MES 10 FILMS DE 2014
MORIARTY- L’ennemi invisible
Près de trois ans après l’excellent « La Maison De Soie », Anthony Horowitz, toujours avec l’aval des ayants-droits de Conan Doyle, publie un nouveau roman sur Sherlock Holmes. Cette nouvelle histoire commence juste après la confrontation entre Holmes et Moriarty aux chutes du Reichenbach, confrontation qui se solde par la mort des deux antagonistes. Du moins selon la version officielle, car on sait que Holmes a survécu mais qu’il a choisi de se faire passer pour mort durant trois ans, de 1891 à 1894, période que les holmésiens appellent le Grand Hiatus. Le roman de Horowitz commence cinq jours après le drame du Reichenbach, avec la rencontre entre l’inspecteur principal de Scotland Yard Athelney Jones et un détective de l’agence américaine Pinkerton, Frederick Chase. Tous deux se lancent à la poursuite d’un mystérieux criminel américain, Clarence Devereux, qui semble vouloir prendre la place laissée vacante par Moriarty à Londres. La partie commence…
Il faut tout de suite évoquer le principal défaut du roman. En soi, c’est très couillu de la part d’Horowitz et c’est d’une grande originalité mais la frustration est quand même grande chez le lecteur. On ne verra jamais Sherlock Holmes et le docteur Watson de tout le roman! Du coup, ce n’est pas vraiment une enquête de Sherlock Holmes. Ici, c’est une enquête de l’inspecteur Jones de Scotland Yard. Mais l’ombre de Holmes est omniprésente. Jones applique les méthodes de Holmes et s’avère aussi doué (plus?) que lui. Du coup, on a un Holmes bis. On voit que les méthodes de Holmes ont fait école et influencent désormais la police. C’est une forme d’héritage. Néanmoins, à ce compte, on aurait préféré voir le vrai Holmes. Mais Athelney Jones est un personnage intéressant et terriblement humain: il est marié, père d’une petite fille de six ans, handicapé (il boite et marche avec une canne) et demeure obsédé par Holmes. Quant à Frederick Chase, il est intuitif, porté sur l’action et admire les méthodes de Jones, pour qui il se prend d’amitié et de loyauté. C’est lui qui raconte l’histoire à la première personne. Bref, c’est un nouveau Watson. Au final, nous avons bien une aventure de Holmes et Watson, mais de façon déguisée. Original mais frustrant. Frustrant mais original.
Concernant l’intrigue et le style de l’auteur, on retrouve ici intact le talent dont Horowitz faisait preuve sur La Maison De Soie. L’histoire est diabolique à souhait, pleine de chausse-trappes et de fausses pistes, émaillée de nombreuses péripéties. Le rythme est soutenu et on ne s’ennuie jamais. Horowitz, une fois de plus, restitue brillamment l’Angleterre victorienne: les bas-fonds, les docks, les clubs populaires, les ambassades et leurs soirées mondaines,…Son récit est parsemé de trouvailles qui font mouche: la réunion des inspecteurs de Scotland Yard, une scène de crime particulièrement barbare, un jeune adolescent inquiétant, un méchant insaisissable et atteint d’une grave phobie, l’officine très particulière d’un étrange barbier, un attentat spectaculaire, etc. Bref, c’est du grand art, écrit de main de maître dans un style digne de Conan Doyle! Et il y a quelques références au Canon holmésien que les fans apprécieront.
Moriarty demeure un roman passionnant mais aussi un roman sombre, désespéré et très cruel. L’enquête de nos deux héros ne se fera pas sans mal et les mènera à affronter un ennemi bien plus retors qu’il n’y parait. L’inspecteur Jones (qui avait croisé Holmes sur l’affaire du Signe des Quatre) a une revanche à prendre, à la fois sur Holmes (il s’est senti humilié par ce dernier) et sur la vie (son handicap). Il se sent diminué et fait tout pour exister aux yeux des autres et que son travail soit reconnu. Chase est lui déterminé à venger la mort d’un de ses collègues, quelque en soit le prix. Mais si l’ombre de Holmes plane sur cette histoire, celle de son machiavélique ennemi est aussi présente. Et l’on se pose une question tout du long: le professeur Moriarty a-t-il survécu aux chutes du Reichenbach? Jones et Chase vont-ils devoir se mesurer à deux criminels d’exception: Moriarty et Clarence Devereux?
A noter que le roman est suivi d’une courte nouvelle, Les Trois Reines, une enquête antérieure au récit qui précède et qui met en scène une enquête de Holmes, relatée par le fidèle Watson. Une nouvelle bien dans la mouvance de Conan Doyle mais qui laisse un goût amer…
Note: 16/20
Moriarty, de Anthony Horowitz, 360 pages, Calmann-Lévy.
Ego, la grande aventure
C’est parfois fatigant de dissimuler ce que vous ressentez vraiment. Cela peut même devenir pesant. Dans nos sociétés modernes, il faut toujours jouer un rôle et composer un personnage que l’on n’est pas. Etre soi-même est pourtant la chose la plus naturelle au monde mais, allez savoir pourquoi, quelquefois on va vous en vouloir et vous montrer du doigt pour avoir osé être vous-même, sans masque et sans artifices. Il faut être politiquement correct, il faut être consensuel, il faut être javellisé de l’intérieur. Bref, il faut être un animal social ennuyeux.
Mais que faut-il faire pour être soi-même? Je n’en sais rien. Vous êtes déçus. Vous pensiez que j’allais vous révéler un grand secret. Ce n’est pas grave. Je ne connais aucun grand secret. Je ne sais pas si il y a une vie après la mort et si l’entrée y est gratuite. Je ne sais pas si Jésus a vraiment existé et je connais pas la recette pour changer l’eau en vin. N’étant pas télépathe, je ne sais pas à quoi vous pensez en lisant ces lignes, sauf toi, petite coquine…Bref, je ne sais rien!
Alors comment répondre à cette question que j’ai posée au paragraphe précédent? Et bien, il me suffit de me prendre comme cobaye. Etant la représentation parfaite et universelle de l’humain moyen, je crois que je pourrais aboutir à un résultat probant.
Donc, comment être soi-même? Comment puis-je être moi-même? D’ailleurs, qui suis-je? Je suis allé demander un extrait d’acte de naissance là où j’étais né. Je fus rassuré d’avoir une existence légale. J’avais un nom, une date de naissance, des parents, bref, un état civil. Je suis bien moi, d’un point de vue légal. Il me fallait en être sûr. Je n’aurais pas aimé découvrir que j’avais usurpé ma propre identité. Vous vous rendez compte? J’aurais été moi mais sans l’être vraiment d’un point de vue administratif. Pire, mon nom n’aurait pu être qu’une invention, tout comme moi. J’aurais pu être une créature de fiction, comme toi, capitaine Haddock. Non, maintenant, j’ai ce bout de papier et je sais que j’existe. J’aime bien me faire peur mais là, j’ai vraiment paniqué pendant un moment!
Rassuré sur mon existence administrative et légale, je décidai de partir à la découverte de mon moi profond. Qui suis-je vraiment? En faisant le bilan de toutes ces années qui constituent ma vie, je m’aperçus que le constat n’était pas terrible. J’ai à peu près tous les défauts possibles et inimaginables: lâche, égoïste, associal, misanthrope, pas souriant et surtout, j’ai le vertige. Cette dernière tare m’a valu d’être exclu d’un club d’alpinistes. Le directeur du club m’a demandé: « Mais pourquoi vous êtes vous inscrit si vous avez le vertige? ». J’ai répondu: « Pour manger de la fondue. » Je suis, depuis, sur la liste noire de tous les clubs d’alpinisme.
Du point de vue du caractère, je suis donc un sale type. J’ai commis tant de mauvaises actions et blessé tant de personnes, que j’aurais du aller me confesser depuis longtemps. Bon, je l’ai déjà fait une fois, le prêtre a refusé de me donner l’absolution et m’a traité de monstre. Je m’en fiche un peu vu que je suis athée à la menthe.
Donc, si je veux être moi, suis-je condamné à être une horreur de la nature? Peut-être… A moins d’avoir en moi des trésors insoupçonnés de gentillesse et d’altruisme? Pas gagné… Cette réflexion sur moi même commence à me faire déprimer. Je vais la réorienter sur le plan des aspirateurs… non, des aspirations (pas une bonne idée d’écrire tout en picolant).
Je crois que je ne fais pas ce que j’ai envie de faire vraiment. Je pense que je n’ai pas encore trouvé ma place et que je n’ai rien accompli dans ma vie. Je suis donc comme les 3/4 des gens. Rassurant! Mais que faudrait-il que je fasse pour être moi-même? J’aime le cinéma, j’aime lire (copyright Bayard Presse), j’aime le chocolat, j’aime les histoires de Sherlock Holmes et qui se passe durant l’Angleterre victorienne, j’aime les westerns, j’aime Winona Ryder, j’aime la nature, j’aime le silence, j’aime les chiens, j’aime l’automne et l’hiver, j’aime Peter Pan et j’aime écrire des conneries. Il me faut donc trouver un mix de tout ça. Trop facile!
Pour être moi-même, je vais m’établir comme détective privé, m’habiller comme un dandy de l’ère victorienne, dresser des chiens policiers, mettre autour de ma taille un ceinturon avec un six coups, abandonner cette carrière au bout de 5 ans, me reconvertir dans le cinéma, faire des films d’après mes enquêtes, faire tourner et épouser Winona Ryder, fuir les mondanités, habiter un manoir à la campagne, m’exiler au Groenland en été, écrire mes mémoires qui seront d’énormes mensonges (le titre: « Comment j’ai rencontré le Yéti ou ma vie aventureuse ») et puis un beau jour, me gaver de chocolat, en faire une overdose, mourir et rejoindre le Pays Imaginaire.
Voilà, j’ai trouvé le moyen d’être moi, sans tricher. J’espère que cela vous aidera à vous trouver vous-même. Moi je commence demain à mettre mon plan à exécution. Il faut vivre ses rêves et envoyer se faire foutre le quotidien banal dans lequel nous nous engluons.
Cela me fait quand même un peu peur. Et si je n’y arrivais pas? Me reste toujours la possibilité d’être meilleur au quotidien et de ne pas me laisser gangréner par la triste réalité de la société dans laquelle je vis…
Le mois prochain, je vous relaterai ma rencontre avec le Yéti.
LE HOBBIT: LA BATAILLE DES CINQ ARMEES-The dwarf knight rises
(ATTENTION! Cet article contient, dans son quatrième paragraphe, un léger spoilier sur quelque chose qui arrive en début de film.)
Voici enfin le troisième et ultime volet de la trilogie Le Hobbit. Voici enfin l’ultime adaptation de l’œuvre de Tolkien par le cinéaste néo-zélandais Peter Jackson. Commencée en 1997, cette aventure cinématographique aura duré une douzaine d’années pour le réalisateur et son équipe (si on prend en compte les années de préparation et si on exclut la coupure entre 2004 et 2009). Cette incursion en Terre du Milieu aura marqué le cinéma d’Heroic Fantasy (à sa suite, on a eu beaucoup de tentatives, certaines réussies, d’autres non) et le cinéma tout court. Jackson aura réconcilié les cinéphiles amateurs de grand cinéma et le grand spectacle hollywoodien où les effets spéciaux servent l’histoire et non l’inverse. A la fin de cette Bataille des Cinq Armées, on sait que c’est fini….et que cela recommence. L’émotion est palpable pour le spectateur. Oui, il faudra remercier Jackson de ce qu’il a accompli.
Mais entre les deux trilogies, et malgré leur succès, certains ont retourné leur veste et ont voué le réalisateur aux pires gémonies. Quant bien même le cinéaste n’a pas changé grand-chose à sa méthode de travail et à son style, une partie de ceux qui l’ont encensé hier, le descendent en flèche aujourd’hui, quitte à tomber dans la caricature et la mauvaise foi. Quant aux fans purs et durs (voire extrémistes) de Tolkien (qui ne constituent en aucun cas la majorité des fans de l’écrivain), ils étaient déjà durs avec la première trilogie, ils sont carrément devenus odieux et insupportables pour la plupart. A force de lire certains commentaires sur le web, on hallucine grave. Ils n’ont toujours pas compris qu’une adaptation filmique n’est pas un livre animé, que cinéma et littérature sont deux façons différentes de raconter une histoire et que le réalisateur n’est pas tenu d’accéder au moindre de leur désir (caprice?). Alors oui, pressé par le studio, Jackson a fait trois nouveaux films au lieu des deux initialement prévus. Alors oui, il y a des longueurs dans l’acte central (La Désolation de Smaug), mais on ne pourra jamais savoir ce que deux parties auraient donné, alors autant l’accepter. Jackson arrive, in fine, à livrer un tout cohérent. C’est le principal, non?
Cette troisième partie balaie les quelques doutes émis sur le rythme de la deuxième. La séquence d’introduction est prodigieuse. Smaug y montre toute sa puissance de feu. On assiste médusé à sa chorégraphie mortelle où une ville et ses habitants brûlent et sont détruits. Tétanisant. Le face à face entre le dragon et Bor est intense. Cette introduction nous plonge directement dans le bain de l’action, sans temps mort. L’heure n’est plus à une longue introduction. Ceux qui trouvent cela précipité sont certainement des personnes qui arrivent en retard à la projection et ratent le début…
Et le reste du film? Grandiose, épique, spectaculaire. Que dire de plus sans tout dévoiler? Ce film est une lente montée vers la bataille finale. Et quand celle-ci éclate, les affrontements sont barbares. On ne fait pas semblant! Il y a même beaucoup de cruauté, les Orques massacrant femmes et enfants sans faire de détails (quelques plans suffisent pour cela). Les Nains et les Elfes y montrent tout leur talent de guerriers aguerris. Oui, le spectacle est total. La réalisation de Jackson est ample, lyrique et romanesque. Le découpage est parfait. Les sfx sont réussis. En bref, on y est totalement. Il y a des plans et des séquences qui impriment la rétine: Legolas courant au ralenti sur des pierres qui tombent dans un ravin (très hong-kongais dans l’âme!), un fantastique duel sur la glace, la mort de Smaug (et le râle de Benedict Cumberbatch en VO!), une Galadriel transfigurée qui affronte Sauron, une cloche brisant une muraille et qui lance la bataille…Bref, on ressent un vrai enthousiasme devant ce spectacle. Tout simplement magique!
Jackson retombe aussi très bien sur ses pattes côté scénar. Les ajouts par rapport au roman d’origine (mais issus de Tolkien, Cf. Le Silmarillion ou les appendices du Seigneur des Anneaux) s’intègrent bien à l’ensemble et l’intrigue reste cohérente. Tout sert le récit final. Et l’émotion est grandement présente. Que ce soit dans une histoire d’amour impossible, dans l’amitié et l’estime que se portent certains personnages, dans l’amour d’un père pour sa famille ou dans le deuil, on ressent terriblement ce que les personnages ressentent également. Le film a une grande noblesse de cœur, à l’image de ce petit Hobbit (formidable Martin Freeman) qui masque son courage et son altruisme derrière son sens de l’humour et son physique pas très imposant.
Mais le personnage le plus important de ce film, et de cette trilogie, demeure Thorin, le Roi sous la Montagne. Le leader des nains doit combattre son côté obscur et le Mal du Dragon, à savoir son obsession pour son trésor et sa paranoïa qui le poussent à l’égoïsme, à l’indifférence voire au meurtre. Sourd au monde qui l’entoure et à ses souffrances, soupçonnant ses amis, Thorin doit défaire son propre ennemi: lui-même. C’est un héros noble et courageux qui ressortira de la montagne. Thorin montrera ce qu’est un grand roi. Et c’est dans le froid et sur la glace, qu’il s’accomplira comme héros. Richard Armitage livre une prestation époustouflante dans ce rôle: tour à tour lâche, au bord de la folie, méprisable puis capable d’une grande douceur, d’une grande force et d’un grand courage. C’est un personnage que l’on n’oublie pas. A l’image de toute cette formidable saga qui nous aura fait rêver et qui aura fait souffler l’esprit de Tolkien sur grand écran…
The Hobbit: The Battle Of Five Armies, de Peter Jackson, avec Ian McKellen, Martin Freeman, Richard Armitage , Evangeline Lilly et Orlando Bloom, en salles depuis le 10 décembre.
Note globale de la trilogie: 17/20
RESPIRE-A bout de souffle
Charlie, jeune lycéenne de 17 ans, vit une vie plutôt calme. Elle semble un peu distante et rêveuse, mais malgré sa discrétion, elle est bien intégrée dans son lycée et fait partie d’une joyeuse bande d’amis. Un jour, débarque une nouvelle élève dans sa classe: Sarah. Les deux jeunes filles deviennent rapidement les meilleures amies du monde, malgré leur différence de caractère (Sarah étant beaucoup plus extravertie). Mais rapidement, Charlie va tomber dans un piège, celui d’une personne manipulatrice, qui va lui empoisonner doucement son existence: son amie Sarah.
Après le touchant et réussi Les Adoptés (2011), Mélanie Laurent réussit ici un coup de maître pour son deuxième long-métrage. Rares sont les jeunes cinéastes qui transforment et transcendent leur coup d’essai. Et rares sont ceux, dans le cinéma français, à proposer quelque chose qui sort des sentiers battus et qui soit un acte de cinéma. Mélanie Laurent fait partie de ces exceptions. Il va falloir désormais compter avec elle. Avec ces deux films, on voit qu’elle possède un style, une manière de filmer et un regard qui lui sont propres.
Respire est donc un piège, celui qui se referme sur la jeune Charlie. La première partie est filmée en plans larges et moyens, la seconde en plans beaucoup plus serrés, comme pour rendre compte de l’étouffement dont est victime Charlie. Belle idée aussi que d’en faire une asthmatique, ce qui renforce cette idée d’étouffement et nous vaut une séquence assez éprouvante lors d’un cours d’EPS. Mélanie Laurent nous fait ressentir toute la souffrance et le désarroi de Charlie. Elle est bien aidée par la remarquable composition de Camille Japy, à la fois froide, distante mais aussi très fragile et sensible. Plus généralement, Mélanie Laurent a un don pour filmer l’adolescence et sans aucun cliché. Le début est, à ce titre, formidablement filmé. La scène est banale: Charlie se lève alors que ses parents s’engueulent. Mélanie Laurent reste sur son personnage. Elle filme ses pieds, son visage, mais ne dévoile pas entièrement les parents. Comme pour montrer que Charlie souffre de la situation mais qu’elle se barricade en elle-même pour se protéger. Dès les premières images, Mélanie Laurent gagne son pari.
Le traitement réservé au personnage de Sarah est aussi très subtil. Elle est atteinte de perversité narcissique. Mais loin d’en faire une « méchante » caricaturale, Mélanie Laurent complexifie le personnage. Il y a une raison à son comportement, quelque chose qui la pousse à détruire l’autre. C’est un personnage en grande souffrance. Lou de Laâge, son interprète, est elle aussi extraordinaire: à la fois « femme fatale » séductrice et vénéneuse, amie sincère, personnage en manque d’affection puis véritable garce. La jeune actrice est bluffante. On a envie de la gifler, puis de lui pardonner, puis de la gifler…comme Charlie.
Le film recèle quelques belles idées de mise en scène: la révélation du secret de Sarah en un plan séquence élégant, une menace de mort lors d’une fête juste avant un ralenti et un plan final absolument tétanisant. Le travail sur le son est aussi intéressant, comme cette vibration de téléphone portable perçue comme une véritable menace. Mélanie Laurent aime le cinéma. Cela fait bien plaisir de voir quelqu’un qui a un vrai sens de la caméra. On peut trouver quelques défauts au film: la mère de Charlie (bouleversante Isabelle Carré) est elle-même victime et dépendante d’une personne manipulatrice, le père de Charlie. C’est peut-être un peu redondant comme situation. Néanmoins, mère et fille traversent la même épreuve et n’arrivent pas à s’aider mutuellement. Cela éclaire aussi le comportement passif de Charlie devant Sarah, puis sa « rébellion ».
Respire n’est pas un film confortable. C’est un film assez sombre qui inquiète et bouscule le spectateur. C’est une histoire d’amitié qui vire à l’obsession. Ce drame psychologique touche en plein cœur. L’émotion qui découle de ce film n’est pas artificielle. C’est juste et sincère. Mélanie Laurent a mis beaucoup d’elle dans ce film et s’y est investi avec passion. Cela se sent à chaque plan. Elle va jusqu’au bout de sa démarche. C’est un film que l’on n’oublie pas, comme cette respiration finale qui nous hante véritablement… Note: 18/20
Respire, de Mélanie Laurent, avec Camille Japy, Lou de Laâge et Isabelle Carré, en salles depuis le 12 novembre.
INTERSTELLAR- Au-delà
Interstellar est le prototype du film dont il est difficile de parler sans tout raconter de lui. Tenter de donner envie aux gens d’y aller sans tout dévoiler, est très dur. Aussi, si vous souhaitez en débattre, vous pouvez utiliser les commentaires, je serai ravi de vous répondre!
Ceci posé, on peut quand même dire quelques mots sur ce film. Christopher Nolan (Memento, The Dark Knight Trilogy, Inception) est en passe de mener une petite révolution à Hollywood. Cela va-t-il perdurer? On verra. Nolan, depuis The Dark Knight en 2008, vend de faux blockbusters familiaux au public. Il livre des films amples, qui prennent le temps, aux scénarios parfois alambiqués et qui possèdent une touche sombre et mélancolique. Pour l’instant, cela marche au box-office. On peut remercier Nolan de nous sauver de tous ces films formatés qui ne prennent plus aucun risque. Nolan a de l’ambition, du talent…et beaucoup de courage voire d’inconscience! Ses détracteurs le décrivent comme prétentieux, pompeux et n’ayant aucune aptitude pour la réalisation. Enfin, ce sont surtout les fans de Batman qui lui en veulent car il a osé s’attaquer à une icône des comics pour en livrer une vision personnelle qui a eu l’ire de ne pas plaire à des gens parfois bornés et sectaires. Mais revenons plutôt à Interstellar.
Interstellar est un voyage. Un voyage à travers les étoiles mais aussi dans le cœur et l’âme de ses personnages, surtout Cooper. Le film est un parcours émotionnel. C’est l’instinct de survie de l’homme qui est en question ici. Il faut bien sûr préserver et sauver l’espèce humaine. Mais le personnage principal est animé de la volonté de sa survie propre et de revoir ses enfants. Il ne veut pas n’être qu’un souvenir pour eux. Et pourtant, c’est ce qu’il est déjà, une fois le voyage commencé. Nolan nous montre que le cœur humain et l’amour qu’on porte aux autres peuvent transcender les barrières du temps. Le réalisateur, au cœur d’un film se déroulant aux trois-quarts dans l’espace, réussit un formidable drame humain et familial. On n’est pas prêt d’oublier Cooper et sa fille. Leur relation est l’âme du film. Nous ressentons fortement leur peine et leur désarroi. Mais il y a encore plus dans ce film…
Nolan a accordé beaucoup d’importance aux théories scientifiques dans ses dialogues. On y parle beaucoup de temps, de relativité, de trou noir, etc. Sans que cela soit obscur. On se prend à se passionner pour les problèmes évoqués. En plus, ils ont une conséquence directe sur les personnages et leur destinée. L’approche de la temporalité dans le récit est ici originale. Le film, au début, montre aussi que la science est mal vue dans une société devenue pauvre et qui se concentre uniquement sur la production de la nourriture, pour sa survie. La fille de Cooper est ainsi renvoyée de l’école pour y avoir amené un livre sur la conquête spatiale, conquête spatiale carrément remise en question par une enseignante! Difficile de ne pas voir ici un parallèle avec les intrusions des créationnistes dans l’éducation, aux Etats-Unis. Enfin, Nolan aborde le thème de ce que l’on est censé faire et de ce que cela implique: quelles sont nos aspirations réelles? Sommes-nous condamnés à effectuer des tâches que nous n’aimons pas? Dans le film, Cooper déteste sa reconversion dans l’agriculture et son fils est obligé de prendre sa suite.
Nolan a centré son film sur peu de personnages, pour ne pas perdre le spectateur dans une fresque trop ambitieuse. Pourtant, il y a un formidable parallèle entre le voyage dans l’espace de Cooper et la vie de ses enfants sur Terre, simultanément mais pas sur la même ligne temporelle…Nolan fait monter l’émotion avec un montage fluide et bien géré. Le film a beaucoup de puissance de ce côté. La réalisation est ample, avec des mouvements de caméras aériens mais qui savent aussi revenir sur les personnages quand il le faut. Nolan n’oublie pas le spectaculaire et livre des séquences bardées de suspense. Les effets spéciaux sont fantastiques. Le voyage est de toute beauté. L’espace et ses mystères nous paraissent presque à notre portée. La solitude qu’on peut y rencontrer aussi. Cette solitude capable de rendre fou et de pousser un homme à la folie….
Interstellar est un grand film de SF adulte, humain, émouvant et profondément exaltant. Bien sûr, il comporte quelques défauts (le personnage du frère pas assez développé, certaines longueurs) mais il nous entraine loin, au coeur de l’espace, du temps …et des émotions. Note: 17/20
Interstellar, de Christopher Nolan, avec Matthew McConaughey, Anne Hataway, Jessica Chastain et Michael Caine, en salles depuis le 5 novembre.
Carrément méchant!
Je ne m’essuie jamais les pieds quand je suis invité chez quelqu’un, cette personne lavera bien après mon départ! Je ne me déchausse jamais non plus, sauf si je sens mauvais des pieds ce jour-là…
Je n’achète jamais de fleurs à une femme, je vais les voler sur les tombes des cimetières.
Quand une personne me demande son chemin, je lui indique toujours la direction opposée.
Je fais semblant d’être bourré quand je croise ceux qui quêtent pour la Croix-Rouge.
Quand le facteur sonne à ma porte pour me vendre le calendrier de l’année, je lui arrache tout son stock des mains, en lui claquant la porte au nez. Je les revends ensuite sur E-Bay. Je ne fais pas ça avec les pompiers, ils viennent à plusieurs et sont costauds et puis mon doberman ne digère pas leur uniforme.
Je nourris mon doberman avec de vrais morceaux de facteur.
Je fais souvent des bras d’honneur aux sourds-muets, c’est le seul signe que je connaisse et ils le comprennent.
Quand je croise une personne en fauteuil roulant, je lui demande toujours « ça roule? ».
J’adore expliquer à des petits enfants de 3-4ans que le Père Noël n’existe pas. Généralement, je fais ça le 24 décembre, au soir.
Quand je vois une femme obèse dans les transports en commun, je lui laisse ma place et je lui demande quand a lieu l’accouchement.
Quand je feuillette un livre dans une librairie, je le referme et le range après avoir collé mon chewing-gum au milieu des pages.
Quand je vais au restaurant avec des amis, je simule un malaise pour ne pas avoir à payer ma part.
Quand je suis invité à un cocktail mondain, je verse du laxatif dans le verre des autres et je cours m’enfermer aux toilettes.
Je mets des lunettes noires et je me fais souvent passer pour un aveugle. Comme ça, je peux peloter les fesses des femmes, en toute innocence. Elles n’osent rien me dire.
Je me suis mis au lancer de chat, récemment. Faut bien faire du sport!
L’autre jour, j’ai testé mon nouveau micro-onde avec un hérisson. J’avais fait pareil, mais avec un chiot, pour ma machine à laver.
Je ne donne jamais rien aux mendiants. Par contre, je leur vole toujours leur monnaie.
Je ne dis jamais « bonjour », « s’il vous plait », « merci », je cogne directement pour obtenir quelque chose. Sauf avec les culturistes.
Aux cérémonies d’enterrement, je mets des coussins péteurs sous les fesses des gens.
Aux mariages, quand le prêtre demande si quelqu’un veut s’opposer au mariage, je me lève et révèle que le marié est homo et que j’ai couché avec lui. Je ne fais pas ça aux mariages des culturistes.
Quand on fait le signe de croix à la messe, je fais le signe de la fourche. Ou un bras d’honneur au curé.
Je crache dans les bénitiers quand je me sais malade et contagieux.
Dans les maisons de retraite, je dérègle les sonotones des résidents et je planque leurs déambulateurs.
Je triche à tous les jeux de société auxquels je joue, même le Trivial Poursuite et les petits chevaux.
Je dénonce tous mes voisins au fisc et à l’URSAFF, mais de façon anonyme.
J’urine dans la cage d’escalier de mon immeuble et je lis le courrier de mes voisins.
La liste est longue. Je suis un être ignoble. J’irai au confessionnal et quand le prêtre me demandera pourquoi je suis venu, je lui demanderai si il y a du papier de son côté.
Misantrop?
« qui aime la solitude », « qui fuit ses semblables », « qui fuit la société »: telles sont les définitions que le dictionnaire accole aux termes « misanthrope » et « misanthropie ». J’ai même trouvé « d’humeur maussade ». Fichtre! Voilà un tableau bien sombre pour un trait de caractère somme toute assez anodin. Tout le monde a envie de fuir les autres, un jour ou l’autre. Après, il y des degrés différents de misanthropie, bien sûr. Quelquefois, suite à une déception, l’épisode ne dure que quelques jours ou semaines. Et puis, d’autres fois, c’est un épisode régulier voire habituel chez certaines personnes. Alors, la misanthropie est-elle une qualité? Un défaut? Une nécessité? Une hérésie absolue? Comme il semble détester la terre entière, j’aurais aimé inviter Eric Zemmour pour en parler. Mais après mûre réflexion, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il était peut-être plus sociopathe que misanthrope…
Déjà, est-ce naturel de vouloir fuir la société des hommes (ce qui inclut aussi nos amis les clowns psychopathes)? Bien sûr que oui! Vous l’avez bien regardée la société des hommes? Ce n’est que guerres, pauvreté, maladies, tueries, corruption, meurtres, etc. Franchement, s’en préserver tient plus du devoir que de la nécessité! Le problème, c’est que nous sommes 7 milliards d’individus sur cette planète. On ne peut pas tous avoir ce luxe: s’isoler. La terre n’est pas assez vaste, le monde ne suffit pas et demain ne meurt jamais… On est donc obligé de cohabiter les uns avec les autres. Pas le choix. Seuls certains individus, moins nombreux, ont le courage d’aller jusqu’au bout et de fuir toute relation sociale et humaine avec l’humanité décadente qui les entoure. Mais ces élus sont-ils de courageux rebelles ou bien d’affreux réactionnaires qui refusent toute forme de progrès et se réfugient dans les valeurs traditionalistes du passé? Finalement, j’aurais du inviter Zemmour…
Le misanthrope est souvent perçu comme hautain et méprisant. Et il l’est. Oui, le misanthrope méprise ouvertement ses semblables, sinon pourquoi aurait-il envie de les fuir? Le misanthrope ne sent pas supérieur aux autres, juste différent, à part. Il observe ses contemporains avec froideur. Il les juge vulgaires, violents, frivoles, etc. Donc il s’isole. Et il se sent mieux. Mais c’est quelquefois dur. Quand il va au cinéma ou au théâtre, il est obligé de composer avec la foule la symphonie du « vivre ensemble malgré tout ». Quand on prend en compte les imbéciles qui font du bruit ou téléphonent pendant les films, on se dit que notre misanthrope en sort renforcé dans sa haine de l’humanité. Car c’est le mal qui le guette: après avoir méprisé ses semblables, le misanthrope évolue et se met à les détester. Il se sent seul au monde face à des rustres qui ne le comprennent pas, un peu comme François Hollande en ce moment…
Mais au fond de lui, le misanthrope garde une étincelle d’humanité. Il aura beau fuir et aller vivre en ermite en Lozère ou éviter les heures d’affluence, tôt ou tard, il finit par rencontrer des gens qu’il apprécie. Vous savez ces choses qu’on appelle collègues ou amis? Le misanthrope trouve alors des gens de qualité avec qui il peut passer du temps. Et là c’est le tiraillement entre l’envie d’être seul et celle de fréquenter des personnes qu’il aime sincèrement. Concilier les deux n’est pas facile. C’est un challenge. Le misanthrope peut ainsi passer des semaines entières sans voir ses proches, pas parce qu’il ne les apprécie pas mais pour satisfaire son besoin de solitude. Ce qui peut amener les autres à se méprendre sur sa conduite…
Par ailleurs, le misanthrope n’aime pas les soirées où les gens sont trop nombreux. Si il y a des personnes qu’il apprécie, il doit composer avec les autres invités, qui sont souvent trop nombreux et bruyants. Le misanthrope est mal à l’aise en société. Car il retombe fréquemment sur le type de personnes qu’il déteste. Le pire pour lui? Tomber amoureux pendant une soirée et ne pas pouvoir aborder la personne en question car trop de monde le sollicite et trop de monde accapare l’autre aussi. Remarquez, tomber amoureux tout court est une plaie pour le misanthrope. Tout d’un coup, il aime vraiment quelqu’un, a besoin de cette personne autant qu’elle a besoin d’elle. Il faut qu’il abjure sa foi en la solitude et se remette à aimer le monde. A moins de tomber sur un autre misanthrope…Là, ils pourront partager leur haine du monde dans la félicité et le bonheur!
Faut-il jeter la pierre aux misanthropes? Car, à bien y réfléchir, ils ont peut-être raison. Il y a tellement de choses qui justifie ce trait de caractère. Les embouteillages? Fuyons! Les hordes de clients hystériques durant les Soldes? Fuyons! Tous ces gens qui regardent un spectacle ou un feu d’artifice en mettant leur smartphone devant leurs yeux pour filmer au lieu de regarder direct? Fuyons! Tous ces gens qui tweetent dès qu’ils ont une opinion dont ils sont persuadés de l’importance? Fuyons! Toutes ces sectes religieuses qui tentent de vous attirer dans leurs filets? Fuyons! La Manif pour Tous? Fuyons! Les propositions du MEDEF en termes d’emplois et de salaires? Fuyons! Les politiques opportunistes ou corrompus? Fuyons! Le racisme, la guerre, le fanatisme? Fuyons! Les Anges de la Télé-Réalité? Fuyons! Les films de Dany Boon? Fuyons! Les disques de Christophe Maé? Fuyons! La musique techno? Fuyons! La pollution? Fuyons! Les terrasses bondées, en été, qui sentent la sueur, le crème solaire et la viande grillée? Fuyons! Les personnes qui s’aspergent de litres de parfum et qui viennent s’assoir à côté de vous dans les transports en commun? Fuyons! Les queues dans les supermarchés? Fuyons! Les gens qui parlent fort dans leur portable dans des lieux publics? Fuyons! Les questions embarrassantes des enfants? Fuyons! …
La liste est longue, très longue. Alors oui, la misanthropie est utile. Mais il faut veiller à ce qu’elle ne devienne pas une pathologie. S’isoler, oui. Mépriser une partie du monde, oui. Mais aller jusqu’à haïr et ne plus vouloir revenir? Non. Du moins, pas longtemps! Le misanthrope est un être imparfait, qui vit dans un monde imparfait, tout en rêvant d’un monde parfait. Peut-être doit-il agir pour aller dans ce sens? Peut-être. Peut-être doit-il se concentrer sur tous les gens biens qu’il croise tous les jours et oublier le reste du troupeau? Peut-être…
Alors, à moins de s’isoler dans un manoir solitaire sur un pic qui surplombe la ville, on ne peut pas échapper totalement au monde. Et puis, ça coûte de l’argent d’acheter un tel manoir! Quand on est misanthrope, vaut mieux être fortuné, ça aide!
THE NOVEMBER MAN-Le retour de l’Irlandais
Cinq ans après une mission qui a mal tourné, l’agent de la CIA Peter Devereaux coule une retraite paisible en Suisse, au bord du lac Léman. Mais l’un de ses supérieurs et amis lui demande de reprendre du service pour exfiltrer une agent de Russie, une femme dont Deveraux semble très proche. Mais elle est tuée, et Deveraux se trouve pris dans un complot où ses anciens employeurs semblent tremper. Il va devoir aussi affronter son ancien élève qu’il a formé, David Mason (Luke Bracey).
Cela faisait douze ans, depuis le catastrophique Meurs Un Autre Jour (2002), que Pierce Brosnan n’avait pas revêtu le costume d’agent secret et d’action man. Viré de la franchise James Bond, Brosnan revient au genre qui l’a rendu mondialement célèbre, avec un thriller d’espionnage à l’ancienne, réalisé par ce vieux briscard de Roger Donaldson (Sens Unique, La Mutante, Braquage à l’Anglaise). A 61 ans, l’acteur irlandais prouve ici qu’il est toujours en forme. Que ce soit dans les scènes d’action, où il se montre froid et brutal, et dans les scènes dramatiques, où sa sensibilité montre les fêlures de son personnage, Brosnan n’a rien perdu de son talent et de sa classe. Retour réussi pour l’acteur.
Et le film? Sans être révolutionnaire et sans un être un futur classique du genre, il remplit son contrat haut la main. Donaldson a du métier et c’est un solide artisan. Le rythme est prenant, les scènes d’action nerveuses et lisibles, et Donaldson prend le temps de faire respirer son intrigue avec des scènes plus intimistes qui sont bien écrites. Bref, à ce stade, c’est un bon film de divertissement, bien fait, et qui donne du plaisir au spectateur. Mais pas que.
Le scénario a des côtés prévisibles et clichés comme dans la majorité de ces films. Cela limite un peu l’impact du métrage. Pourtant, le ton général est assez surprenant. Le film est souvent sombre et désenchanté: les héros d’hier sont fatigués, désabusés…et un peu alcoolos (voir le sort que fait Deveraux à toutes les bouteilles de mini-bar qu’il croise sur sa route!). Mieux, le film est parfois cruel. On pense à cet séquence hallucinante où un Pierce Brosnan sadique menace la petite copine de son ancien élève pour le déstabiliser. Ce n’est pas le héros hollywoodien lambda et propre sur lui qui se permettrait ça! Les rapports père/fils entre Devereaux et Mason (excellent Luke Bracey) sont bien vus, mais derrière l’estime qu’ils se portent, chacun est prêt à tuer l’autre pour sa propre survie. Deux de leur face à face se règlent en deux mots et en un long regard. Sec, comme le whisky que s’envoie Devereaux.
Le film regarde aussi l’horreur en face et s’intéresse aux victimes de crimes de guerres. Le conflit tchétchène, la corruption et la responsabilité de l’état russe, ainsi que le silence coupable (et complice?) des Etats-Unis, sont abordés sans fard. Le film prend même des allures anti-Poutine par moments. L’actrice Olga Kurylenko apporte beaucoup de sensibilité à son personnage. Enfin, il y a des scènes doucement émouvantes comme celle où Olga Kurylenko joue du piano tandis que Brosnan, le verre à la main, épie son rival par la fenêtre de son hôtel. On retiendra aussi le face à face tendu, pervers et tragique où une victime retrouve son bourreau, à la fin. Bref, The November Man est loin d’être aussi conventionnel que de prime abord.
Malheureusement, quelques menus défauts plombent un peu le film, comme cette tueuse russe dont on se débarrasse trop vite. Mais The November Man est une petite réussite du genre. Et revoir Pierce les armes à la main n’a pas de prix! Note: 14/20
The November Man, de Roger Donaldson, avec Pierce Brosnan, Luke Bracey et Olga Kurylenko, en salles depuis le 29 octobre.
GONE GIRL-Apparences
Nick et Amy Dunne (Ben Affleck et Rosamund Pike) forment un couple uni et parfait. Mais les circonstances les obligent à quitter New-York pour aller vivre dans la ville natale de Nick, dans le Missouri. Le jour de leur cinquième anniversaire de mariage, Amy disparait. Des traces de lutte et de sang sont retrouvées dans la maison. Commence alors une enquête pour retrouver la disparue. Mais le comportement relâché de Nick et certains indices en sa défaveur instillent le doute chez les enquêteurs et dans l’opinion publique…
Le nouveau film de David Fincher (Seven, Zodiac, Social Network) est une vraie réussite, doublée d’une étonnante surprise. Le film débute comme une enquête classique où un mari est accusé de la disparition de sa femme. Le film prend le temps de faire monter le suspense et d’installer son histoire. Le tout est entrecoupé de flashs-backs sur la vie passée du couple, qui permet de mieux les connaitre. Ben Affleck y fait une formidable prestation, en jouant un type ordinaire curieusement amorphe et qui semble peu concerné par le sort de son épouse. A moins qu’il ne soit juste dépassé par les évènements…
Comme toujours, la réalisation de Fincher est précise, minutieuse et élégante. Il est désormais établi que Fincher est un maître dans son art et un grand cinéaste au style classique, dans le sens le plus noble du terme. Par moments, on pourrait le trouver glacial mais cela colle parfaitement aux sujets qu’il traite et Fincher laisse passer de l’émotion quand on s’y attend le moins. La façon dont il cadre Ben Affleck, souvent isolé dans le plan, la façon dont il scrute le décor dans chaque détail ou des plans comme celui de cet hypermarché abandonné aux mains des SDF (brillante illustration de la crise), confirment ce qu’on pensait depuis longtemps: Fincher est un grand réalisateur. Le rythme hypnotique de Gone Girl rappelle Zodiac. On est fasciné par ce que l’on regarde. Et la photographie, assez sombre par moments, renforce encore plus cette impression.
Mais Gone Girl est plus qu’un simple thriller. Ceux qui ont lu le roman de Gillian Flynn à l’origine du film le savent. Il serait criminel de tout révéler et de pousser plus loin l’analyse. Mais Gone Girl est un piège subtil dans lequel on fonce tête baissée. Les apparences y sont trompeuses. Le personnage de Amy (formidable Rosamund Pike, qui mérite un oscar) est ainsi affublé d’un double littéraire, inventé par sa mère écrivain pour des livres pour enfants. Cette Amy fictive est parfaite et a toujours rendu jalouse la véritable Amy. Le film propose ainsi une réflexion passionnante sur la place de la femme dans la société, sur sa « soumission » à son mari et sur le rôle qu’elle doit jouer. Le film égratigne la bonne société d’où est issue Amy, avec ses codes sociaux périmés et son mépris assumé du prolétariat (Nick, issu d’un milieu modeste, est rabaissé par sa belle famille). Dans la deuxième partie, deux marginaux joueront un sale tour à l’un des principaux protagonistes, parce que ce dernier les a sous-estimés. Le film se paye aussi au passage l’institution du mariage. Derrière les conventions de façade, la mariage semble être le royaume du mensonge et de la duperie, un modèle social mensonger et pas du tout idyllique!
Mais le plus beau, c’est cette satire des médias et de l’Amérique. La toute-puissance de talks-shows racoleurs qui mentent, proposent des analyses erronées et se roulent dans le sensationnalisme pour faire de l’audience, est ici épinglée avec une grande férocité. Le public de ses émissions, la fameuse « opinion publique », n’est pas mieux loti: influençable, manquant de discernement et, osons le dire, bête et méchant! Gone Girl est un film cruel où Fincher nous laisse contempler le déclin de son pays: faillite économique, juridique, médiatique et humaine. Gone Girl dénonce le rêve américain qui a viré au cauchemar. Le film est doté d’un humour mordant mais le rire final du spectateur se coince dans sa gorge et demeure jaune. Enfin, Gone Girl est une grande histoire d’amour…bien tordue! Tout cela dans le même film, on dit bravo et on met un 20/20!
Gone Girl, de David Fincher, avec Ben Affleck et Rosamund Pike, en salles depuis le 8 octobre.