10 CLOVERFIELD LANE-A l’intérieur
Une jeune femme, Michelle (Mary Elisabeth Winstead), quitte son petit ami et décide de tout plaquer. Elle met quelques affaires dans un carton et quitte la ville, à bord de sa voiture. La nuit, elle est victime d’un accident et fait une sortie de route. Elle se réveille dans une sorte d’abri anti-atomique. Le maître des lieux, Howard (John Goodman) lui explique que les Etats-Unis ont été victimes d’une attaque chimique ou nucléaire, que l’air extérieur est devenu nocif et qu’il faut qu’ils restent à l’abri dans ce bunker. Michelle découvre aussi un autre « captif » de Howard: Emmett (John Gallagher Jr). La tension commence à monter entre eux trois. Et si Walter était complètement taré?
Evacuons d’emblée le lien avec le Cloverfield (2008) de Matt Reeves. 10 Cloverfield Lane n’en est pas la suite ni le préquel. Si vous n’avez pas vu ou si vous n’avez pas aimé Cloverfield, vous pouvez quand même aller voir 10 Cloverfield Lane. L’histoire du film est complètement indépendante. Quant à savoir si les deux films se passent dans le même univers, c’est une possibilité mais ce n’est pas le plus important. Le plus important c’est que 10 Cloverfield Lane est un film dont on ne savait rien, il y a encore 3 mois. Fin janvier, JJ Abrams et son équipe de chez Bad Robot ont balancé un premier teaser mystérieux et addictif. Et, ô miracle, la bande-annonce suivante n’en dévoile pas plus! Un gros miracle en ces temps où les studios dévoilent toutes les scènes spectaculaires de leurs blockbusters dans les bandes-annonces. Maintenant 10 Cloverfield Lane est-il seulement un produit superbement marketé par Bad Robot ou est-ce un vrai bon film?
Ni l’un, ni l’autre, il s’agit tout simplement de l’une des meilleures séries B de ces dix dernières années. Car oui, c’est une série B et il n’y a rien là de péjoratif. Le film a beau être distribué par Paramount, c’est un petit film dont le budget tourne autour des 10 millions de dollars (une misère à l’échelle hollywoodienne, le budget cantine de Batman V Superman!). Mais c’est un petit film diablement efficace. Le scénario est remarquable. Du début à la fin, le spectateur est mené par le bout du nez. Constamment, des rebondissements et des revirements de situation amènent le film dans une autre direction. A tel point qu’on en oublie toutes nos idées préconçues.
Ensuite, le film est un huis-clos entre trois personnages. Là encore, l’écriture du script est juste remarquable. D’une part, l’évolution de la situation initiale est remarquablement gérée et progresse lentement, tout comme la tension qui gagne le spectateur. D’autre part, les trois personnages sont remarquablement écrits et caractérisés. Ce ne sont pas des stéréotypes mais des personnes normales avec leurs zones d’ombres….et leurs secrets. La confession partagée entre Michelle et Emmett est l’une des scènes les plus émouvantes et justes vues sur un écran, les personnages étant séparés par un mur…et éclairés différemment. Le personnage de Hoawrd n’est pas un psychopathe caricatural. Il apparaît tour à tour menaçant, inquiétant, dissimulateur mais aussi compréhensif, protecteur et attentionné. John Goodman y trouve là un rôle à la démesure de son talent. Les deux autres acteurs sont eux aussi prodigieux. Ils sont le cœur de la réussite du film.
Le réalisateur Dan Trachtenberg accomplit aussi un travail remarquable. Niveau gestion de l’espace, découpage, interaction entre les protagonistes, c’est du grand art! Sa réalisation est précise et minutieuse et fait monter le malaise insidieusement. On suivra la suite de sa carrière avec grande attention. Trachtenberg amène sa petite série B vers un dénouement très surprenant avec une grande maîtrise. Son style peut rappeler celui de Spielberg, niveau efficacité. Et puis le portrait de cette anti-héroïne qui doit apprendre à choisir et à s’engager est réellement émouvant. Mary-Elisabeth Winstead y trouve là son meilleur rôle à ce jour.
On pourra peut-être reprocher au film de ne pas assez développer certains aspects, comme le « secret » d’un des personnages. Mais tout passe quasiment par l’image et les regards. A ce titre, le début est exemplaire: comment présenter le personnage principal et son dilemme en seulement quelques plans et sans dialogues…10 Cloverfield Lane s’impose haut la main comme un classique des années 2010 et une métaphore brillante des dérives d’une Amérique paranoïaque qui vit repliée sur elle-même.
Note: 4/5
10 Cloverfield Lane, de Dan Trachtenberg, avec John Goodman, Mary-Elisabeth Winstead et John Gallagher Jr, en salles depuis le 16 mars.
CARNETS NOIRS-On reading
1978. John Rothstein, écrivain célèbre de 80 ans qui vit désormais en reclus, est assassiné par l’un de ses fans, Morris Bellamy. Le jeune homme est en colère contre l’écrivain car, à ses yeux, ce dernier a trahi son personnage-culte, Jimmy Gold, dans le dernier tome de ses aventures. Bellamy vole l’argent de l’écrivain et ses carnets de notes.
2010. Un adolescent de 13 ans, Peter Saubers, va faire une découverte qui va changer sa vie et surtout celle de sa famille, au bord de l’implosion.
2014. Bill Hodges, ancien flic à la retraite, est contacté par une jeune adolescente inquiète pour son grand frère.
Après Mr Mercedes, voici le deuxième tome de la trilogie Bill Hodges. Ce dernier a monté une agence d’enquêtes privées centrée sur la recherche de personnes ou d’objets disparus et baptisée Finders Keepers (« qui trouve gagne », titre original du roman par ailleurs). Il est secondée par Holly, jeune femme Asperger courageuse et têtue, qu’il avait rencontrée lors de l’affaire du Tueur à la Mercedes. Nous retrouvons avec plaisir nos vieilles connaissances. Mais Bill Hodges est un peu en retrait sur cette affaire. Il n’est pas impliqué personnellement et il n’est qu’une composante d’une histoire débutée 35 ans plus tôt.
Les deux personnages principaux de cette histoire sont Peter Saubers et Morris Bellamy. Le premier est un adolescent responsable et grand dévoreur de romans. Il aime tout particulièrement John Rothstein et sa série sur Jimmy Gold. Avec ce personnage, King convoque Stevenson et nous embarque dans une histoire de trésor perdu et retrouvé. Mais l’esprit aventureux du jeune garçon doit céder la place au sens des responsabilités. Cette partie est un roman initiatique subtil et émouvant sur un jeune garçon qui veut aider sa famille, une famille dévastée par la crise économique. Après Mr Mercedes, King enracine encore plus fort son roman dans l’Amérique en récession et nous peint le portrait de personnages qui luttent pour leur survie mais sont au bord du renoncement. Simple, sans pathos et terriblement réel. Il ne faut pas longtemps à King pour nous attacher à cette famille. D’autant qu’il fait le lien avec Mr Mercedes, via la répétition d’une scène traumatique…
Avec Morris Bellamy, King, après Misery, semble renouer avec la thématique du fan cinglé qui harcèle l’écrivain célèbre (situation que l’auteur a vécu personnellement). Ceci est pourtant évacué avec le premier chapitre, confrontation terrible et mordante entre Bellamy et Rothstein. King va plutôt s’attarder à brosser le portrait et la trajectoire de son personnage. Bellamy est-il une ordure? Pas vraiment, c’est juste un pauvre loser minable qui confond fiction et réalité et fait des conneries sous l’emprise de l’alcool. Nous sommes ici dans un roman noir à la Westlake/Stark. Tout ceci est désespérant (King arrive à créer de l’empathie avec ce pauvre Morris) et bardé d’humour noir. Tous les malheurs de Morris nous le font plaindre (viols carcéraux, officier de probation vicelard, mère peu aimante,…) mais il y a un commentaire acerbe et ironique où King se livre à son sport favori: gratter le vernis du rêve américain et en montrer les disfonctionnements.
Enfin, le roman est une déclaration d’amour à la lecture. La lecture nous aide à mieux appréhender le monde et à nous adoucir la vie quand celle-ci est trop dure. Mais à qui appartient un livre? A son auteur? Ou à son lecteur? Et chaque lecteur a-t-il le droit de s’arroger ce titre de propriété par rapport aux autres? Bellamy est un égoïste qui est capable de priver les autres de manuscrits inédits juste pour pouvoir les lire seul. King fustige les collectionneurs privés qui privent les autres d’œuvres inestimables. La lecture se doit d’être un partage et l’histoire appartient à la fois à l’auteur et à TOUS ses lecteurs. A travers ce roman tour à tour drôle, ironique, émouvant et trépidant, King fait encore étalage de son savoir-faire narratif en liant les destins et les actes de ses « héros » avec fluidité. A ce titre, la dernière partie est d’une précision chirurgicale au niveau du suspense. On lui pardonnera aisément quelques facilités (comme le portrait un peu caricatural de la sœur de Peter). Et au dernier chapitre, nous entrevoyons les prémices du dernier opus de la trilogie Bill Hodges, qui risque de prendre un tournant pour le moins inattendu…
Note: 4/5
Carnets Noirs (Finders Keepers), de Stephen King, 430 pages, éditions Albin Michel
THE REVENANT-Lucky Leo
Il y des films qu’on attend comme le Messie parce que leur bande-annonce nous fait saliver et parce qu’ils créent un buzz sans précédent. Les critiques sont élogieuses alors on s’attend à un chef d’œuvre. Et souvent, cela se confirme après vision. Mais parfois, la déception est cruelle et le film s’avère être une baudruche qui se dégonfle. C’est le cas de The Revenant.
The Revenant n’est pas foncièrement mauvais, ce n’est pas un navet. C’est pire, c’est un film moyen, assez terne, qui ne déclenche pas une véritable passion ou une véritable haine. Il y a deux projets qui cohabitent dans ce film et qui finissent par en ruiner tout le potentiel. Tout d’abord, nous avons un film d’auteur, un film de cinéaste virtuose, une expérience viscérale et incroyable. C’est vrai durant les 45 premières minutes, tout bonnement hallucinantes. On tient un futur grand film. Innaritu nous montre une attaque indienne sur des trappeurs d’une violence et d’un réalisme qui laisse sans voix. A l’aide de plans-séquences majestueux, d’une violence jamais édulcorée et d’un culot monstre, il nous fait ressentir l’ensemble avec maestria. Et cela continue avec la fuite des survivants, l’attaque de l’ours (une putain de scène culte!), le meurtre d’un des protagonistes et l’abandon du personnage principal à son sort. Tout cela est grandiose, filmé dans une nature immaculée et incroyablement immersif. Le spectateur est scotché sur son siège. Le chef d’œuvre tant attendu se profile à l’horizon….
Puis Leo sort de sa tombe et le film se transforme en film à Oscars terriblement convenu. Lors d’un acte central abominablement chiant, nous suivons le chemin de croix, censé être douloureux, du héros. Il n’y a plus de rythme et l’ennui s’installe. Leo court à quatre pattes, Leo fait du feu, Leo s’abrite du froid, Leo pêche le poisson, Leo souffre et grimace devant la caméra. Voilà, c’est Seul Au Monde et il aura son Oscar. Mais le pire c’est que Innaritu change de style et filme tout cela d’une façon bien plate et conventionnelle, comme si il rentrait subitement dans le rang dans l’espoir de gagner des récompenses. Il nous gratifie, au passage, de visions surnaturelles d’un ridicule achevé (le fantôme de l’épouse défunte qui flotte au-dessus de Di Caprio) et qui n’apportent rien. Un personnage secondaire d’Indien apparait et disparait du film aussitôt, pour laisser la vedette à Leo. Il a juste servi à le nourrir et basta! Et puis surtout, que de facilités! Le personnage, suite à l’attaque de l’ours, marche à quatre pattes, un séjour dans l’eau glacée et hop! il tient sur ses deux jambes avec un bâton. Quand il arrive au bord d’une rivière, à quatre pattes, il surplombe une rivière et…le plan d’après il est, ô miracle, au bord de l’eau! Et ses poursuivants, pourtant à cheval et pas très loin, prennent tout leur temps pour le rattraper! Le pire est atteint quand il tombe, à cheval, d’une falaise. Le cheval s’écrase comme une merde et meurt. Di Caprio voit sa chute ralentie par un arbre et se relève…sans fractures! Agaçant! Le genre de détails qui vous sortent du film!
Heureusement, Innaritu se réveille pour l’acte final et nous y propose un face à face tendu et barbare. On retrouve à ce moment ce qui faisait le sel du début du métrage. Il faut souligner ici la très bonne prestation de Tom Hardy (Mad Max-Fury Road) dans le rôle, souvent ingrat, du bad guy. L’acteur y incarne un personnage veule, lâche, cupide mais lucide, le tout sans caricature aucune. Hardy le rend terriblement humain et proche de nous, malgré ses actes. D’ailleurs, les scènes avec Tom Hardy s’avèrent souvent meilleures que celles avec Di Caprio et l’acteur britannique est beaucoup plus subtil dans son jeu que son confrère américain. Lui aussi est nommé à l’Oscar, mais catégorie Second Rôle.
Malheureusement, Innaritu veut absolument faire « film d’auteur » avec ce regard final face caméra qui gâche tout et où son acteur principal semble chercher la reconnaissance de son réalisateur et du public. Trop long, parfois prétentieux et boursoufflé, ne tenant pas ses promesses, The Revenant ne provoque au final qu’un sentiment de déception et de gâchis, malgré de très belles images. Dommage!
Note: 2,5/5
The Revenant, de Alejandro G. Innaritu, avec Leonardo Di Caprio et Tom Hardy, en salles depuis le 24 février.
CLOVERFIELD (2008)-Amour monstre
Résumé: New-York, mai 2007. Rob, un jeune trentenaire new-yorkais, doit partir s’installer au Japon pour son travail. Ses amis lui organisent une fête d’adieu. La soirée se passe bien jusqu’à ce que Rob se fâche avec son amie Beth, qui quitte la soirée. Malheureux, Rob reste mais demeure meurtri. La soirée continue. Tout à coup, un grondement se fait entendre et la terre tremble. Réfugiés sur le toit de l’immeuble pour voir ce qui se passe, les invités voient soudainement une gigantesque explosion du côté de Manhattan accompagnée du même grondement. New-York vient d’être attaqué…
(Attention, il est préférable d’avoir vu le film avant de lire ce qui suit!)
Origine: Le film est une production Bad Robot. J.J Abrams, le fondateur de cette société, est le créateur des séries Lost, Alias et Fringe. C’est aussi le réalisateur de Mission:Impossible 3 (2006), des deux derniers films Star Trek (2009 et 2013), de Super 8 (2011) et du dernier Star Wars, Le Réveil De La Force (2015). En 2006, pour la promo de M:I 3, il se rend à Tokyo avec son fils. Là-bas, en flânant dans des boutiques, il tombe sur des figurines de Godzilla, le célèbre monstre géant du studio Toho. Il se rend compte que Godzi est toujours immensément populaire au Japon. Abrams se dit alors qu’il serait formidable que les Etats-Unis aient leur propre Godzilla. Il décide alors de produire un film où un monstre géant attaque New-York. Il en confie le scénario à Drew Goddard, vieux complice scénariste sur Lost et Alias, et la réalisation à son ami d’enfance et collaborateur Matt Reeves (réalisateur d’épisodes d’Alias et Lost et futur metteur en scène de La Planète Des Singes-L’Affrontement en 2014). Mais J.J Abrams aura quelques exigences sur la forme du film…
Analyse: Cloverfield appartient donc au genre du « film de monstres géants », comme King Kong ou la série des Godzilla avant lui. Il est vrai qu’à part le singe géant Kong, le genre n’est pas très enraciné aux Etats-Unis. Au Japon, Godzilla est une métaphore directe de la catastrophe nucléaire d’Hiroshima. Dans l’esprit de J.J Abrams, il fallait donc que Cloverfield reflète un évènement traumatisant de l’histoire américaine et soit en prise avec les peurs de son époque. Le choix n’est pas très cornélien: Cloverfield sera une allégorie des attentats du 11 septembre 2001. Et son intrigue se situera à New-York. L’image d’une foule fuyant un nuage de poussière provoqué par l’effondrement d’un immeuble est ici reprise. Mais Abrams va aller encore plus loin.
Son raisonnement le mène à penser, avec justesse, que si un monstre géant attaquait New-York, les civils le filmeraient avec leurs caméscopes, pour balancer les images sur Internet ou les vendre aux chaînes de télé. Les gens voudraient faire une vidéo-témoignage pour les générations futures, chose qui fut impossible à Hiroshima. On a tous en tête les vidéos amateurs filmées par les témoins du 11 septembre. Abrams impose donc un filmage de type found footage, filmé au camescope par un témoin. Un bref encart en début du long-métrage nous montre que cette vidéo, désormais propriété de l’armée, fut retrouvée sur la zone de l’incident Cloverfield, dans la partie anciennement nommée Central Park.
Cloverfield est donc entièrement filmé du point de vue subjectif de Hub, le meilleur ami de Rob. A l’origine, c’est le frère de Rob qui aurait du filmer mais il préfère passer le relais. Il dira à Hub que c’est une grande responsabilité qui lui échoit, tragique ironie quand on sait ce qui va se passer. Pendant tout le film, Hub passe pour un bouffon légèrement lourd et irresponsable, sorte de soupape comique au tragique de la situation (et seul vrai défaut du film, le personnage étant assez énervant par moments). Mais Hub, comme tous les témoins qui filment des catastrophes contemporaines, ne peut s’empêcher de partir dans un délire mégalomaniaque du style « C’est mon film! Les gens voudront savoir! ». Hub représente l’inconscience de l’espèce humaine qui dès lors qu’un écran s’interpose entre elle et une catastrophe pense que tout ceci n’est qu’un film. Néanmoins, le personnage finira par prendre la mesure de ce qui se passe autour de lui. La mort de la fille qu’il aime en secret (et qu’il a filmée) le secouant au point de lui faire poser sa caméra et de le faire pleurer. Son sort final est assez cynique. Le type inconscient qui voulait tout filmer au lieu d’aider les gens qu’ils croisent ou tout simplement de se sauver, le type qui voulait filmer l’indicible, c’est à dire le monstre, se fait tuer par ce dernier. L’indicible ne voulait pas être filmé…
Pendant ses 17 premières minutes, Cloverfield est un film amateur sur une soirée de la jeunesse insouciante de New-York avec blagues, flirts, séquences émotions et engueulades de couples. C’est incroyablement vivant et cela nous rapproche des personnages, qui nous semblent réels. Cette proximité ne sera jamais démentie pendant le film. Les acteurs, quoiqu’en aient dit certains critiques, sont touchants et justes et réagissent avec beaucoup de crédibilité devant la caméra. A partir de sa dix-septième minute, Cloverfield bascule dans l’horreur. Et on se rend compte que filmer d’un point de vue subjectif un tel évènement est assez bien vu. Le monstre n’est jamais filmé en entier. Ses apparitions sont rapides et furtives. Néanmoins, il intrigue et fait peur. Ce sont les conséquences de sa fureur qui intéressent Matt Reeves, le réalisateur. Cloverfield arrive à rendre prégnants l’atmosphère de catastrophe et de chaos urbain que la présence d’une créature géante entraîne dans une grande mégalopole: immeubles éventrés ou effondrés, fuite des civils, présence et riposte de l’armée, destruction d’un pont, Statue de la Liberté décapitée, pillages des magasins, etc. Tout semble pris sur le vif et réel. C’est l’état d’urgence. Néanmoins, tout est bien mis en scène, malgré un filmage guerilla constamment en mouvement: on pense à ce moment où nos héros se retrouvent en plein milieu des tirs de l’armée contre le monstre, à la séquence effrayante du métro, à cet attelage fantôme en pleine rue, à cet immeuble penché,…En 45 minutes, Cloverfield arrive à nous clouer sur notre siège. Le film ne dure que 70 minutes, si on l’ampute de son générique de fin qui fait 10 minutes. Le monstre nous est plus dévoilé sur la fin. Désigné par Neville Page, il est magnifique et intrigant. Dans l’esprit de ses géniteurs, c’est un « bébé » sorti de l’océan où il dormait depuis des siècles. Il est désorienté et agressif. La scène où il se fait bombarder par l’armée, nous le montre hurlant sa douleur et s’effondrer. On finit par le plaindre. On finit par avoir de l’empathie pour cette chose perdue dans un environnement hostile qu’elle ne comprend pas.
Mais Cloverfield n’est pas qu’un film de monstres géants. C’est aussi une histoire d’amour. Au lieu de fuir, Rob décide d’aller chercher chez elle son amie Beth, avec qui il s’est disputé quelques heures plus tôt. Il entraîne avec lui ses amis au cœur du chaos. L’amour déplace des montagnes. Et c’est là qu’on se rend compte que Cloverfield est plus un projet intimiste qu’un blockbuster spectaculaire. Rob est un personnage indécis tiraillé entre le fait de partir bosser au Japon et sa liaison naissante avec son amie d’enfance, qui s’avère être la femme de sa vie. Rob n’arrive pas à s’engager auprès d’elle. Dès lors, le monstre représente son dilemme intérieur et le pousse à se décider: rejoindre Beth. Il est remarquable de constater que la première manifestation du monstre a lieu quand Rob pleure sur son sort sur le balcon de l’appartement, en compagnie de son frère et de Hub. Ce n’est pas la créature que doit combattre Rob mais son propre monstre intérieur.
Matt Reeves a, enfin, eu une idée de génie. Hub filme avec le caméscope de Rob, effaçant un film que Rob avait fait. Un mois auparavant, il s’était filmé avec Beth, au début de leur relation. Il étaient heureux et passaient une journée formidable à Cosney Island. Par intermittences, on peut en voir des extraits pendant le film. C’est très troublant. Cet amour a failli être effacé, au propre comme au figuré: par le nouveau filmage de Hub et par le départ de Rob au Japon. Néanmoins, l’amour finit par s’imposer. Il ne disparait pas et clôt même le film. Et c’est ce qui va rester de l’incident Cloverfield: une histoire d’amour. Car derrière chaque catastrophe, il y a des vies humaines, il y a des morts. Et leur souvenir reste.
Cloverfield, en DVD Zone 2 chez Paramount.
DEADPOOL-Mupastant que ça…
Ancien soldat d’élite, Wade Wilson (Ryan Reynolds) est devenu un mercenaire louant ses services à des commanditaires privés. Il rencontre Vanessa, une superbe escort-girl. C’est le coup de foudre. Ils sont très heureux jusqu’à ce que Wade apprenne qu’il est atteint d’un cancer généralisé. Condamné à brève échéance, il accepte la proposition d’un homme mystérieux qui le contacte: recevoir un traitement révolutionnaire qui le guérira de son cancer et le dotera d’une invincibilité physique qui le rendra quasi-immortel. L’expérience tourne mal, Wade est défiguré, laissé pour mort mais avec des super-pouvoirs. Il n’ose plus paraître devant Vanessa. Il décide de retrouver ses bourreaux et de se venger.
Deadpool est adapté d’un comics Marvel qui se situe dans l’univers des X-Men. Deadpool est devenu un mutant suite à des expériences. Mais c’est un franc-tireur qui ne veut faire partie d’aucun groupe. Le succès du comics vient de son ton et de son style politiquement incorrects: Deadpool est violent et ordurier, ainsi que porté sur le sexe. Adapter un tel comics est très risqué pour la Fox. Comment garder le ton original du comics et attirer un large public? Après 15 ans (!) de gestation, et une apparition ratée du personnage dans le Wolverine de 2009 (déjà sous les traits de Ryan Reynolds), Deadpool a enfin droit à son film rien qu’à lui. Justice lui est-elle rendue?
Le film démarre sur les chapeaux de roue. Les 30 premières minutes sont extrêmement rythmées et funs. Les scènes d’action sont lisibles et jouissives. Mieux, le film adopte le même ton que le comics. On a droit à du sang, de la violence, des vannes sexuelles, etc. Cela nous change de l’univers aseptisé des Avengers! On se marre, on jubile. A ce moment, le film atteint son contrat. D’autant qu’il propose une histoire d’amour assez crédible et touchante, avec des scènes d’amour pas grand public du tout! Mais patatras, tout s’écroule.
La structure était intéressante: une longue scène d’action entrecoupée de flash-backs sur l’histoire passée du héros, qu’il nous raconte lui-même. Seulement, cela finit par devenir lassant. Comme le film. Passé cet excellent début, le film marque le pas et devient ennuyeux. La longue partie centrale sur le calvaire passé du héros finit par s’éterniser et être assez cliché. Le méchant antagoniste de Deadpool est aussi expressif et inquiétant qu’un menhir, encore un gros costaud qui fronce les sourcils et qui sourit à chaque menace proférée…Les vannes aussi finissent par devenir lassantes. On finit par ne plus rire aux saillies de Deadpool (de moins en moins drôles à mesure que le film avance) et à ses coups de coudes répétés et fatigants aux spectateurs. Oui, parce qu’en plus, c’est un film supposé ironique qui se commente lui-même. Genre « y a que deux mutants dans l’école parce la prod avait pas assez de budget pour en mettre plus? ». Sauf que c’est le cas, le film a un plus petit budget que les X-Men et comme tout le pognon de la Fox est passé sur X-Men- Apocalypse, restaient que les miettes. Voilà, on se dédouane de tout ça avec une vanne , genre « Vous avez payé votre place pour un film sous-budgété, ah ah ah, c’est drôle », on se moque ouvertement du spectateur à qui on colle un Colossus bêtement moralisateur flanqué d’une ado mutante mimi.
Le scénario est fort décevant. Une scène d’action en entrée, un long flash-back sur le héros en plat principal et un affrontement final en dessert. Et allez hop, emballé c’est pesé! Heureusement que ce climax est bien foutu et retrouve l’énergie du début. Enfin, on retrouve un peu le film qu’on avait aimé 3/4 d’heure avant. Les affrontements entre mutants (ils sont cinq) sont assez bien foutus. Mais bon, tout a une fin. Ici un happy end un peu hors-sujet pour un tel film. Après le générique, on a droit à une scène rigolote mais prévisible et où on se paie encore la tronche du spectateur (moyennement sympa). Sinon, Ryan Reynolds assure, les filles sont mignonnes et les sfx sont bien faits. Malheureusement, il ne reste qu’un divertissement vaguement sympathique, mais qui finit par tourner à vide et qu’on aura oublié d’ici quelques semaines…
Note: 2/5 (je change la notation des films)
Deadpool, de Tim Miller, avec Ryan Reynolds, sorti depuis le 10 février.
LES 8 SALOPARDS-Enfer blanc
Etats-Unis, peu de temps après la fin de la guerre de Sécession. John Ruth (Kurt Russell) surnommé « Le Bourreau », un redoutable chasseur de primes, ramène une prisonnière, Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh), pour qu’elle soit pendue. Le blizzard menace. Ruth est bientôt forcé de prendre à bord de sa diligence deux passagers. Tout d’abord, un autre chasseur de primes: le major Marquis Warren (Samuel L. Jackson). Puis un ancien renégat sudiste qui va prendre un poste de shériff: Chris Mannix (Walton Coggins). Bientôt, nos quatre passagers et leur cocher vont devoir s’arrêter à la mercerie de Minnie car la tempête menace. Là, ils vont trouver quatre hommes qui attendent, comme eux, la fin du blizzard. Mais Ruth commence rapidement à soupçonner l’un d’entre eux d’être de mèche avec sa prisonnière…
Après le formidable Django Unchained, sorti il y a trois ans, on pouvait bien se demander ce que Tarantino allait faire dans son prochain western, qu’il a rapidement annoncé. On avait peur de la redite. Mais on avait tort. Car cet Hateful Eight est une surprise de taille, un film fort surprenant qui prend des chemins inattendus.
Le film est un huis-clos qui se passe dans une mercerie, perdue dans les montagnes. Il y a quelques scènes en extérieur, dans l’immensité neigeuse, mais le film rappelle constamment son statut de huis-clos. Tarantino n’a de cesse d’enfermer ses personnages. Passé un magnifique générique d’ouverture où le score superbe et puissant de Morricone éclate, et à peine fait-on connaissance avec le personnage de Samuel L. Jackson, que le réalisateur enferme ses personnages dans une diligence. Cette longue scène d’introduction pose tous les repères futurs du film: thèmes, personnages, ambiance. Mais c’est, encore une fois, une scène de discussion où éclate le talent de Tarantino à créer des personnages solides et des dialogues ciselés. On a vraiment l’impression d’être dans une diligence du Far-West avec des personnages du crû! Et le tout est d’une drôlerie!
Une fois arrivé à la mercerie, le spectateur va être convié à un ballet de défi et de mort entre les personnages. Le film devient autre chose. Plus sale, plus crapoteux, plus angoissant, plus méchant. Il faut saluer l’incroyable sens de l’espace de la réalisation de Tarantino. On se repère facilement dans la mercerie. Et chaque dialogue, chaque affrontement ou monologue, chaque déplacement de personnage est réalisé au cordeau par un Tarantino dont la précision de filmage est minutieuse. Il a avoué n’avoir jamais été fan d’Hitchcock. Pourtant, Sir Alfred n’aurait pas désavoué cette mise en place et cette chorégraphie du suspense. Le film est un whodunit, un Cluedo chez les cows-boys. Il y a un traître et il faut l’identifier. Chaque dialogue et chaque regard pèsent lourd. Mais bientôt, Tarantino déjoue nos attentes et bascule dans l’horreur et l’impensable. Il nous secoue par le colbac. Bien sûr, l’humour noir fait passer la pilule. Mais Tarantino s’amuse à rendre hommage au The Thing de Carpenter (la présence de Kurt Russell n’est pas surprenante) via une atmosphère et des débordements « horrifiques ». Quand la violence éclate, ça fait mal! Et la présence quasi-surnaturelle de ce blizzard qui menace à l’extérieur, est bien vue.
On retrouve beaucoup des thèmes fétiches de Tarantino. La parole est encore une fois une arme ici. Et comme dans Pulp Fiction ou Jackie Brown, c’est l’immense, le redoutable, le génial Samuel L. Jackson qui joue du verbe comme d’une arme mortelle, seul Noir au milieu des hommes blancs. Comme dans Django, la question du racisme vis à vis des Noirs est abordé. Mais le contexte est différent. Ici, nous sommes après la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage. Mais les rancoeurs sont toujours là, entre Nordistes et Sudistes, entre Blancs et Noirs, entre esclavagistes et hommes libres. C’est un film politique qui traite (et dénonce) de la suprématie de la race blanche aux Etats-Unis. Ferguson n’est pas loin et nous avons vu Tarantino prendre courageusement partie contre les débordements racistes de la police de son pays. Mais le personnage noir de ces 8 Salopards n’est pas un ange. C’est un chasseur de primes, un tueur de blancs racistes comme il se définit. Il est aussi roublard, malin et pervers que les autres protagonistes (il n’y a aucun vrai personnage positif dans ce film). La violence des Blancs sur les Noirs a crée un monstre qui demande des comptes. Brillante allégorie de la situation raciale actuelle aux Etats-Unis. Le film raconte pourtant le rapprochement entre un Noir et un Blanc, une sorte d’estime mutuelle, mais ce n’est pas comme dans Django et cela se scelle dans la mort et la violence. Oui, nous avons affaire à un film politiquement incorrect qui se joue de tous les clichés.
Ponctué de trouvailles savoureuses (la lettre de Lincoln, la porte de la mercerie) et de petits effets narratifs malins (la scène du café), Les 8 Salopards se repose sur un casting parfait. On le redit: Samuel L. Jackson est monstrueux. Kurt Russell livre aussi un numéro génial en vieux briscard retors. Walton Coggins est parfait de lâcheté et de médiocrité en raciste du Sud. Michael Madsen est formidable dans son rôle de cow-boy fataliste et taiseux (quel regard!). Tim Roth est magnifique de roublardise, tandis que Bruce Dern nous livre une hilarante prestation de vieux grincheux. Et puis il y a Jennifer Jason Leigh, ses œillades, son sourire et sa voix…Tour à tour pleine de duplicité ou de charme, elle est parfaite et tient la dragée haute face à tous ces hommes. La scène où elle chante à la guitare est d’une grande émotion.
Jouissif, brutal, horrifique, drôle, politique, incorrect, Les 8 Salopards est un modèle d’écriture scénaristique et scénique. Le plus énervant avec Tarantino, c’est qu’il s’améliore de film en film. A voir absolument! Note: 20/20
The Hateful Eight, de Quentin Tarantino, en salles depuis le 6 janvier.
TOP 10 2015
J’ai retrouvé mon flingue…
2015 se termine, dans la joie et l’allégresse. 2016 se profile à l’horizon. Ce n’est qu’un nombre sur un calendrier mais il nous effraie quelque peu. Que nous réserve cette future année? L’appréhension nous guette, surtout si on se retourne sur l’année écoulée. Comme tous les ans, le bilan n’est pas forcément folichon et ne nous incite pas à l’optimisme. L’Homme ne semble rien apprendre de ses erreurs et continue à pourrir la vie de son prochain.
Au rayon de ceux qui nous ont bien gonflé en 2015, il y a toujours les fanatiques religieux et les intégristes de tout poil. Quelque soit la religion qu’ils prétendent servir, tout en la trahissant, ils veulent faire régner leur nouvel ordre moral dans la peur, l’ignorance et (hélas) le sang. Membres de ce truc barbare qu’on appelle état islamique (et qui ne mérite pas qu’on lui mette des majuscules), tenants de ce truc dégueulasse qu’est la charia et qui ne sert qu’à opprimer et rabaisser les femmes, persécuteurs des homosexuels, opposants à l’avortement et autres membres intolérants et bigots de la manif pour tous (sans majuscules aussi), tartuffes qui veulent censurer les films et les photos où un bout de sein dépasse mais qui matent bien quand même, petits procureurs de la morale et du bon goût, vous tous que je cite, vous êtes à gerber. Si vos dieux existent, ils seraient temps qu’ils sifflent la fin de la récré et vous foutent un bon coup de pied au culte!
Les racistes, xénophobes, islamophobes, antisémites, pétainistes et homophobes ne nous ont pas déçu non plus. Toujours promptes à pointer des boucs émissaires, à manipuler les peurs et les espoirs des peuples, ils s’organisent en partis politiques populistes, vulgaires et dangereux. Les girouettes opportunistes se rallient à leur drapeau, avocat ou ancien président d’association, et se roulent dans la fange pour profiter de leur regain de popularité. Quant aux électeurs trop crédules ou trop naïfs pour croire en eux, je n’ai plus envie de leur chercher d’excuse. Ces gens qui pensent que les migrants leur prennent tout et en jalousent même leur condition d’apatrides et d’indigents…. On marche sur la tête, là! Visiblement, la haine de l’autre et le repli sur soi ont encore le vent en poupe…
Les politiques corrompus sont toujours là. Ils occultent l’action des quelques membres de leur caste qui font leur boulot correctement. Mais on ne voit que ces gangsters aux patrimoines immobiliers délirants et aux nombreux comptes bancaires illicites. Ces gens qui ont trahi le peuple, quelque soit leur bord politique. Dur d’y croire encore mais les nouvelles générations seront peut-être mieux.. Spéciale dédicace aussi à tous les dictateurs de la planète qui massacrent, pillent et violent hommes, femmes et enfants, dans l’indifférence générale…Mais bon, ils sont loin ces pays arriérés, non? N’oublions pas non plus tous ces banquiers et financiers qui mettent les prolétaires à genoux, 2015 ne serait rien sans vous.
La pollution, le réchauffement climatique, les animaux maltraités n’ont pas disparu, hélas. L’Homme détruit la seule planète qu’il habite et tout le monde s’en fout et va consommer à outrance dans les centres commerciaux et acheter sa dinde de Noël. La téléréalité et ses crétins médiatiques remplacent la lecture et la culture en général, imposant leur mauvais goût à des masses de spectateurs qui n’essaient pas de voir plus loin que le bout de leur nez. La tablette numérique remplace le livre. Le premier imbécile venu va, anonymement ou non, sur les réseaux sociaux pour insulter ceux qui ne pensent pas comme lui. Millions de petits « trolls » au discours haineux pathétique et persuadés d’être le centre de l’univers…Tous ces gens qui étalent leur vie privée sur le Web à coup de photos prises en vacances aux Seychelles ou en salle de muscu (curieux, ils ne partagent jamais de photo où ils seraient dans une bibliothèque ou une librairie!).
Voilà, vous tous, vous avez encore pourri l’année écoulée. J’ai certainement oublié d’en citer certains mais je pense bien à vous. Mais curieusement, j’ai encore de l’espoir. J’ai foi en l’avenir. J’ai foi en des lendemains qui chantent. Je me dis que ceux qui viendront après nous, auront conscience que tout cela doit s’arrêter. Tout n’est peut-être pas rose dans notre monde, mais tout n’est pas sombre non plus. Tout autour de nous, il y a des gens qui essaient de faire bouger les choses. Il y a des petites choses dans le quotidien qui donnent envie de continuer et de se battre. Alors oui, on perd souvent le moral mais faut se battre. Il ne faut pas laisser la connerie gagner sinon on sera tous perdants. On peut commencer en 2016. Il n’est pas trop tard. Dans un an, le bilan sera peut-être moins négatif. On peut faire des trucs bien tous les jours. On peut faire des rencontres importantes tous les jours. On peut rêver à un monde meilleur, plus tolérant et plus fraternel. Rêver c’est bien, agir c’est peut-être mieux… En tout cas, moi, j’ai retrouvé mon flingue, je remonte à cheval et je continue. Faites comme moi!
(Je dédie ce court texte au chanteur Renaud. Retrouve ta plume, camarade!)
129 amis
Ils étaient sortis pour prendre un verre et discuter entre amis ou pour aller à un concert écouter du bon vieux rock. Ils ne rentreront pas chez eux. Leur chaise restera vide à la table familiale. La place dans leur lit sera à jamais froide. Leurs enfants, leurs parents ou leurs amis ne pourront plus les serrer dans leurs bras. Ils manquent.
Ce vendredi soir, ils étaient dehors pour décompresser de leur semaine et se détendre. Ils ne faisaient aucun mal. Ils étaient juste heureux et insouciants. Ils manquent.
Ce sont des hommes, des femmes, des jeunes, des moins jeunes, des fils, des filles, des mères, des pères, des frères, des soeurs, des conjoints, des amis…Ils manquent.
Des tueurs dans une voiture noire, kalachnikov à la main, ceinture d’explosif à la taille, ont décidé que leurs vie devaient s’arrêter. Ils manquent.
Ce n’étaient pas des soldats ou des combattants, juste des gens comme vous et moi. Mais ils sont devenus des ennemis à abattre. Juste parce qu’ils étaient libres et heureux. On les a tués. On a tué la joie. On a tué la vie. On a tué l’humanité. On nous a tué, vous et moi. Ils manquent.
Cela arrive tous les jours, autour du monde. Vendredi, c’était à Paris. Demain, cela recommencera ailleurs. Cette barbarie sans nom, cette lâcheté, cette souillure sur notre planète. Ils frappent à l’aveugle. Au nom de quoi? de qui? et pourquoi? Il n’y a rien derrière tout ça. C’est vide de sens. Ce n’est plus de la haine. Juste de la démence pure et simple. C’est froid, désincarné et inhumain. Ils ont tué nos compatriotes. Ils sont nos ennemis.
Alors, relevons la tête, gardons le sourire, continuons à vivre, à être libre et à nous amuser. N’ayons pas peur. Ils ne peuvent pas tous nous tuer. Car comme l’a dit Jim Morrison: « Ils ont les fusils mais nous avons le nombre. »
N’oublions pas nos morts. Ils continuent à vivre dans nos coeurs. Ils sont 129 et ils nous manquent.
LE FILS DE SAUL-L’enfer
Octobre 1944. Saul est un juif hongrois, prisonnier au camp d’Auschwitz. Il fait partie des Sonderkommando, ces prisonniers juifs que les nazis chargeaient d’amener les prisonniers aux fours crématoires et de brûler les cadavres. Saul s’acquitte de cette tâche, sans émotions. Un jour ou l’autre, il sait que ce sera son tour. Et puis un jour, le corps d’un jeune garçon va réveiller quelque chose en lui…
Un choc. C’est ce qu’on ressent face à ce film. On rentre dedans, on en sort plus. Pas d’échappatoire. C’est une véritable expérience cinématographique, que l’on vit pleinement. Rares sont les films à s’imposer comme des classiques instantanés. Saul Fia (titre original) en fait partie. C’est un film qu’on n’oubliera pas. C’est un film qui va rester. C’est un film courageux, exigeant, nécessaire et profondément bouleversant. C’est le film le plus important de la décennie. C’est un film fait de ténèbres mais qui possède une lumière intérieure très forte, apte à éclairer les consciences. Saul Fia est un chef d’œuvre.
Làszlo Nemes, le réalisateur, est lui-même hongrois et juif. Beaucoup de membres de sa famille sont morts dans les camps. Il voulait leur rendre hommage et faire un devoir de mémoire. Mais le film va bien au-delà de cette intention. Nemes est un réalisateur courageux, honnête et talentueux. Il a trouvé un angle particulièrement pertinent pour son histoire. Le film épouse complètement le point de vue d’un Sonderkommando. Saul assiste les nazis dans l’extermination de ses semblables. Lui et les autres Sonderkommando (qui vivent séparés des autres prisonniers du camp) font se déshabiller les prisonniers, les amènent au four crématoire, attendent, ramassent les cadavres, aident les nazis à les brûler et vont disperser les cendres dans la nature. Mais ce ne sont pas des privilégiés, au bout de quelques mois, ils sont eux aussi gazés et remplacés par d’autres. C’est un point de l’Holocauste dont on parle peu. Sa réalité est glaçante.
Tout le film est filmé au format 4/3, comme pour nous empêcher de respirer et nous faire ressentir l’enfermement et la proximité de la mort. Nous restons constamment sur Saul. Le prodigieux acteur Géza Röhrig est de tous les plans: de face, de dos, au premier plan, quelquefois la caméra épouse son regard. Jamais la réalité d’un camp d’extermination nazi n’avait été montrée aussi froidement et aussi crûment. Mais nulle complaisance ici. Tout se déroule à l’arrière plan. Cris, pleurs, bruits des armes, des portes qui claquent…Le début est, à ce titre, traumatisant. Jamais l’horreur de la solution finale n’a été aussi palpable. Le quotidien de Saul est exposé dans les 10 premières minutes. Rien que ces 10 minutes sont fortes, puissantes et déchirantes: les coups sur la porte du four, le nettoyage après le gazage…On devine mais on a rien vu. Mais l’horreur nous saisit. Nous sommes restés sur Saul.
Saul…Un homme mutique mais complexe. Un homme qui a anesthésié sa part d’humanité pour effectuer un travail proprement horrible, dans le but dérisoire de survivre quelques semaines ou mois de plus. Saul ne ressent rien. Et puis, il tombe sur le cadavre de ce jeune garçon. Et là, quelque chose dans son regard…Saul se réveille. Il décide que le garçon sera enterré et non brûlé. Il se met en marche. Il court. Il se met en danger. Pour cacher le corps. Pour chercher un rabbin parmi les prisonniers. Dérisoire. Mais c’est une quête pour retrouver sa dignité d’homme et son humanité. On éprouve une forte empathie pour lui. Et derrière Saul…l’enfer. Durant son périple, nous voyons, à l’arrière-plan, toute la chaîne de l’horreur de l’extermination des juifs: le parcours des corps après le gazage. Car c’est cela la réalité d’Auschwitz, et que reconstitue le film: une usine de la mort, une chaîne infernale qui ne s’arrête jamais. Le bruit est assourdissant. L’enfer tourne sans discontinuer. C’est une extermination programmée, méthodique, planifiée… Parfois, Nemes nous en monte un peu plus mais sans rentrer dans les détails. On pense à cette scène qui se déroule au bord des fosses: la nuit, les flammes, les coups de feu, les cris…Une vision tétanisante de l’enfer. Et puis ces Sonderkommando qui déversent les cendres de leurs semblables dans le fleuve…On a envie de crier, de rentrer dans le film et d’arrêter tout ça. Mais non, on ne peut pas. C’est trop tard. Cette horreur fait partie de l’histoire de l’humanité…
Le réalisateur ne fait pas pourtant de Saul, un héros. S’il décide de s’occuper du cadavre, c’est parce qu’il lui rappelle un soi-disant fils disparu. Quand Saul retrouve sa femme, il lui refuse tout geste de tendresse. Peut-être se sent-il indigne d’elle…D’ailleurs, cette scène est forte. On voit des femmes juives qui rangent les affaires et les valises des autres prisonniers. Tout cela tinte et brinquebelote. Toutes ces vies résumées à de simples affaires. Ce bruit, c’est le bruit de leurs vies passées, à tous ces morts…
Saul Fia est une œuvre magistrale qu’il faut absolument voir en salles. Absolument. C’est un film qui montre ce que l’humanité peut avoir de meilleure et de pire en elle. Le film se clôt d’une façon poignante. Mais il reste un fragile espoir. Une petite lumière dans les ténèbres… Note: 20/20
Saul Filia, de Làszlo Nemes, avec Géza Röhrig, en salles depuis le 4 novembre.