le film de départ. Toutes les problématiques des deux super-héros du titre trouvent leur solution: rédemption, sens du devoir et du sacrifice, trouver sa place dans le monde, accepter l’autre. Mais c’est surtout dans leurs origines et leur rapport à la famille (surtout à la figure de la mère) que les deux personnages finissent par se rejoindre et se comprendre. Le final est émouvant et vous prend à la gorge. Et il est bien sûr riche de promesses pour la suite. Nous espérons que sur son film suivant, Znyder aura enfin les coudées franches! En l’état, on peut toujours savourer ce film imparfait et boiteux mais sincère et galvanisant…en attendant le director’s cut en DVD/Blu-Ray!
Note: 3/5
Batman V Superman-Dawn Of Justice, de Zack Snyder, avec Ben Affleck, Henry Cavill, Amy Adams, Jesse Eisenberg, Jeremy Irons, Diane Lane, Laurence Fishburne et Holly Hunter, en salles depuis le 23 mars.
Prochaine étape du DC Universe: cet été avec Suicide Squad de David Ayer, centré sur les ennemis de Batman.